La Loi de finances 2025 pourra-t-elle résoudre la malédiction du chômage ?
13%. Le taux de chômage progresse de manière inquiétante, causant des sueurs froides. Pour le nouveau PLF 2025, c’est le chantier prioritaire.
Si le chef du gouvernement pilote de manière excellente certains chantiers, dans celui de l’emploi, il semble naviguer depuis quelque temps en zone trouble. Donnant des sueurs froides, le taux de chômage affiche une tendance à la hausse, s’établissant à 13 %. Suscitant un débat national économique intense, cette question a été instituée par le chef de gouvernement comme la priorité des priorités. Et le prochain PLF 2025, en cours d’élaboration, semble annoncer les couleurs. Dans l’esprit de la lettre de cadrage publiée par ce dernier, en témoigne la teneur. Dans ce document consulté par Challenge, on peut voir cette volonté manifeste de renforcer l’État social. En effet, elle met en exergue l’importance de consolider la dynamique d’investissement et de créer des opportunités d’emploi. Mettant l’accent sur le sujet de l’emploi, l’objectif est de créer un environnement propice à une croissance économique durable, tout en assurant un équilibre stratégique entre les dimensions sociales et économiques. Pour atteindre ces objectifs, la note prévoit une série de mesures visant à soutenir l’emploi, en particulier dans les zones rurales et auprès des petites et très petites entreprises (TPE). L’accent sera mis sur la promotion de l’activité économique des femmes et l’intégration des jeunes dans le marché du travail. Des mécanismes pratiques, tels que la mise en place de garderies et le renforcement des moyens de transport public, seront déployés en partenariat avec les coopératives agricoles.
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Parallèlement, le gouvernement continuera de soutenir les investissements publics et privés, dans le but d’augmenter la part des investissements privés pour qu’ils représentent les deux tiers de l’investissement total d’ici 2035. Pour ce faire, une charte d’investissement compétitive sera mise en place, visant à créer des opportunités d’emploi et à réduire les disparités régionales. Même si, dans l’esprit de ces propositions de solution, on peut lire une volonté d’endiguer le problème, certains, cependant, demeurent dubitatifs. C’est le cas pour l’économiste Abdelghani Youmni, qui affirme : « Un PLF n’a jamais ni résolu le problème du chômage ni réduit son taux. Dans le PLF 2025, l’investissement privé et public sont avancés pour la création d’emplois, sauf qu’on ne trouve nulle part comment. Au Maroc, le chômage est structurel et il s’aggrave avec le dividende démographique jeune et des actifs entre 15 et 55 ans. La montée du chômage s’explique par le faible taux d’intégration des jeunes filles et garçons dans le marché d’emplois et par la sécheresse qui sévit depuis 7 ans. Le Maroc a besoin d’assises de l’emploi et d’une fiscalité créative d’opportunités de travail et d’insertion, s’inspirant du modèle américain actuel qui a réussi à mixer la politique de l’offre et la politique de la demande. »
Et de poursuivre : « Assécher le chômage est possible en partie si on insère une partie des jeunes dans des cycles de formation aux métiers avec des artisans et des TPE dans le manuel, mais en échange il faut verser une allocation de 2500 dirhams par exemple par l’État et 500 dirhams par l’employeur, et avoir en face un plan de certification. Les patrons ne trouvent plus d’apprentis et des savoir-faire disparaîtront, c’est malheureux. Les régions sont absentes dans cette bataille contre le NEE (ni emploi, ni études, ni formation). »
