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Kamel Daoud, Prix Goncourt 2024 : Une consécration qui dérange le pouvoir militaire algérien

Kamel Daoud vient de recevoir le Prix Goncourt pour son dernier roman, Houris, un ouvrage explorant les années de guerre civile en Algérie, avec ses violences, ses traumatismes et le poids de la mémoire.

Pourtant, cette consécration n’est pas seulement une victoire pour l’auteur ; elle devient aussi un sujet d’irritation pour le régime militaire en Algérie, qui perçoit dans ce prix une menace contre sa politique de répression mémorielle et de contrôle des narrations historiques. Derrière les honneurs rendus à cet intellectuel, c’est la lutte entre l’autorité et la liberté de pensée, entre l’oubli imposé et la mémoire retrouvée, qui se joue.

Un symbole littéraire qui questionne l’Histoire officielle

Si Houris est une fiction, le pouvoir algérien craint que ce roman ne dépasse sa nature littéraire pour acquérir une force de vérité historique. En effet, il aborde les années noires de l’Algérie dans un style à la fois lyrique et impitoyable, remettant en question les lois de “Concorde civile” et de “Réconciliation nationale” qui, selon le régime, avaient clos le dossier des violences passées. Ces lois, en appelant à “tourner la page”, ont tenté d’éradiquer tout débat public sur les responsabilités et les causes de la guerre civile des années 1990, au risque de renforcer une “crise perpétuelle d’identité” pour les Algériens, comme le souligne Houari Addi, sociologue algérien.

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L’œuvre de Daoud est perçue comme une relecture de cette Histoire occultée, une “petite histoire qui parle à la grande Histoire”, rappelant, comme l’explique le sociologue, “les fractures idéologiques et identitaires de l’Algérie post indépendante, où l’élite francophone est tenue de moderniser l’économie tandis que l’élite arabophone monopolise la culture et la religion”. Ce déséquilibre et la censure qui l’accompagne sont des angles que l’œuvre de Daoud éclaire d’un jour nouveau, ouvrant ainsi une brèche dans le mur de l’oubli imposé.

La censure qui confère au livre une aura subversive

L’interdiction de Houris en Algérie, tout comme celle de Gallimard, son éditeur, au Salon international du livre d’Alger, ne font qu’ajouter à l’attrait du livre auprès des lecteurs algériens. La littérature, dans sa capacité à se faire porte-voix de la réalité, dépasse les frontières et résiste aux tentatives de muselage. Les Algériens, nombreux à l’étranger ou connectés aux réseaux, pourront accéder à ce livre, même si, pour certains, ce sera “sous le manteau”. Les ventes records en France, stimulées par la reconnaissance du Prix Goncourt, ne font que renforcer cette célébrité nationale et internationale de Kamel Daoud. Et ce succès économique, qui lui apportera une indépendance financière accrue, menace encore davantage le pouvoir algérien, qui peine à contrôler les voix dissidentes bénéficiant d’un soutien et d’une visibilité au-delà des frontières.

Une voix qui résonne comme un modèle de courage intellectuel

Pour les écrivains algériens en devenir, Daoud devient un modèle de réussite et de consécration. Au-delà de la prouesse littéraire, son parcours inspire ceux qui, malgré la répression, continuent de s’exprimer en français, langue que le pouvoir cherche inlassablement à réprimer, associée qu’elle est à l’ouverture et à l’esprit critique. Une langue que le grand écrivain algérien, Kateb Yacine, avait qualifié de “butin de guerre”. Le pouvoir algérien mène en effet une véritable guerre contre l’usage et l’enseignement de la langue française, perçue comme une menace à l’uniformité idéologique.

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Houari Addi l’explique : “L’intellectuel en Algérie est souvent pris au piège entre le pouvoir politique autoritaire” et la rhétorique théologique, “chaque partie cherchant à asservir l’opinion publique à ses propres fins.” Cette citation résonne dans le parcours de Daoud, écrivain francophone poursuivant l’idéal d’une littérature libératrice et consciente de ses responsabilités.

Une lutte sans fin entre l’oubli et la mémoire

Ce n’est pas la première fois que le pouvoir algérien choisit l’interdiction et la censure pour réprimer une œuvre artistique ou un débat public. Mais cette tactique semble se retourner contre lui, générant un intérêt accru pour l’œuvre de Daoud, tout en attirant l’attention de la communauté internationale. Pour l’État, ce sont les “fouineurs de la mémoire”, comme Daoud ou Boualem Sansal, qu’il convient de contrôler ou de réduire au silence. Mais en les censurant, il renforce l’aura subversive de leurs écrits et donne une légitimité à leurs messages.

En fin de compte, la résistance des intellectuels algériens contemporains prouve que la mémoire collective ne peut être supprimée par décret. La remise du Prix Goncourt à Kamel Daoud, plus qu’une consécration littéraire, devient ainsi un acte de résistance symbolique contre l’autoritarisme, un souffle de liberté qui traverse les frontières, fortifie les esprits, et rappelle que la littérature, même sous la censure, continue de vivre et de parler.

 
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