L’Algérie sous Tebboune : un pays en guerre contre lui-même?
Depuis son investiture en décembre 2019, Abdelmadjid Tebboune, multiplie les déclarations et les décisions qui renvoient une image d’un pays où la fragilité institutionnelle et la défiance vis-à-vis de la liberté d’expression s’imposent comme des traits dominants.
A écouter ses discours et à observer les actes de son administration, on pourrait croire que l’Algérie est la nation la plus vulnérable au monde, où chaque voix dissidente ou indépendante est perçue comme une menace existentielle.
Un climat de défiance généralisée
Le mandat de Tebboune a été marqué par des arrestations et des condamnations spectaculaires visant des journalistes, des intellectuels et des militants. Ces actions, souvent justifiées par des accusations de « trahison », rappellent les sombres procédés des années de guerre d’indépendance, où les militants du FLN considéraient les harkis et autres délateurs comme des ennemis de l’intérieur. Cette vision semble s’être transposée dans l’Algérie indépendante, où les armes de l’ennemi sont devenues la démocratie et la liberté d’expression.
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L’exemple de Khaled Drareni, arrêté en 2020 pour avoir couvert les manifestations du Hirak, est emblématique. Condamné à deux ans de prison pour « atteinte à l’unité nationale », Drareni a été décrit par Tebboune comme un « traître » dans des déclarations relayées par des médias d’État. Cette rhétorique, emprunte de vocabulaire guerrier, place le journaliste dans une catégorie d’ennemis, une posture surprenante dans un contexte supposément démocratique.
El Kadi Ihsane et le contrôle des médias
En 2022, El Kadi Ihsane, figure majeure du journalisme indépendant en Algérie, a été arrêté et condamné à sept ans de prison pour des accusations de « financement étranger ». Les critiques internationales et locales n’ont pas dissuadé le président Tebboune de maintenir une posture rigide. La grâce présidentielle accordée à El Kadi en 2024, lors du 70ᵉ anniversaire de la guerre d’indépendance, semble davantage répondre à des pressions extérieures qu’à un réel engagement en faveur de la liberté de la presse.
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Les intellectuels sous surveillance
Les écrivains Kamel Daoud et Boualem Sansal illustrent une autre facette de cette guerre déclarée à la liberté de pensée. Bien que Tebboune n’ait pas explicitement mentionné Daoud dans ses discours, l’écrivain, connu pour ses critiques du pouvoir algérien, a été victime de campagnes de diffamation orchestrées par des relais proches du régime. Quant à Sansal, accusé de « terrorisme » en 2024, son cas reflète une escalade dans la criminalisation des intellectuels.
Un style présidentiel controversé
Contrairement à ses prédécesseurs, Tebboune adopte un style direct et peu diplomatique, qualifiant ses adversaires de « traîtres » ou de « khabardjis » (indic.), une expression de consonnance turque pour désigner un espion. Cette approche rompt avec la tradition des dirigeants algériens, qui préféraient déléguer les campagnes de discrédit à des relais politiques ou médiatiques. En assumant publiquement cette rhétorique, Tebboune expose non seulement son régime à des critiques, mais engage aussi l’image de l’Algérie sur la scène internationale.
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Un climat d’hostilité envers la démocratie
Les arrestations massives, les procès expéditifs et les condamnations sévères traduisent une stratégie de gestion autoritaire où toute contestation est perçue comme une menace. Cette logique alimente un climat de peur et de méfiance, non seulement parmi les journalistes et les intellectuels, mais aussi au sein de la société civile. Pourtant, elle révèle aussi une vulnérabilité structurelle : un pouvoir qui ne tolère pas la critique avoue, en creux, son incapacité à gérer la diversité des opinions.
Continuité ou rupture ?
En analysant la gestion des voix dissidentes sous Tebboune, on remarque une continuité avec les pratiques de ses prédécesseurs, mais aussi des ruptures notables. Si l’hostilité envers la liberté d’expression est un trait commun aux régimes postindépendance, Tebboune se distingue par une approche frontale et une absence de subtilité dans sa répression. Là où ses prédécesseurs s’appuyaient sur des campagnes orchestrées par des tiers, Tebboune assume directement ses actions, donnant une image d’un pouvoir autoritaire centralisé et peu soucieux de son apparence démocratique.
Un avenir incertain
Alors que Tebboune entame la fin de son premier mandat, l’Algérie semble plus divisée que jamais. Le discours présidentiel, imprégné de termes accusateurs, accentue les fractures sociales et politiques. La communauté internationale, bien qu’alertée par ces dérives, reste prudente, oscillant entre critiques et pragmatisme.
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L’Algérie qui pourrait être un modèle régional de stabilité dans le cadre d’une intégration maghrébine, est très loin aujourd’hui de ce statut potentiel. Sous Tebboune, elle semble s’enfermer dans une posture défensive, combattant partout des ennemis imaginaires au détriment d’un véritable dialogue national. A moins d’un changement radical, les années à venir risquent de voir s’approfondir une crise où les principaux perdants seront la démocratie et, donc aussi, le peuple algérien.