Géopolitique

Le Maghreb: un passé commun, un avenir incertain

Le Maghreb, région composée de l’Algérie, de la Libye, du Maroc et de la Tunisie, est à la croisée des chemins. Alors que ces pays partagent une histoire riche et commune, les divergences économiques et politiques les ont conduits à emprunter des chemins distincts, faisant de l’idée d’un Maghreb uni un rêve lointain.

Un panel d’experts réunis à Londres pour discuter du devenir de cette région, sous le titre évocateur « Shared pasts, different futures? », a exploré les causes profondes de ces divergences et les défis à venir pour les pays du Maghreb. Ce groupe d’intellectuels composé d’universitaires et de penseurs reconnus, dont Omar Bessaoud, Mehdi Lahlou, et Fatma Oussedik, a formulé des observations cruciales sur le développement économique, la dépendance à la rente, et la difficulté de créer une coopération régionale durable.

Une économie bâtie sur la rente et le peu de valeur ajoutée

Depuis l’indépendance, les économies nord-africaines ont principalement reposé sur l’exportation de ressources naturelles telles que le pétrole, le gaz, les phosphates, et les produits agricoles. Ce modèle de développement, bien qu’ayant permis une croissance économique dans les premières décennies, montre aujourd’hui ses limites. Les critiques formulées par les experts, à l’instar de Gilbert Achcar, soulignent que le capitalisme clientéliste, allié aux intérêts étatiques, a créé une instabilité pour les investissements à long terme. Cela a été particulièrement visible en Algérie et en Libye, où la dépendance aux hydrocarbures a rendu les économies fragiles face aux fluctuations des prix internationaux.

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Le Maroc, quant à lui, a fait le choix de diversifier son économie en investissant dans des secteurs comme les phosphates, les infrastructures portuaires, l’industrie automobile et les industries émergentes. Cependant, une croissance qui reste inégalement répartie, et tout l’effort de l’Etat, à travers les CRI, est de faire en sorte que les retombées économiques puissent contribuer à terme à réduire les inégalités sociales.

Une intégration économique en suspens

Un des points saillants abordés lors de cette rencontre est l’absence flagrante de coopération régionale. La fermeture des frontières entre le Maroc et l’Algérie, exacerbée par les tensions politiques et diplomatiques, constitue un frein majeur au développement économique commun. Comme l’a rappelé Francis Ghiles, chercheur associé au CIDOB, cette fermeture rend pratiquement impossible la création d’une dynamique d’intégration économique, qui serait pourtant bénéfique pour la région. La persistance de ce statu quo perpétue un nationalisme économique, où chaque pays tente de maximiser ses gains sans se soucier de la coopération régionale, pourtant essentielle dans un monde globalisé.

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L’intervention de l’OTAN en Libye, qui a conduit à l’effondrement de l’État, a également laissé la région dans une situation d’instabilité où des puissances étrangères interviennent pour défendre leurs propres intérêts. Cette ingérence internationale complique davantage les perspectives d’intégration régionale. L’exemple de la Libye illustre, selon Tarek Megerisi du Conseil européen des relations internationales, comment des puissances extérieures continuent d’influencer le devenir du Maghreb, rendant tout effort de coopération interne encore plus complexe.

Le rôle ambigu de l’Europe

La relation entre l’Europe et l’Afrique du Nord, historiquement marquée par la colonisation et une interdépendance économique, est aujourd’hui à un tournant critique. La Méditerranée, qui autrefois constituait une voie de communication dynamique, est désormais perçue à travers le prisme de l’immigration illégale, une question devenue prioritaire pour les pays européens. Les crises en Ukraine et à Gaza ont accentué les divisions entre les deux rives. Comme le note Mary Fitzgerald, de l’Institut du Moyen-Orient à Washington, l’Europe semble aujourd’hui incapable de penser stratégiquement, prisonnière de préoccupations internes, et reléguant les relations avec le Maghreb au second plan.
Si certains observateurs comme Hassan Benabderrazik, d’AgroConcept à Rabat, estiment que l’Europe pourrait encore jouer un rôle dans la transition économique du Maghreb, d’autres, tels que Riccardo Fabiani du Groupe de crise international, sont plus sceptiques quant à la volonté réelle de l’Europe de s’engager sur le long terme avec ses voisins du sud.

Une nouvelle réflexion économique nécessaire

Les experts présents à cette conférence ont unanimement appelé à une refonte du modèle économique maghrébin. Le modèle basé sur l’exportation de matières premières et l’attraction d’investissements étrangers n’a pas réussi à créer une croissance durable ni à réduire la pauvreté. Mehdi Lahlou, ancien professeur à l’Institut national de statistique et d’économie appliquée de Rabat, a rappelé que la réduction des investissements publics, sous l’impulsion du FMI et de la Banque mondiale dans les années 1980, a affaibli les capacités des États à soutenir l’emploi et à stimuler l’innovation.

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Le défi majeur pour les pays du Maghreb, nous disent ces experts, réside dans leur capacité à créer un environnement plus prévisible pour les investissements à long terme, tout en développant des secteurs générateurs de valeur ajoutée. Cela passe notamment par un investissement massif dans l’éducation, les nouvelles technologies et la formation professionnelle. Les institutions publiques doivent également devenir plus transparentes et responsables, afin de mettre fin à la corruption endémique qui freine toute dynamique de changement.

Un avenir dépendant de la société civile et des élites

Enfin, les intervenants ont souligné que le succès de toute réforme dépendra de la capacité des élites à dialoguer avec une société civile plus éduquée et engagée. Le Maghreb compte une jeunesse dynamique et innovante, mais celle-ci est souvent contrainte de migrer vers l’Europe faute de perspectives d’avenir dans son propre pays. Comme l’a souligné Jonathan Hill, directeur de l’Institut des études du Moyen-Orient au King’s College de Londres, la fuite des cerveaux est une perte immense pour la région. Si cette tendance se poursuit, les pays du Maghreb continueront de perdre leurs talents au profit des économies occidentales, creusant encore davantage les inégalités.

Les conclusions de cette conférence sont claires : pour sortir de l’impasse actuelle, les pays du Maghreb doivent repenser en profondeur leurs modèles économiques respectifs afin de les harmoniser dans une perspective d’intégration régionale effective en vue de faire face à ce monde globalisé. Cela moyennant un investissement plus fort et plus engagé dans les compétences locales. Le chemin est long et semé d’embûches, mais les débats ouverts lors de ce panel ont donné un signal d’espoir que la région pourrait, avec du temps et des efforts concertés, embrasser un avenir plus prometteur.

 
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