Banques

JP Morgan : un concurrent pour les banques marocaines en Afrique ?

Avec le repli stratégique ou financier des banques françaises, la banque américaine JP Morgan lorgne l’Afrique, un continent où la bancarisation est encore un luxe. Les acteurs marocains doivent-ils s’inquiéter?

Il y a de cela quelques mois, on observait le retrait dit stratégique de la Société Générale dans certains pays du continent. Présente dans 17 pays et possédant trois banques, la Société Générale est un acteur de premier plan en Afrique, représentant 8 % de l’activité de la sixième banque d’Europe. C’est donc il y a quelques mois que les premiers signes de repli ont commencé à retentir du côté du Maroc. L’annonce du 7 mars dernier du rachat de la Société Générale Marocaine de Banques (SGMB) par l’ancien ministre Moulay Hafid Elalamy a confirmé davantage ce que notre expert en politique publique, Abdelghanie YQoumni, qualifie de « retraits stratégiques ».

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« L’Afrique est une zone géographique à fort potentiel de croissance, où le Groupe a bâti une présence historique et entend concentrer ses ressources sur les marchés où il peut se positionner parmi les banques de tout premier plan, en synergie avec les autres métiers du Groupe et avec une taille critique permettant une contribution satisfaisante et durable à la création de valeur », explique le groupe bancaire dans un communiqué publié le 8 juin 2023. Implantée sur le continent depuis plus de 100 ans, avec une présence marquée au Maroc et depuis plus de 50 ans en Côte d’Ivoire et au Cameroun notamment, la Société Générale commence à lever progressivement le pied. Tout juste quelques mois après ce phénomène de départ silencieux, dans un jeu de chaises musicales, c’est au tour de JP Morgan de s’intéresser à l’Afrique, selon Reuters. En octobre, la banque américaine foulera le sol de quatre nations clés du continent – le Kenya, le Nigeria, l’Afrique du Sud et la Côte d’Ivoire – pour une tournée stratégique visant à renforcer sa présence sur un terrain encore largement sous-exploité par les géants de Wall Street. Au-delà du développement de l’offre bancaire, les besoins en financement souverain deviennent une priorité pour les États africains, et JP Morgan souhaite capter une part importante de ces transactions. Notons qu’en mai dernier, JP Morgan Chase a signé un accord de financement de 200 millions de dollars avec le Rwanda, partiellement garanti par le Fonds africain de développement (FAD) de la Banque africaine de développement (BAD).

Un concurrent sérieux ?

« Le motif du retrait de la Société Générale du continent se trouve dans la rentabilité de l’activité bancaire. En Afrique, on observe un dualisme économique entre économie formelle et économie informelle, très différent de celui des banques européennes, qui évoluent dans un autre paradigme : économie réelle versus économie financière », explique Youmni. Il ajoute : « Par contre, pour un pays comme le Maroc, qui a une véritable maturité dans ce secteur, ce retrait est un atout indéniable ». Cependant, même si le terrain africain est investi depuis un certain nombre d’années par les acteurs marocains, l’arrivée de nouveaux concurrents pourrait changer la donne. Présente dans plus de 100 pays, avec des actifs supérieurs à 4,1 trillions de dollars, la plus grande banque prêteuse américaine souhaite développer ses activités à Nairobi et à Abidjan, selon Reuters.

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« L’arrivée de JP Morgan en Afrique représente à la fois une opportunité et un défi pour les banques marocaines, surtout avec le retrait des banques françaises. D’un côté, la banque américaine pourrait intensifier la concurrence dans les segments haut de gamme, obligeant les banques locales à innover pour maintenir leur position. La présence de JP Morgan pourrait aussi dynamiser le marché des capitaux africains, rendant les marchés financiers plus attractifs. Cependant, cette entrée risque également de mettre en péril les marges des banques marocaines, notamment sur les segments corporate, et de provoquer une fuite des talents attirés par les opportunités offertes par une institution internationale aussi puissante », confie Zakaria Fahim, Managing Partner de BDO Maroc. Il poursuit : « Pour faire face à cette concurrence, les banques marocaines pourraient envisager des partenariats stratégiques avec JP Morgan sur des projets complexes. Elles ont aussi une chance de renforcer leur présence sur le segment des petites et moyennes entreprises (PME), un domaine que JP Morgan ne priorise pas. Grâce à leur connaissance approfondie du marché local et à leurs positions solides, les banques marocaines ont la possibilité de s’adapter et de tirer parti de cette situation pour rester compétitives sur le continent. »

Rappelons que JP Morgan a été parmi les cinq banques sélectionnées, en janvier dernier, par la Côte d’Ivoire pour émettre son eurobond de 2,5 milliards de dollars.

Acteur clé de la diplomatie économique

Le secteur bancaire et financier marocain joue un rôle capital dans la stratégie de coopération sud-sud du Maroc, initiée et pilotée par le souverain. Il demeure l’un des acteurs clés de la diplomatie économique du Royaume. Si en dix ans, le Maroc a investi près de 5 milliards de dollars en Afrique subsaharienne, se positionnant ainsi comme le 2e investisseur intra-africain et le 1er investisseur en Afrique de l’Ouest, c’est grâce aux financements des banques marocaines comme Attijariwafa Bank, Bank of Africa (ex-BMCE Bank) et la Banque Centrale Populaire (BCP), qui ont créé des antennes dans ces pays.

Ces trois grands groupes bancaires marocains font partie du Top 20 des plus grandes banques africaines (2023), selon le classement de Jeune Afrique. Attijariwafa Bank se positionne en tête du peloton à la 9e place continentale, la Banque Centrale Populaire (BCP) au 19e rang et BMCE Bank of Africa à la 20e place. En Afrique de l’Ouest, les banques marocaines représentent près de 20 % de l’activité bancaire totale.

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Ces grandes banques ont également des filiales à l’international, notamment en Europe, venant en soutien aux Marocains du monde et à leurs projets d’investissement dans les pays d’accueil ou au Maroc. À travers leurs engagements dans divers domaines en Afrique, les banques marocaines ont renforcé l’intégration régionale sur le continent. Elles investissent dans des projets d’infrastructures, notamment dans les domaines de l’électricité, de l’énergie verte, du transport, de la mobilité et de la logistique. Cette stratégie a permis aux opérateurs marocains dans les télécommunications, l’industrie, les énergies, la santé et le bâtiment d’étendre leur présence sur le continent et de renforcer, par conséquent, le leadership du Royaume en matière d’investissement en Afrique.

 
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