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La recette de Larabi Jaïdi pour faire évoluer le système statistique

Comment améliorer les liens entre organismes producteurs de statistiques et d’études, entre ceux-ci et la communauté scientifique, les médias, les utilisateurs des données et le public? Comment faire évoluer le dispositif de gouvernance de l’institution statistique? Pour Larabi Jaïdi, Economiste et Senior Fellow au sein du Policy Center for the New South, quatre conditions paraissent essentielles à réunir. 

Sur l’amélioration des liens entre les organismes producteurs de statistiques, la communauté scientifique, les médias, les utilisateurs de données et le public, Larabi Jaïdi propose une approche en quatre conditions essentielles à réunir pour renforcer le système statistique national.

Garantir l’indépendance des institutions statistiques

La première condition mise en avant par Jaïdi est la garantie de l’indépendance des institutions statistiques. Selon lui, «quelle que soit la confiance accordée au professionnalisme et à la déontologie des statisticiens, il est essentiel que soient garanties les bases légales de l’indépendance du système statistique public. » Il rappelle que bien que les statisticiens soient très attachés à leur indépendance professionnelle, celle-ci n’est pas encore inscrite dans la loi. Ce manque de reconnaissance légale peut affaiblir la crédibilité et l’efficacité des institutions qui développent, produisent et diffusent des statistiques. Il estime que les facteurs institutionnels et organisationnels jouent un rôle fondamental dans la solidité d’une autorité statistique, et qu’il est crucial de légiférer sur cette indépendance. Celle-ci doit inclure des éléments tels que le mandat de collecte des données, l’adéquation des ressources, l’engagement sur la qualité, la préservation du secret statistique, l’impartialité et l’objectivité des analyses fournies. « Il faut donc affirmer cette indépendance et ses principes dans une loi », insiste-t-il.

Créer un espace de débat institutionnalisé

La deuxième condition consiste à créer un espace de débat institutionnalisé où les différents acteurs économiques et sociaux pourraient exprimer leurs besoins et échanger sur la qualité des informations statistiques. Jaïdi propose la création d’une structure telle qu’un Conseil National de l’Information Statistique (CNIS) qui coordonnerait les divers producteurs d’informations. Il souligne que la coordination actuelle est souvent entravée, d’un côté par des «réticences des particularismes institutionnels» et de l’autre, par des risques de monopolisation de l’information, ce qui pourrait nuire à la transparence et à l’indépendance des statistiques.

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Pour garantir une offre statistique durable et adaptée aux besoins des politiques économiques dans un contexte de compétition internationale, Jaïdi recommande une meilleure structuration institutionnelle. Il précise que le CNIS ne se limiterait pas à fournir des informations, mais jouerait également un rôle pédagogique, en permettant aux utilisateurs de s’approprier les données fournies. Ce conseil «devrait fournir à tous les utilisateurs les moyens d’une appropriation de ces informations et affirmer ainsi une fonction pédagogique du système statistique public.» Cela inclurait des procédures de consultation des utilisateurs pour évaluer la pertinence des statistiques existantes et identifier de nouveaux besoins. Selon Jaïdi, un tel espace de débat améliorerait la lisibilité, la pertinence et l’utilisation des données par tous les acteurs impliqués.

Adopter un code de bonnes pratiques statistiques

La troisième condition avancée par Jaïdi est l’adoption d’un code de bonnes pratiques de la statistique. Ce code, selon lui, devrait être fondé sur des principes clairs qui couvrent l’environnement institutionnel, les procédures statistiques et les résultats eux-mêmes. Jaïdi estime que « différents indicateurs de bonnes pratiques constitueraient des critères de référence permettant d’évaluer l’application du code ». Il propose que les autorités statistiques telles que le Haut-Commissariat au Plan (HCP), ainsi que les gouvernements et ministères concernés, s’engagent à respecter ce code. Ce dernier permettrait d’instaurer des normes et des lignes directrices sur la manière dont les autorités statistiques organisent, collectent, traitent et diffusent les informations. En se basant sur ces bonnes pratiques, la crédibilité des statistiques serait renforcée, car elles seraient perçues comme produites dans un cadre rigoureux et transparent. Cette approche, selon Jaïdi, renforcerait la confiance du public et des décideurs dans la qualité des données fournies. Il souligne que « la crédibilité des statistiques serait renforcée par une réputation de bonne gestion et d’efficacité », ce qui favoriserait un environnement de transparence et de rigueur autour des données diffusées.