Dans le même sens, le docteur Idriss Aïssaoui, analyste économique, explique : « La note de cadrage du projet de loi de finances avait souligné avec force le fait que l’économie marocaine doit se préparer à un exercice 2025 très particulier. C’est surtout les mesures à caractère d’encadrement socio-économique qui ont été mises en valeur. » Et d’ajouter : « Bien entendu, les questions problématiques, telles que le chômage, n’ont pas été abordées au niveau de cette note de cadrage. La seule chose qui a été signalée de manière assez claire et nette, c’est de dire que le Maroc a tous les atouts pour pouvoir amorcer une phase de croissance intéressante, de développement, en mobilisant un certain nombre de moyens, particulièrement dans le domaine de l’investissement, dans le domaine de la conservation des ressources naturelles, mais surtout un domaine où l’on peut se frayer un chemin dans le domaine de la croissance. C’est donc une vision très pragmatique, parce que la note de cadrage du projet de loi de finances 2025 est une note qui se veut positive. »
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« Aujourd’hui, comme vous l’avez noté, le taux de chômage est à 13 %. Bien entendu, la problématique du chômage est une problématique ardue, difficile, extrêmement compliquée. Pourquoi ? Parce que ça touche avant tout les jeunes diplômés et les jeunes de manière générale par rapport au reste des franges de la population. Les 13 % peuvent se présenter comme un grand problème à gérer dans le moyen et long terme. Il n’est pas facile de dire que demain, telle ou telle politique économique va pouvoir éradiquer de manière ne serait-ce que souhaitable, mais de manière automatique, la question du chômage. »
Le new deal des économistes istiqlaliens
13 %, c’est le chiffre record du taux de chômage, qui pour l’heure représente un véritable défi pour l’équipe Akhannouch. C’est dans ce sens que l’Alliance des économistes istiqlaliens (AEI) a sorti récemment une matrice de propositions. L’AEI propose une série de mesures ambitieuses pour améliorer le taux d’activité et l’emploi au Maroc. Leur première recommandation est de lancer des programmes accélérés de formation-insertion. Ces programmes, incluant des compétences techniques et des soft-skills, se concentreront sur des secteurs à forte demande tels que le tourisme, les services aux personnes, le codage, et les industries émergentes comme l’aéronautique, l’automobile, et les énergies vertes.
L’AEI met également en avant la création d’un « Fonds de Solidarité des Générations » (FSG) destiné aux jeunes de 20 à 35 ans. Ce fonds financera des formations accélérées de reconversion et des stages opérationnels à plein temps d’une durée de 10 à 20 mois. En outre, l’Alliance préconise la création de fonds d’investissement régionaux pour soutenir les petits et moyens projets, avec des programmes de formation, de mentorat, et des services d’incubation pour les jeunes entrepreneurs.
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L’AEI propose également des mesures pour soutenir les entreprises et limiter les défaillances, afin de favoriser le développement créateur d’emplois. Parmi les priorités, l’Alliance recommande la simplification des procédures et l’allègement de la fiscalité sur la transmission des entreprises viables. Les propositions incluent :
- Flexibilité de l’emploi : Autoriser une flexibilité de l’emploi à hauteur de 15 % des effectifs pour les entreprises en difficulté.
- Réduction des charges : Offrir une réduction de 50 % des charges sur salaire pendant cinq ans pour les employeurs avec des programmes de croissance.
- Travail flexible : Faciliter et réglementer le travail à temps partiel, à domicile, et à distance.
- Intéressement du personnel : Encourager la participation des employés aux performances et au capital des entreprises.
- Startup Stations : Lancer des « Startup Stations » dans chaque région, comprenant des espaces d’innovation, des incubateurs, et des espaces de coworking.
« Le chômage doit être une priorité sincèrement. Parce qu’on ne peut pas continuer à le voir évoluer de manière ascendante sur toutes les périodes, surtout que l’investissement que le Maroc reçoit n’est pas un investissement qui est producteur d’emplois. Il faut le dire. D’abord, il y a une réduction des espaces. Par exemple, l’espace le plus opportun, c’est le domaine du monde rural, c’est l’agriculture. Or, aujourd’hui, l’agriculture devient de plus en plus mécanisée et l’utilisation de la main-d’œuvre dans ce domaine est extrêmement difficile », précise Aïssaoui.
