La dignité d’abord
A partir du 28 décembre 2023, un million de ménages ont commencé à recevoir une « aide sociale directe » (ASD) d’un minimum de 500 DH par ménage et par mois. Cela représente au minimum, un montant global de 6 milliards de DH, par an, pour 3,5 millions de personnes, soit 142,85 DH par personne et par mois et 4,70 DH par personne et par jour. Un chiffre bien loin du seuil de pauvreté absolue qui était supérieur à 10 DH par personne et par jour, en 2007, d’après le HCP. C’est néanmoins un début. Le principe est acquis. Une « morsure dans la tête du chauve vaut mieux que rien ». La 2ème vague des bénéficiaires de l’ASD sera connue avant fin janvier 2024. Si le nombre de ménages bénéficiaires atteint 2 millions, soit une moyenne de 7 millions de personnes, c’est presque 20% de la population !
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Le montant global minimum à budgéter sera de 12 milliards de dirhams, par an. C’est un montant inférieur à celui des subventions mobilisées en 2023 (plus de 20 milliards de DH), à travers la Caisse de compensation (CC), créée en 1941. Le gain différentiel pourrait se traduire par une baisse du déficit budgétaire mais surtout par une amélioration de la marge de manœuvre du gouvernement et une pérennisation des chantiers sociaux entamés, sans recours sous contrainte à l’endettement. L’étendue réelle de la pauvreté pourra être mieux révélée. La pauvreté sera ainsi plus transparente. Quant à la richesse, il faudra attendre. Pourtant, « sœurs jumelles », elles se nourrissent réciproquement. Le riche ne peut pas vivre sans le pauvre et vice-versa. Est-il possible d’améliorer le niveau de vie des catégories sociales vivant en dessous du seuil de pauvreté, sans appauvrir les catégories sociales à revenus moyens ? C’est le défi actuel de l’« Etat social ». Or, presque mécaniquement, la suppression graduelle de la CC ne peut pas ne pas impacter négativement ces catégories déjà mises à mal au cours des dernières années de crise sanitaire et d’inflation, synonyme d’érosion du pouvoir d’achat. Le dilemme est là. Les marrakchis chantent : « C’est là qu’est tombé le Ryal ! C’est là qu’il faut le chercher ! ». La transparence ne peut pas être limitée aux pauvres, acculés à dévoiler leurs conditions de vie et « algorithmés » pour savoir qui est bénéficiaire ou non de l’ASD. La transparence ne peut être que globale. Il n’y a pas de honte si la richesse est méritée à travers l’effort physique et intellectuel, et le respect des valeurs humaines fondamentales. Le riche qui se cache a des choses à se reprocher. C’est souvent le cas de nos riches pour qui l’accumulation primitive est restée primitive. Le « capital spéculatif » se nourrit de positions de rente, de conflits d’intérêts et autres pratiques de corruption. Ce « capital » est allergique à la transparence et aux activités à risques, là ou l’investissement est source de valeur ajoutée économique et d’emploi.
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Le rôle de l’Etat social n’est pas uniquement de veiller à un « équilibre macro-économique », en mettant en place des mécanismes permettant d’atténuer la pauvreté, sans l’éradiquer, tout en veillant à la conservation des intérêts acquis par une classe économiquement parasitaire, principal obstacle au développement. D’autres voies sont possibles, pour éviter ou sortir de l’impasse, à travers notamment le recours à un système fiscal équitable et transparent dont l’objectif politique devrait être la consécration d’une solidarité sociale dynamique, et où les sources de financement, au lieu d’être puisées dans les poches déjà vides des catégories sociales à revenus moyens, ciblent ces activités spéculatives, souvent en « zones grises ». L’Etat social ne se construit pas sur la base d’une logique caritative. Il est inséparable de la solidarité active, favorable, avant tout, au développement des capacités des citoyens pour qui, la première richesse, non négociable, car de nature non marchande, n’est autre que la dignité humaine.