Le bon, la brute et le truand : Une saga algérienne
L’Algérie nouvelle promise par Abdelmadjid Tebboune ressemble davantage à un western spaghetti qu’à une république libre et démocratique. À quelques mois de l’élection présidentielle anticipée, nous plongeons dans cette chronique au cœur du paysage politique tumultueux de ce pays, à travers trois personnages lourds de symboles.
L’Algérie, ce grand pays si riche, qui regorge de ressources naturelles, attire naturellement les convoitises. Un peu comme le trésor de 200 000 dollars caché par Bill Carson, ce personnage représentant un soldat confédéré du film culte de Sergio Leone, « Le bon, la brute et le truand ». Le trésor algérien, c’est évidemment son immense manne pétrolière et gazière, qui reste la chasse gardée de l’armée algérienne, incarnée par la « brute », Saïd Chengriha, tandis que derrière, le « truand » Abdelmadjid Tebboune s’accroche à son fauteuil de président pour espérer garder sa part du gâteau. Mais il existe aussi une autre Algérie, incarnée par le « bon », le militant Karim Tabbou, qui nourrit des espoirs plus nobles envers ce pays littéralement mis à sac. Triptyque.
- La brute
L’homme fort de l’Algérie se nomme Saïd Chengriha, chef d’État-major de l’armée. Le général de 78 ans incarne à lui seul toute la brutalité du régime. Tout comme le personnage de Sentenza du film de Sergio Leone, Saïd Chengriha n’a ni foi ni loi. En 1994, pendant la guerre civile, il aurait assassiné froidement un homme d’une balle dans la tête, un crime immortalisé dans le livre de son subalterne de l’époque, Habib Souaidia, intitulé « La sale guerre » : Le témoignage d’un ancien officier des forces spéciales de l’armée algérienne’.
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Assassin un jour, assassin toujours, serions-nous tentés de dire. Car les pratiques de ce galonné n’ont apparemment pas changé depuis les années 90. Qui a donné l’ordre de tirer sur les jeunes jet-skieurs marocains qui ont malencontreusement franchi la frontière algérienne l’été dernier si ce n’est les plus hautes instances de l’armée algérienne ? Et puis, qui a tué le prédécesseur de Saïd Chengriha, le général Gaïd Salah ? D’aucuns pointent du doigt la responsabilité de Chengriha lui-même. Sinon, comment expliquer que tous les généraux jugés et emprisonnés pour certains (Khaled Nezzar, Toufik…) aient été libérés et même décorés après la prise de pouvoir de Chengriha ? Chengriha semble coller à merveille au personnage de Sentenza : même insensibilité, même cruauté et même… brutalité.
- Le truand
À l’instar de « Tuco », le personnage d’Eli Wallach dans le film de Leone, Abdelmajid Tebboune est aussi vorace que manipulateur. Mis à la tête de la république algérienne par feu le général Gaïd Salah, Tebboune n’a pas hésité à trahir son mentor en rejoignant les rangs du nouveau patron de l’armée, Saïd Chengriha. Sous la présidence de Tebboune, les généraux Nezzar et Toufik ont été condamnés, et c’est lui-même qui les a décorés lors d’une réception solennelle quelques années plus tard. Véritable As en détournement de veste, Abdelmadjid Tebboune traîne aussi derrière lui certaines casseroles. Condamné pour une sombre affaire de trafic de cocaïne, le fils d’Abdelmadjid Tebboune est comme par magie libéré sous la présidence de son père.
Et que dire des sorties médiatiques du président algérien ? De véritables one-man-shows à faire pâlir les plus grands comiques de stand-up. Comme lorsqu’il affirme que George Washington a offert un pistolet à l’Emir Abdelkader… avant sa naissance. Ou quand il jurait que 2023 était l’année de l’entrée de l’Algérie dans les Brics, la suite, on la connaît. Ou encore lorsqu’il promet de remédier au problème du manque de légumineuses dans les étals algériens. Et que dire de son coup de gueule, le point sur la table : « l’Algérie est une puissance de frappe » ! Tebboune et « Tuco », même combat.
- Le bon
Bien sûr, l’Algérie ne se résume pas à ces deux sombres personnages. Elle regorge d’hommes et de femmes de bonnes intentions. Si beaucoup ont choisi l’exil, certains ont, malgré toutes les difficultés, décidé de poursuivre leurs combats de l’intérieur. Le plus illustre d’entre eux est Karim Tabbou, le « Clint Eastwood » de notre chronique. Connu pour avoir incarné la figure tutélaire du Hirak, ce mouvement qui, en 2019, réclamait la chute du régime Bouteflika et l’établissement d’une vraie démocratie en Algérie, Karim Tabbou a en réalité une longue carrière politique derrière lui. Il avait notamment présidé le Front des Forces socialistes, le parti de gauche créé par l’illustre Hocine Aït Ahmed. Mais c’est le Hirak qui l’a véritablement propulsé au-devant de la scène, ainsi que son nouveau parti, l’Union démocratique et sociale.
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Bien sûr, les positions pro-démocratie et anti-junte lui ont valu bien des tracasseries. Emprisonné à de multiples reprises, Tabbou peut aujourd’hui être considéré comme la bête noire du régime algérien. Ce Kabyle de naissance est également un ami du Maroc. Vous n’avez qu’à visionner l’émission «Mais encore» diffusée jadis sur la chaîne 2M et lors de laquelle il avait été invité par Hamid Berrada, pour vous en convaincre.
Karim Tabbou a récemment été condamné à six mois de prison avec sursis. De quoi l’interdire de se présenter à la présidentielle anticipée prévue pour septembre prochain. C’est dire que le « bon » dérange au plus haut point le tandem Tebboune-Chengriha, qui compte bien profiter du magot… pour quelques années (dollars ?) de plus.