Faut-il une nouvelle politique économique ?
« Alors, comment faire en sorte que le chantier du chômage puisse être au cœur de la prochaine loi de finances ? C’est une question de politique économique et de choix. Il faut que le Maroc se dise, ma priorité essentielle, c’est de réduire le taux de chômage et d’en faire une priorité pour toutes les politiques publiques. Pour toutes les politiques publiques et surtout avoir la possibilité d’utiliser tous les mécanismes à même de sortir l’économie marocaine de cette situation », nous confie le docteur Aïssaoui.
« Il y a bien entendu des possibilités énormes. Par exemple, quand on veut faire marcher les choses, on peut utiliser le partenariat public-privé dans l’élaboration d’un certain nombre de projets. Par exemple, le dessalement d’eau de mer, ça n’a pas été fait. Regardez tous les exemples dans la région d’Agadir, dans la région de Casablanca, dans beaucoup de régions où l’utilisation de l’eau, c’est-à-dire le dessalement d’eau de mer qui va être utilisé pour l’irrigation et pour la consommation humaine, il y a eu l’utilisation de ce qu’on a appelé le partenariat public-privé et ça a réussi. Tous les projets qui ont été élaborés dans le cadre du partenariat public-privé ont réussi et ça marche jusqu’au jour d’aujourd’hui. Maintenant, comment peut-on réfléchir à cette problématique du chômage à moyen et long terme dans un pays qui s’appelle le Maroc ? Ça va être très compliqué et très difficile à gérer », martèle l’économiste. Précisant que « dans la lutte contre le chômage, c’est le rôle fondamental du secteur privé. Alors quand on dit secteur privé, c’est-à-dire c’est les investisseurs privés marocains. Ils peuvent être marocains, ils peuvent être étrangers, mais l’essentiel, c’est que c’est le secteur privé qui participe de manière importante, de manière efficace à l’absorption du surplus qu’il y a sur le marché en matière de main-d’œuvre. Autre chose qui peut amoindrir cette perspective, c’est le fait que nous sommes véritablement dans une logique de développement des industries techniques, des industries culturelles, de l’intelligence artificielle. Et toutes ces stratégies sont véritablement très pauvres en main-d’œuvre. Alors comment voulez-vous que l’on fasse ? À moins que ce soit un acte politique, un choix délibéré des entreprises et des acteurs publics marocains s’ils souhaitent absolument sortir de cette ornière et faire en sorte que la lutte contre le chômage soit la priorité des priorités, particulièrement pour l’année 2025. »
Benchmark international
Pour la petite histoire, le New Deal de Roosevelt intervenait juste après la crise de 1929. Au travers d’organismes clés tels que la Work Project Administration et la National Recovery Administration, cette politique a pu permettre aux USA de traverser le désert du crash boursier. En Europe, l’Union européenne a commencé à lutter contre le chômage dès le début des années 50. En 1997, dans un contexte de chômage élevé au sein de la plupart des pays européens, les élites européennes jettent les bases du traité d’Amsterdam, qui a fourni les fondements pour l’élaboration de la stratégie européenne pour l’emploi (SEE) et la création du Comité de l’emploi. Dans le même sens, l’UE a aussi lancé le Fonds social européen (FSE), destiné à soutenir la promotion de l’emploi et une mobilité accrue des travailleurs. En Amérique latine, le Mexique, face à ce fléau depuis les années 2000, a impulsé une véritable politique sociale qui a commencé à donner ses fruits. Par exemple, pour contrecarrer les effets de la hausse des prix sur le pouvoir d’achat des Mexicains, les autorités ont élevé le salaire minimum de 20 % par rapport à 2021. Entre 2019 et 2023, le droit du travail a été l’objet d’une série de réformes. Le marché du travail s’est redressé depuis. En 2023, le taux de chômage au Mexique est tombé à 2,9 %. Rappelons que le taux de chômage en 2009 était de 7,3 %.