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Le grand malaise des élites musulmanes de France

Depuis quelques années, les élites musulmanes subissent un véritable bashing en France. Obligées de changer leur nom, cela ne semble pas suffire. Exclues du corps social, ces dernières ont été contraintes de quitter la France.

« La France, tu l’aimes mais tu l’as quittée », c’est le titre du livre de trois universitaires, Alice Picard, Olivier Esteves et Julien Talpin, qui ont enquêté sur la « fuite silencieuse » de l’élite musulmane de France. Leur étude s’appuie sur plus de 1 000 témoignages de personnes nées et ayant grandi en France, mais qui, un jour, ont choisi de partir. Tous sont de confession musulmane, qu’ils s’appellent Smaïl, Karim, Khalid, Nouria ou encore Emeline. S’ils sont partis, la plupart du temps, c’est pour qu’on « leur fiche la paix avec leur religion », vulgarise un des coauteurs, Olivier Esteves, professeur spécialiste du monde anglophone à l’université de Lille. Rappelons que c’est le New York Times qui fut le premier à mettre en lumière ce phénomène sociologique.

« Islamophobie d’atmosphère »

Ces dernières décennies, la France de Jean Jaurès, de Victor Hugo, de Zola est plongée dans une forme d’obscurantisme sur fond de passion. Les adeptes du grand remplacement ont fait des musulmans une cible en France. Oubliant les vrais problèmes de fond de la société, certains politiques choisissent, ces dernières années, de jouer sur les passions pour gagner en audience. Selon le livre, il ressort de cette enquête sociologique deux motivations principales pour justifier le départ : 71 % des personnes interrogées lors de l’enquête évoquent « le racisme et la discrimination » et 63 % avancent spontanément la « difficulté de vivre sereinement leur religion ». Pour Alice Picard, coauteure et chercheuse, il s’agit d’une « islamophobie d’atmosphère ».

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Notons qu’une enquête publique de 2017 a révélé que les hommes français arabes ou noirs étaient 20 fois plus susceptibles d’être identifiés par la police. Un rapport gouvernemental publié en novembre 2021 a révélé que les candidats portant le nom « Arabe » étaient 31 % moins susceptibles d’être appelés pour les entretiens d’embauche.

Une de nos sources au sein du cabinet international Asafo nuance en nous confiant que cette enquête montre plus la baisse de l’attractivité française. « C’est très réducteur de croire que ces départs seraient seulement causés par les discriminations. On a aujourd’hui des Français de toutes franges qui quittent aujourd’hui la France pour le Canada ou encore les USA. C’est une question d’opportunité », explique la source.

Les identitaires, heureux gagnants ?

« Aujourd’hui, vous retrouverez à Drancy, à Montreuil et à Château Rouge, vous avez des contrées qui sont des zones de non-France. Il y a des territoires aujourd’hui où un Français qui est né là n’est plus en France », déclarait le candidat Eric Zemmour, aux élections de 2022. Un discours exacerbé avec la montée en puissance des actions terroristes et de vandalisme à l’encontre de la police (meurtre de Samuel Paty, d’un agent de la police).

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Aujourd’hui, on note donc un véritable pic au niveau de la courbe du discours identitaire où le déni de francité d’une frange de la population est utilisé comme un cheval de Troie servant les agendas politiques. Zemmour, Jean Messiha, Le Pen mère et fille, la liste est longue ! Les apôtres de la nouvelle France qui souhaitent faire de certains des apatrides sont plus que jamais mobilisés. Et dans l’axe identitaire, des plus modérés aux plus extrêmes, l’islam et l’immigration constituent le fer de lance de leur communication. « Dans les cités, des classes ne sont plus tenues. La laïcité, la culture, les mœurs françaises ne sont plus respectées. Car des populations immigrées veulent vivre comme là-bas. Et dans l’Islam la laïcité n’existe pas. L’islam, c’est la soumission », déclarait Zemmour (une théorie de Renaud Camus reprise par ce dernier).

 » Il faut noter que le racisme à l’égard des hommes d’origine maghrébine restent prégnant en particulier en matière de discrimination à l’embauche puisque 31,5% des candidats dont « l’identité suggère une origine maghrébine » auront à date moins de chances d’être contactés par des recruteurs en France », note pour sa part Yasmina Asrarguis, experte en relations internationale. « Au-delà de ces chiffres, il faut bien comprendre que nous vivons dans un monde de plus en plus globalisé et le Maroc à l’instar de Dubaï ou de Riyadh deviennent des destinations privilégiés pour de jeunes français d’origine maghrébine. L’ambition et le dynamisme de ces économies du Sud attirent de nouveaux profiles et la volonté de construire ce nouveau monde attire davantage que l’Europe qui apparaît en déclin sur le plan économique, démographique et géopolitique dans une moindre mesure », analyse-t-elle.

Cependant, à l’heure où certains Français sont bannis des médias ou des réseaux sociaux, aujourd’hui on assiste à une indifférence totale face à l’implantation dans le champ national de discours ultra-radicalisés. Ce qui soulève des interrogations au sujet de cette France éprise de liberté, d’égalité, de fraternité et demeurant attachée aux valeurs humanistes. Par ailleurs, il faut souligner que ce discours construit sa légitimité sur les frustrations des masses dans une France fragilisée par la conjoncture économique.

 
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