La victoire en dansant : Oligui élu à 90 %.

Dans un style atypique, Brice Clotaire Oligui a enflammé les réseaux sociaux durant les derniers jours de campagne. A-t-il pris un risque en démystifiant la fonction ou compris comment emporter l’adhésion populaire ?
Il y a des images qui ne laissent pas indifférent. Celles de Brice Clotaire Oligui Nguema, tout sourire, dansant sur des sons américains, ont fait le tour des réseaux sociaux à la veille de l’élection présidentielle. Loin des codes classiques de la stature présidentielle, cette mise en scène inhabituelle a surpris et, à la fois, séduit plus d’un. Mais elle a surtout révélé un changement de stratégie dans la communication politique en Afrique centrale. Dans une région habituée aux leaders hiératiques et distants, Oligui a choisi la danse comme arme politique. Était-ce une fantaisie calculée ou une intuition stratégique ? Au vu du résultat – une victoire à 90 % – la question mérite d’être posée. Ce score, dans un contexte post-putsch où l’on attendait le scrutin comme un test de légitimité, aurait pu susciter davantage de méfiance. Pourtant, ce n’est pas tant le chiffre qui a retenu l’attention que la manière dont le candidat-président s’est inscrit dans une dynamique de reconquête affective.
« Oligui a compris ce que d’autres ont négligé : l’électeur africain, de plus en plus connecté, attend aujourd’hui un autre type de politique. Plus que des discours technocratiques, il veut un leader qui lui parle, qui le touche. En dansant, Oligui ne s’est pas ridiculisé : il a capté une vérité politique », nous confie un étudiant gabonais en médecine du côté du Maroc qui a voté pour Oligui.
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Comme Trump qui, à la veille de son investiture pour un deuxième mandat, s’est laissé aller à esquisser quelques mouvements sur scène, sur une chanson américaine célèbre. Ou à l’instar de Nelson Mandela, lorsqu’il fut l’invité surprise d’un concert du chanteur Johnny Clegg reprenant Asimbonanga, titre mythique de la lutte anti-apartheid ?
Oligui Nguema, avec son exercice de politique récréative, marque ainsi son empreinte dans ce Gabon post-Ali Bongo.
Une stratégie bien rodée
Cette stratégie s’inscrit dans une tendance plus large : la volonté, pour certains dirigeants africains, de renverser les codes figés du pouvoir en mettant en avant une forme de confiance renouvelée. Là où le costume militaire suffisait autrefois à imposer le respect, le général-président a préféré le tee-shirt, le sourire large et les pas de danse maîtrisés.
Une manière de dire : je ne suis pas là pour effrayer, je suis là pour rassembler.Le message est clair : la légitimité ne vient plus seulement d’un passé militaire, mais de la capacité à créer du lien.
En cela, Oligui s’inscrit dans un schéma politique de l’émotion, du corps mis en scène. « Je peux danser, mais c’est moi qui mène la danse. Autrement dit, la forme est moderne, mais le fond reste celui d’un pouvoir fort, concentré, stratégique. Une manière habile de renouveler la façade sans toucher aux piliers », nous confie l’expert ivoirien en marketing politique, président du Réseau des Jeunes Leaders (RIL), Fona Konaté.
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De son côté, Michel Vialatte, expert-consultant international en gouvernance et politiques publiques, explique : « Deux leçons peuvent être tirées de cette élection : un sens tactique du vainqueur, qui a su surfer avec habileté sur son image d’éliminateur du clan Bongo dont il fut pourtant, paradoxalement, le pilier militaire du régime ; et l’émergence d’une opposition, elle aussi paradoxalement désormais incarnée par celui qui fut le dernier Premier ministre d’Ali Bongo, Alain-Claude Bilie-By-Nze, mais qui a su construire une offre d’alternance, aujourd’hui en germes. »
Rappelant les défis du pays, qui seront toujours là après l’extase de la victoire, l’expert précise :
« Le pouvoir de transition a fait le choix d’investissements très coûteux, par le rachat d’entreprises par l’État, par des travaux et projets de prestige, tels que la Cité de la Démocratie ou le lancement de Libreville 2 ou d’un nouvel aéroport. Il est probable que dans les mois à venir, alors que les paiements de la Banque mondiale sont déjà suspendus, les organisations financières internationales imposent au pays un plan drastique de remise en ordre des finances publiques pour prévenir une incapacité du Gabon à faire face à ses échéances financières. Toutefois, on ne peut exclure des moratoires ou abandons de créance de la part de pays occidentaux prêteurs. »
Ses années marocaines…
Il faut noter que le président élu du Gabon a passé de nombreuses années au Royaume. Il fut formé à l’Académie royale militaire vers les années 98. En 2009, il fut encore envoyé à Rabat comme attaché militaire, après le décès de Bongo père, dont il était l’aide de camp.
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« Les investisseurs marocains sont déjà très présents au Gabon, dans le secteur bancaire, ceux du numérique, de l’agriculture et récemment du logement. L’intérêt du nouveau régime est de poursuivre le rééquilibrage entre puissances présentes au Gabon, qui reste trop une économie de rente. Sur ce plan, s’appuyer sur une puissance économique continentale, dans un cadre d’échanges Sud-Sud, répond à cette nécessité d’un rééquilibrage. Le Maroc a donc toute sa place dans les années à venir au Gabon », prévient Vialatte.