Elaborer un schéma directeur de l’information statistique

La quatrième et dernière condition concerne l’élaboration d’un schéma directeur de l’information statistique. Jaïdi estime que ce schéma serait construit sur un inventaire exhaustif des données collectées, précisant leur provenance, leur type et les unités de mesure utilisées. Cet inventaire, selon lui, permettrait d’identifier des «gisements d’information» jusque-là ignorés ou négligés, ainsi que de découvrir des synergies potentielles entre des segments jusque-là cloisonnés. Ce schéma directeur ne se limiterait pas à améliorer la collecte des données, mais il viserait également à valoriser au mieux les informations existantes, en favorisant leur partage entre les différents acteurs concernés. En parallèle, il proposerait une synthèse globale des informations pour garantir que les instances dirigeantes disposent d’un ensemble complet de paramètres significatifs à partir du stock d’informations accessibles. En d’autres termes, ce schéma permettrait d’optimiser le système statistique dans son ensemble, en assurant que toutes les parties prenantes aient accès à des informations complètes, pertinentes et facilement exploitables.

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En conclusion, le Senior Fellow au sein du Policy Center for the New South souligne qu’« il n’y a pas de statistiques parfaites», mais qu’il est impératif de produire des statistiques fiables et bien structurées pour permettre un débat serein et informé sur les indicateurs socio-économiques et les politiques publiques. Il insiste sur le fait que, pour avoir un débat constructif autour des politiques économiques, il faut d’abord un consensus sur la qualité, la lisibilité et l’homogénéité des données utilisées. Sans accord sur les méthodes de production des chiffres, «le débat n’a plus beaucoup de sens politique». Il prône donc une réforme profonde de la gouvernance du système statistique, afin de garantir l’indépendance des institutions productrices de statistiques, de créer un cadre structuré pour le débat, d’adopter un code de bonnes pratiques et de mettre en place un schéma directeur pour améliorer l’utilisation et la diffusion des informations statistiques. Pour lui, ces réformes sont indispensables pour renforcer la transparence, l’efficacité et la crédibilité des données, éléments fondamentaux pour un débat public éclairé.

Pourquoi le HCP se trouve parfois confronté à des difficultés lorsqu’il veut convaincre ?

Pour Larabi Jaïdi, les informations statistiques constituent une base indispensable pour fournir au débat démocratique des références robustes. Or, le Haut-Commissariat au Plan (HCP), principal acteur du système statistique national, se trouve parfois confronté à des difficultés lorsqu’il veut convaincre les décideurs politiques, économiques et sociaux de la pertinence des informations produites par ses soins et de l’interprétation de ses indicateurs.
Il évoque d’abord le problème de la pertinence des statistiques, qui ne peut être mesurée de façon objective. Jaïdi note que « la validité scientifique de nombreux indicateurs est souvent relativisée » car ils ne donnent qu’une vision partielle de la réalité, comme c’est le cas pour des variables clés telles que le taux de chômage ou le taux de croissance du PIB.
Le manque de lisibilité des phénomènes sociaux décrits par les statistiques constitue un autre défi. Jaïdi explique que les controverses ne résultent pas d’un manque de rigueur scientifique, mais d’une incapacité à affiner les indicateurs pour mieux refléter la complexité des réalités sociales, souvent changeantes. Il critique ainsi la rigidité des catégories statistiques qui, lorsqu’elles ne sont pas révisées sur de longues périodes, risquent de perdre de leur pertinence.
Un défaut de coordination au sein du système statistique est également souligné. Jaïdi déplore l’absence d’une organisation harmonisée entre les différents producteurs de statistiques, ce qui aboutit à des données dispersées et peu comparables. Il critique notamment la coexistence de données provenant d’enquêtes du HCP et de statistiques de « routine » collectées par diverses administrations.
Enfin, Jaïdi pointe la rigidité dans l’interprétation des données et l’ouverture insuffisante du HCP aux demandes extérieures. Selon lui, le HCP fonctionne souvent en vase clos, limitant ainsi la profondeur des analyses et l’innovation. Il appelle à une meilleure collaboration avec les différents acteurs afin de répondre aux attentes multiples, qu’elles émanent des institutions publiques, du secteur privé ou du monde académique.

 
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