Société

Le droit à la déconnexion : un besoin croissant au Maroc

Lorsque votre employeur vous appelle à minuit pour vous reprocher de ne pas avoir été joignable, cela témoigne d’une emprise excessive du travail sur la vie privée.

Au-delà des horaires contractuels, la frontière entre vie professionnelle et personnelle devient floue, permettant aux employeurs de harceler leurs employés même en dehors des heures de bureau. Cette intrusion soulève une question importante : faut-il légiférer pour protéger les salariés au Maroc, à l’instar du droit à la déconnexion en vigueur en France depuis 2017 ?

En France, la loi El Khomri, adoptée le 1er janvier 2017, introduit le droit à la déconnexion pour protéger le temps de repos des salariés. Elle impose aux entreprises de plus de 50 employés de négocier des accords encadrant l’utilisation des outils numériques, notamment en dehors des heures de travail. Bien que cette législation ne comporte pas de sanctions directes pour les employeurs, elle en appelle à leur responsabilité morale pour protéger les salariés des abus de la sur-connexion.

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Cette législation a été motivée par la nécessité de réguler l’essor des technologies numériques, qui ont certes amélioré la productivité, mais ont aussi effacé la séparation entre le temps de travail et la vie personnelle. Le Maroc, où l’utilisation des outils numériques s’intensifie, pourrait-il s’inspirer d’une telle démarche pour protéger ses salariés ?

Où en est la vie privée des salariés marocains

Au Maroc, la question du droit à la déconnexion n’a pas encore été abordée par la législation. Pourtant, les salariés de nombreux secteurs, notamment la finance, le conseil, la communication et l’informatique, vivent des situations similaires à celles ayant conduit la France à adopter une telle loi. Dans ces secteurs, dépasser les horaires de travail est devenu la norme, avec des employés souvent sollicités durant les week-ends ou même pendant leurs vacances. Les smartphones et autres outils numériques permettent aux employeurs de maintenir un contact constant avec leurs équipes, exacerbant cette situation.

La psychologue du travail, Ghita Sfer, que nous avons interviewée, est convaincue de l’utilité d’un droit à la déconnexion au Maroc. « Ce qui est valable en Europe l’est aussi pour le Maroc, car l’inconscient est universel », affirme-t-elle. Selon elle, le droit à la déconnexion permettrait de mieux préserver l’équilibre entre vie privée et professionnelle, apportant ainsi un bien-être tant pour les employés que pour les employeurs.

Un phénomène amplifié par la pandémie du Covid-19

La pandémie de Covid-19 a davantage amplifié cette tendance à la sur-connexion, notamment avec le télétravail. Ce mode de travail a souvent conduit à une difficulté accrue à se déconnecter après les heures de bureau. Les entreprises, cherchant à maintenir leur productivité, ont intensifié les communications numériques, rendant le travail omniprésent dans la vie des employés. Ghita Sfer souligne que, pour que le droit à la déconnexion soit effectif, il est indispensable de former les managers et d’accompagner les équipes pour sensibiliser aux enjeux du bien-être au travail.

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« Les managers doivent apprendre à faire confiance, à respecter les besoins des employés, notamment en situation de télétravail », explique-t-elle. La formation des managers est essentielle pour garantir une prise en compte réelle des besoins des salariés et instaurer un environnement de travail équilibré.
L’absence de cadre légal au Maroc

Malgré cette situation, le Maroc ne dispose pas encore de lois encadrant spécifiquement le droit à la déconnexion. Le Code du travail marocain fixe des durées légales de travail, mais reste silencieux sur l’utilisation des outils numériques après les heures de bureau. Ce vide juridique expose les employés à des sollicitations excessives, ce qui peut être perçu comme un manque de motivation si les sollicitations sont ignorées.

Ghita Sfer insiste sur l’importance de mettre en place des mesures pour protéger les travailleurs. « Depuis une dizaine d’années, nous proposons des cellules d’écoute et d’accompagnement psychologique aux entreprises pour aider les salariés à faire face à cette pression », indique-t-elle. Ces dispositifs permettent de prévenir les risques de burn-out et d’améliorer la qualité de vie au travail.

Vers un besoin de légiférer ?

Face à cette situation, plusieurs experts et syndicats appellent à l’instauration d’une législation pour protéger les salariés marocains contre la sur-connexion. Inspirée du modèle français, une telle loi clarifierait la frontière entre le temps de travail et la vie privée, tout en protégeant les employés des abus liés à l’utilisation des outils numériques. Selon Ghita Sfer, une législation sur le droit à la déconnexion « pourrait contribuer à réduire les cas de burn-out au Maroc, à condition d’accompagner les salariés et de former les managers à cette nouvelle dynamique ».

Des entreprises responsables ?

En attendant l’éventuelle adoption d’une législation, certaines entreprises marocaines pourraient prendre l’initiative de réguler l’usage des outils numériques. La mise en place de chartes internes ou de politiques de gestion du temps de travail permettrait de limiter l’intrusion dans la vie privée des employés et de créer un environnement de travail plus sain. Pour Ghita Sfer, « les entreprises qui prennent conscience de ces enjeux mettent déjà en place des actions comme des team buildings ou des séances d’accompagnement psychologique ».

Les jeunes générations, plus conscientes des enjeux liés au bien-être, adoptent déjà des pratiques visant à équilibrer vie professionnelle et privée. Cependant, les employés plus âgés, qui ont souvent bâti leur identité autour de leur travail, peuvent être plus vulnérables face à la pression. « Ces salariés, souvent très dévoués à leur travail, nécessitent parfois un accompagnement psychologique plus important », conclut la psychologue.

 
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