Khalid Ziani : « Les banques classiques n’ont pas d’avenir en Afrique »
Les nouvelles technologies font de plus en plus partie intégrante du monde dans lequel nous vivons, et les banques africaines doivent déployer ces technologies à grande échelle pour rester pertinentes. Entre défis et survie, comment les opérateurs marocains font-ils face aux enjeux du digital sur le continent ?
Depuis plusieurs années, les trois principaux groupes bancaires marocains (Attijariwafa Bank, BMCE Bank et la Banque Centrale Populaire), à la recherche de nouveaux relais de croissance, se sont lancés dans des politiques de conquête de marchés en dehors des frontières du Royaume, en particulier dans l’activité de banque de détail. Ils ont réussi à mettre en place des filiales et des réseaux d’agences bancaires puissants dans les pays d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique Centrale. À travers leurs engagements dans divers domaines, les banques marocaines ont renforcé l’intégration régionale sur le continent.
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Elles investissent dans des projets d’infrastructures, notamment dans les domaines de l’électricité, de l’énergie verte, du transport, de la mobilité et de la logistique. Aujourd’hui, ces opérateurs sont des acteurs clés de la diplomatie économique du Royaume. Si, en dix ans, le Maroc a investi près de 5 milliards de dollars en Afrique subsaharienne, se positionnant ainsi comme le deuxième investisseur intra-africain et le premier investisseur en Afrique de l’Ouest, c’est grâce aux financements des banques marocaines comme Attijariwafa Bank, Bank of Africa (ex-BMCE Bank) et la Banque Centrale Populaire (BCP).
Cependant, évoluant en dehors de leur milieu naturel, les banques marocaines sur le continent sont confrontées à certains défis, notamment celui du numérique. Dans cette Afrique de tous les possibles, le passage à la banque de demain semble, pour l’heure, une vue de l’esprit en raison des contraintes du terrain. Dans cette interview accordée à Challenge, l’expert en NTIC Khalid Ziani décrypte les défis de la digitalisation des banques marocaines en Afrique.
Depuis le Covid, il y a quatre ans, le digital a gagné du terrain. Pensez-vous que les pays africains sont prêts pour l’émergence des banques digitales ou néobanques ?
Les banques marocaines ne sont pas des néobanques. On peut les assimiler à des banques classiques européennes. Les néobanques sont une déclinaison fortement digitale des établissements de paiement, qui tendent à évoluer vers les métiers de la banque, mais qui ont toutes commencé par la monétique, c’est-à-dire tous les systèmes de paiement de manière digitale. Elles tendent ensuite à devenir des acteurs du crédit, qui est le véritable métier des banques.
Adapté au système africain, je ne pense pas qu’on puisse voir le même phénomène qu’en Europe et aux USA avec l’émergence des néobanques. Je pense plutôt que le système africain, qui a déjà commencé par la séparation des métiers de la monétique, notamment le paiement via des applications mobiles opérées par des opérateurs télécoms et non par des banques, va évoluer différemment. Il y aura probablement une émergence de nouveaux systèmes de crédit — consommation et immobilier — totalement digitaux, mais via ces opérateurs télécoms ou fintechs.
Je ne pense pas que les banques classiques aient un avenir en Afrique. D’ailleurs, la quasi-totalité des banques étrangères, comme la BNP ou la Société Générale, se désengagent de l’Afrique en cédant leurs filiales africaines. Pour les banques marocaines, c’est encore possible, mais il leur faudra se transformer en sociétés plus agiles pour leurs filiales africaines et devenir des quasi-fintechs, offrant des services allégés et totalement digitalisés, comme le crédit à la consommation et les services monétiques, probablement avec le mobile money.
Comment ces banques gèrent-elles leurs données clients ? Ont-elles des data centers sur place ou ces données sont-elles gérées depuis le Maroc ?
En ce qui concerne les banques marocaines, la quasi-totalité de celles implantées en Afrique ont racheté des banques locales déjà dotées de systèmes informatiques, y compris des data centers locaux. Ces infrastructures ont été adaptées pour répondre aux besoins actuels.
Pour les nouvelles filiales créées ex nihilo, les data centers localisés au Maroc servent d’entrepôts de données pour leurs opérations africaines. Il existe donc deux cas de figure : soit des acquisitions de banques locales, dont les infrastructures sont réutilisées, soit des filiales créées de toutes pièces qui dépendent des data centers basés au Maroc.
Pensez-vous que l’écosystème est favorable au développement de la digitalisation des banques ?
L’écosystème est très diversifié en Afrique. Certains pays disposent d’infrastructures télécoms solides, qui constituent la base de la digitalisation. Dans ces cas, l’écosystème est favorable au développement des services bancaires digitalisés ou du mobile paiement.
En revanche, dans les pays où le système télécom n’est pas très développé, on se heurte à des problématiques de connectivité et d’accessibilité à Internet, ce qui constitue un frein au développement digital des banques et des établissements de paiement.
Les banques marocaines présentes en Afrique sont-elles confrontées aux cyberattaques ? Sont-elles protégées ?
Oui, toutes les banques dans le monde sont confrontées aux cyberattaques, et les banques marocaines ne font pas exception. Ces attaques, très diversifiées, incluent notamment les ransomwares et le phishing, qui représentent 72 % des incidents signalés.
Certaines banques anticipent ces menaces et protègent leurs systèmes, tandis que d’autres sont encore en cours de renforcement de leur cybersécurité. Malheureusement, certaines n’ont pas encore entamé ce processus, ce qui constitue un réel risque.
Selon Interpol, environ 90 % des entreprises africaines ont été ciblées par au moins une cyberattaque en 2023, représentant une augmentation de 50 % par rapport à 2020. Le coût des cyberattaques pour l’économie africaine est estimé à 4 milliards de dollars par an, un chiffre alarmant pour des économies émergentes. Par exemple, le Nigeria perd environ 500 millions de dollars par an à cause de la cybercriminalité, tandis que l’Afrique du Sud figure parmi les pays les plus touchés, enregistrant des milliers d’attaques quotidiennes.
Ces chiffres rappellent l’importance d’investir dans des infrastructures robustes et de sensibiliser davantage aux risques numériques pour limiter l’impact de ces menaces.