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Le général Changriha au gouvernement algérien: un pion visible pour masquer l’invisible ?

La nomination au gouvernement du général Saïd Changriha, chef d’Etat major de l’armée, marque un tournant apparent dans le paysage politique en Algérie. Pourtant, cette décision, loin d’être anodine, en dit long sur la dérive autoritaire qui s’est accélérée après la confiscation de la voix du Hirak.

Ce vaste mouvement de contestation, qui a ébranlé les assises idéologiques et le pouvoir des militaires le 22 février 2019, a imposé une réponse forte : une remise des pendules à l’heure.

Après une période marquée par la répression, les arrestations en masse et la neutralisation de toute forme de contestation populaire, l’Algérie est entrée dans une nouvelle phase. Il ne s’agit plus de museler, mais de conforter le pouvoir par des procédés méthodiques, inscrits dans le temps long de la gestion politico-idéologique. Le retour d’un certain calme social permet aux militaires de redéfinir leurs priorités, non pas en cédant une partie de leur influence, mais en la réaffirmant sous des formes plus subtiles.

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Cependant, il serait erroné de voir dans cette nomination de Saïd Changriha un symbole d’émancipation politique ou un signe d’ouverture. En réalité, cette « mesurette » ne vise qu’à distraire l’opinion publique en offrant un visage politique à un pouvoir qui, de l’aveu même des Algériens, s’exerce ailleurs. Changriha, à 79 ans, incarne moins un réel pouvoir qu’une façade, celle d’un système opaque opérant dans l’ombre.

Le mythe de la prise de contrôle par l’armée

Reconnaître cette décision comme hautement symbolique reviendrait à accepter l’idée que l’armée devait conquérir une place qui lui échappait. Or, rien n’est plus faux. L’armée algérienne n’a jamais eu besoin de se placer directement sur l’échiquier politique pour en tirer les ficelles. Son choix d’occuper une position visible aujourd’hui vise uniquement à redonner une crédibilité factice à un espace politique civile complètement vidé de sa substance. Tous les Algériens savent avec une limpide clarté que l’Armée, représentée par un état-major occulte, reste le véritable centre de gravité du pouvoir.

En réalité, l’armée algérienne n’a jamais eu de visage propre, se contentant de figures publiques interchangeables pour masquer sa véritable nature, y compris quand ces figures semblent détenir un pouvoir certain. Ce sont des « lampistes », des prête-noms, désignés pour occuper la scène tout en laissant la prise de décision dans les mains d’un cercle fermé. Cette invisibilité volontaire reflète une tradition où le silence oppressant de l’armée, surnommée par les journalistes « la Grande Muette », traduisait une mainmise implacable des militaires sur le pays.

Quand la « Grande Muette » devient bavarde

Cependant, les événements du Hirak ont bouleversé cette stratégie du silence. Pour endiguer la contestation populaire, l’armée a dû s’exprimer, rompant avec des décennies de mutisme stratégique. Ce fut une véritable logorrhée, amorcée par le général Gaïd Salah et poursuivie par Saïd Changriha. Ce dernier, souvent en parallèle des déclarations de Tebboune, multiplie les discours fleuves devant son état-major. Ces interventions, relayées par les médias et analysées dans les moindres détails, servent de feuille de route implicite pour l’appareil étatique.

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L’armée, jadis muette, s’est ainsi dotée d’une voix pour contrôler le narratif, tout en continuant à exercer son pouvoir dans les coulisses. Les paroles de Changriha, bien qu’abondantes, ne sont qu’un reflet de l’autorité militaire toujours en vigueur, une façade pour masquer l’immobilisme politique.

Depuis l’arrivée de Tebboune au pouvoir, la place des militaires dans les institutions publiques s’est renforcée de manière spectaculaire. Le retour des fameux « colonels inquisiteurs » au sein des ministères et grandes institutions est une preuve supplémentaire de cette militarisation rampante. Ces figures, autrefois discréditées, ont retrouvé leurs prérogatives d’antan, souvent au détriment des cadres civils. Connus pour leur fonction de renseignement, ils réinstaurent une peur diffuse dans les ministères, où ils sont souvent perçus comme les véritables détenteurs du pouvoir.

La politique kaki : un retour à l’avant-Bouteflika

Cette omniprésence militaire, loin d’être une nouveauté, rappelle les heures sombres de l’ère pré-Bouteflika, marquées par une imbrication complète entre pouvoir civil et militaire. La seule différence notable aujourd’hui est la capacité de l’armée à habiller cette influence d’une façade politique, comme pour donner une légitimité à son emprise.

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Ce changement vise à détourner l’attention du véritable pouvoir, celui qui alloue chaque année plus du tiers du budget de l’État à l’armement, aux bases et casernes militaires. Ce n’est pas une coïncidence si cette nouvelle stratégie prolonge et approfondit une récession de la confiance publique envers les institutions civiles.

La « coloration kaki » de la politique algérienne, pour reprendre une métaphore évocatrice, n’est pas une nouveauté, mais plutôt un retour à une réalité où l’armée occupe sans partage le devant de la scène. Ce retour, loin d’être une régression isolée, s’inscrit dans une volonté systémique de maintenir le contrôle en jouant sur tous les tableaux politique, médiatique, socio-éducatif, etc.

La nomination de Saïd Changriha, loin de représenter une avancée ou un tournant significatif, s’inscrit dans une logique bien rodée de diversion. Elle reflète une volonté de l’armée algérienne de consolider son emprise tout en cultivant l’apparence d’une évolution politique. Mais derrière ce pion visible, le véritable pouvoir reste bien en dehors de la lumière, orchestré par des cercles occultes. Les Algériens, loin d’être dupes, continuent de voir dans cette façade politique une autre manière de verrouiller le système.

 
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