Agriculture

La campagne agricole est-elle compromise ?

L’agriculture marocaine, essentielle pour l’économie du pays, traverse une période difficile, marquée par des incertitudes liées aux conditions climatiques. Pluies irrégulières, sécheresse prolongée, et températures extrêmes compromettent la production agricole annuelle, une situation qui affecte directement la vie de millions de Marocains dépendants du secteur. Depuis plusieurs années, les agriculteurs font face à une conjoncture météorologique difficile, en particulier dans un pays où l’agriculture repose en grande partie sur les précipitations saisonnières. Mais, la question qui se pose aujourd’hui est : la campagne agricole 2024/2025 sera-t-elle compromise ?

Le Maroc, un pays où l’agriculture reste une activité primordiale, se trouve de plus en plus confronté à la rareté des précipitations. Le secteur agricole marocain dépend des pluies pour la production de nombreuses cultures, notamment les céréales et les légumineuses. Toutefois, ces dernières années, l’irrégularité des pluies et l’augmentation des sécheresses ont altéré la production des cultures, affectant directement la rentabilité des exploitations agricoles. Dans de nombreuses régions, en particulier celles non irriguées, les rendements agricoles ont chuté à des niveaux préoccupants.
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Les périodes de sécheresse prolongées ont également diminué les ressources en eau pour l’irrigation dans les zones agricoles irriguées, limitant ainsi la production dans ces zones. Cela a conduit à une baisse globale des superficies cultivées et des rendements, impactant ainsi directement la sécurité alimentaire et la stabilité économique du pays. La situation actuelle est d’autant plus préoccupante que les prévisions climatiques pour les prochaines années laissent entrevoir une intensification de ces phénomènes climatiques extrêmes.

Le climat : un facteur omniprésent et déterminant

Les changements climatiques qui frappent le Maroc augmentent les amplitudes thermiques et modifient les cycles de développement des principales cultures. Ces variations affectent non seulement la productivité des cultures, mais aussi la biodiversité et les écosystèmes agricoles du pays. Les scientifiques s’accordent à dire que les conditions climatiques observées ces dernières années ne sont plus simplement un hasard, mais plutôt un signe des mutations climatiques en cours, qui auront des impacts profonds sur la gestion des ressources naturelles et l’agriculture marocaine dans les décennies à venir.

De plus, cette irrégularité des pluies n’affecte pas uniquement les rendements, mais aussi les périodes de semis et de récolte. En conséquence, les agriculteurs sont de plus en plus incertains quant à la meilleure période pour semer et récolter leurs cultures, ce qui rend les décisions agricoles plus complexes et risquées. La gestion de l’irrigation devient également un enjeu majeur, surtout dans un contexte de baisse des réserves en eau dans les barrages nationaux et de diminution des nappes phréatiques.

Un secteur agricole essentiel pour l’économie du pays

L’agriculture marocaine reste un pilier fondamental de l’économie du pays, représentant une part importante du produit intérieur brut (PIB) et de l’emploi. Près de 40 % de la population marocaine vit directement de l’agriculture. Ce secteur contribue non seulement à la production de nourriture, mais aussi à l’exportation de produits agricoles, tels que les agrumes, l’huile d’olive, et les céréales. L’agriculture génère également des revenus pour des millions de familles rurales et soutient une grande partie de la population qui dépend de l’agriculture de subsistance.

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Cependant, cette dépendance au secteur agricole crée une vulnérabilité particulière aux chocs climatiques. Chaque année, la croissance économique du Maroc varie en fonction des rendements agricoles, en grande partie dictés par la quantité et la répartition des pluies. En 2021, une année particulièrement favorable sur le plan climatique, le Maroc a connu une croissance de 7,2 % grâce à une récolte céréalière record de 103,2 millions de quintaux, soit une augmentation de 221 % par rapport à l’année précédente. En revanche, en 2020, la production céréalière était tombée à un niveau très bas de 31,2 millions de quintaux, à cause de la sécheresse.

Ces fluctuations montrent à quel point le secteur est vulnérable aux aléas climatiques, ce qui peut affecter non seulement les rendements agricoles, mais aussi la stabilité économique du pays. Les projections pour l’avenir laissent entrevoir des défis majeurs, avec des rendements susceptibles de fluctuer de manière encore plus marquée dans les années à venir.

Les prévisions de la campagne 2024/2025 : Entre optimisme et réalité

La campagne agricole 2024/2025 se profile sous des auspices mitigés. Le gouvernement marocain a formulé des prévisions ambitieuses, tablant sur une récolte céréalière de 70 millions de quintaux, en ligne avec une estimation de croissance économique de 4,6 % en 2025. Toutefois, ces prévisions reposent sur l’hypothèse d’une amélioration des conditions climatiques, ce qui semble incertain au vu des tendances actuelles.

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Les économistes de Bank Al Maghrib, dans leurs dernières analyses, prévoient une production céréalière qui pourrait ne pas dépasser les 50 millions de quintaux, bien en deçà des attentes du gouvernement. Cette estimation repose sur la moyenne des récoltes des cinq dernières années, dont certaines années ont été particulièrement mauvaises en raison de la sécheresse. Le Haut-Commissariat au Plan (HCP) adopte une position similaire, bien qu’il entrevoie une reprise du secteur primaire pour 2025, après un repli estimé de 5 % pour 2024. Toutefois, ces prévisions restent fragiles et dépendent fortement de l’évolution des conditions climatiques.

Une campagne qui commence sur de bonnes bases, mais…

Le début de la campagne 2024/2025 a cependant suscité un certain optimisme, grâce aux premières précipitations hivernales et à un taux de remplissage des barrages qui a atteint 28,7 % au 18 décembre 2024, contre 23,5 % à la même période l’année précédente. Ces chiffres ont permis d’entrevoir une reprise progressive des rendements agricoles, notamment grâce à l’amélioration de l’hydratation des sols et à la régénération des nappes phréatiques. La Direction des études et des prévisions financières (DEPF) a également souligné que la moyenne des précipitations du 1er septembre au 6 décembre 2024 avait atteint 50 mm, contre seulement 27 mm l’année précédente.

Malheureusement, malgré ces développements positifs, les pluies de janvier n’ont pas répondu aux attentes des agriculteurs, créant une nouvelle incertitude pour la saison en cours. Les précipitations qui se sont produites en décembre se sont principalement concentrées sur des zones non productrices de céréales, et la majorité des exploitations céréalières n’ont pas reçu les précipitations nécessaires pour soutenir la croissance des cultures.

Les experts face aux réalités de la campagne 

Plusieurs experts, dont Adil Houmy, ingénieur agronome, soulignent que les pluies de janvier, pourtant cruciales pour les cultures céréalières, n’ont pas répondu aux attentes. «Les agriculteurs comptaient sur les précipitations de janvier, mais elles n’ont finalement pas été au rendez-vous», précise Houmy, ajoutant que «la production de blé sera affectée cette année, car il s’agit d’une culture automnale qui dépend des pluies».

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L’ingénieur agronome Boubker Menaam partage un constat similaire. Selon lui, les fortes pluies de décembre dernier ont principalement touché des zones non productrices de blé et des régions en dehors des périmètres irrigués tels que Doukkala, Abda, Chaouia et le Gharb, qui sont pourtant des zones clés de production céréalière. Pour Menaam, même si la région d’Abda a connu des pluies initiales encourageantes, la variabilité climatique a tout de même eu un impact négatif sur les cultures.

Les changements climatiques, qui se manifestent par une augmentation des températures et des fluctuations imprévisibles des précipitations, ont exacerbé les défis auxquels fait face l’agriculture marocaine. Mohamed Taher Srairi, professeur à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II de Rabat, insiste sur la nécessité de repenser les techniques agricoles face à ces défis. «Il est illusoire de continuer à penser que plus d’eau pourra être encore mobilisée ou que les techniques d’irrigation localisée permettront de réaliser des économies», souligne Srairi. Selon lui, il est «indispensable de mettre en œuvre des programmes de sélection génétique adaptés aux nouvelles conditions climatiques».

Il ajoute que des variétés végétales et animales résistantes à la sécheresse doivent être développées pour assurer une production durable. «La recherche agronomique nationale doit se doter d’une feuille de route claire, sur le long terme, avec des programmes réalistes et des moyens financiers conséquents», précise Srairi, soulignant l’importance de partenariats avec les agriculteurs et les organisations professionnelles.

Des solutions innovantes face à la crise

Les agriculteurs marocains ont été contraints d’adopter des pratiques agricoles plus résilientes face aux conditions de plus en plus difficiles. Parmi ces pratiques, le semis direct est l’une des plus prometteuses. Cette technique consiste à semer les graines sans labourer le sol, ce qui permet de conserver l’humidité et le carbone dans le sol, tout en réduisant les coûts agricoles et en accélérant la croissance des plantes. Toutefois, cette méthode ne peut être efficace que si elle est accompagnée de politiques agricoles robustes qui soutiennent l’adaptation des cultures au changement climatique.

Face à la sécheresse persistante, de nombreux agriculteurs ont pris des décisions économiques pragmatiques. Certains ont réduit ou différé l’utilisation de produits phytosanitaires, estimant qu’ils ne serviraient à rien sans eau suffisante pour faire pousser les cultures. D’autres ont préféré ne pas investir dans les cultures printanières, choisissant plutôt de réserver leurs terres aux parcours naturels pour nourrir leur bétail. Cette décision, bien que coûteuse, est motivée par l’augmentation des prix des aliments pour animaux, rendant l’élevage plus rentable que l’agriculture dans ces conditions.

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Certains éleveurs ont même anticipé une dégradation de la situation en réduisant leur troupeau, afin de minimiser les pertes financières futures. Ces choix stratégiques reflètent l’incertitude dans laquelle se trouvent les agriculteurs et illustrent l’ampleur des défis auxquels ils sont confrontés.

Les initiatives du gouvernement face à la crise

Face à cette situation de plus en plus alarmante, le gouvernement marocain a mis en place plusieurs mesures pour soutenir l’agriculture. Le plan du ministère de l’Agriculture repose sur plusieurs axes, dont la reconversion des cultures sensibles à la sécheresse en cultures plus résistantes. Le gouvernement encourage également le développement de variétés génétiquement améliorées pour répondre aux défis posés par la sécheresse.

Le Fonds de développement agricole (FDA) a été réorienté pour soutenir cette transition, avec des aides pour encourager l’introduction de nouvelles cultures adaptées aux conditions climatiques extrêmes, telles que l’olivier, le palmier dattier ou l’amandier. De plus, le ministère travaille sur l’extension des techniques d’irrigation localisée et sur l’utilisation de technologies économes en eau, afin de maximiser l’utilisation des ressources disponibles.

 
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