Le Maroc est-il préparé à la disruption portée par l’IA ?

Le développement de l’Intelligence Artificielle (IA), une technologie de rupture, soulève des interrogations d’ordre éthique, anthropologique, économique et social à tous les pays. En réponse à ces défis, l’UNESCO a produit une directive sur l’éthique de l’IA, sous le vocable ‘’Recommandation’’, afin d’offrir aux États membres un cadre normatif pour l’IA. Le Maroc a été parmi les 1ers à rejoindre le projet pilote d’évaluation afin d’avoir un diagnostic de son état de préparation à l’IA, dont le résultat vient d’être publié récemment.
La Recommandation de l’UNESCO sur l’éthique de l’IA, adoptée en novembre 2021, est une initiative mondiale qui vise à offrir aux États un cadre normatif pour l’encadrement de l’IA tout en tirant parti de ses opportunités potentielles. Plusieurs pays sont en phase de traduction de cette Recommandation dans leurs cadres institutionnels et réglementaires nationaux. En mars 2022, le Maroc devient un des premiers pays à annoncer la mise en œuvre officielle de la Recommandation, et constitue un comité national de pilotage à cet effet. Un an plus tard, le Royaume rejoint le projet pilote de l’UNESCO, constitué de 4 pays uniquement, pour procéder à l’évaluation de son état de préparation à l’IA à travers l’outil ‘’Readiness Assessment Methodology ou RAM’’.
L’exercice RAM a permis, au travers de plusieurs indicateurs qualitatifs et quantitatifs, de cartographier l’écosystème national marocain pour évaluer le taux de préparation du pays à l’IA. Le diagnostic recense en effet, les potentialités ainsi que les points forts tout en mettant en exergue également les lieux nécessitant des améliorations et des développements. Au terme de son diagnostic, l’équipe de l’UNESCO a produit un rapport présentant les résultats de cette exploration 360° du paysage du pays au travers des différents axes en relation avec l’IA. Ces résultats permettront au pays d’imaginer de nouvelles politiques sur la gouvernance éthique de l’IA et de construire une vision nationale consensuelle pour éclairer le développement d’une stratégie de l’IA.
Dans ce rapport, il est rappelé que le Maroc, dans son nouveau modèle de développement, considère le numérique comme un « véritable levier de changement et de développement…, catalyseur de transformations structurantes et à fort impact ». Avec cette vision, le pays cherche à exploiter le potentiel des technologies du numérique pour un développement efficient dans tous les secteurs. Au niveau du cadre juridique, son diagnostic indique que, certes, le Maroc n’a pas de cadres législatifs encadrant l’IA en soi, toutefois, plusieurs lois promulguées peuvent potentiellement s’appliquer à l’IA. Selon le Global Cyberlaw Tracker, le Maroc a mis en place des lois visant à réguler les transactions électroniques, à protéger les droits des consommateurs, à garantir la confidentialité des données, et à lutter contre la cybercriminalité. En effet, le pays dispose des 4 lois relatives au cyberespace(1), devançant des pays comme la Tunisie, le Nigeria, les Émirats Arabes Unis et l’Inde. De même, le Maroc a mis en place une législation protectrice des données à caractère personnel. Cette loi est alignée avec les principes internationaux et sera amenée immanquablement à évoluer, sachant que le Maroc a adhéré en 2019, à la ‘’Convention 108’’ relative au traitement automatisé des données à caractère personnel.
Parmi les éléments répertoriés, qui éclairent les avancées au Maroc en matière de l’IA, il y a la recherche en IA dont les indicateurs révèlent une augmentation du nombre de publications, témoignant d’un intérêt croissant de la communauté scientifique marocaine pour l’IA. En effet, selon les données de l’OCDE, le nombre de publications de recherche en IA au Maroc a considérablement augmenté, passant de 89 en 2012 à 1.123 en 2022. Cela souligne la prise de conscience grandissante au Maroc de l’importance de la recherche dans le domaine de l’IA. De même, plusieurs initiatives ont pu être relevées, notamment l’allocation de 50 M DH en 2019 au programme Al Khawarizmi, dédié au financement de projets de recherche en IA. Il y a aussi l’annonce en 2023, par le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la mise en place du premier institut national de recherche dédié à l’IA.
Toutefois, le diagnostic relève qu’il n’existe pas encore au Maroc de politique spécifique pour répondre aux impacts de l’IA sur l’environnement ou pour l’utilisation de l’IA dans la préservation du patrimoine culturel ou des langues autochtones. Concernant ce dernier point, l’encouragement de la recherche dans le domaine du traitement automatique du langage pour les langues locales (dialecte et amazigh) et la consolidation des pratiques de l’e-inclusion numérique pourraient contribuer aux respects des droits fondamentaux et des principes éthiques de la Recommandation.
De même, il a été relevé que le pays n’a pas chiffré les dépenses publiques en recherche et développement (R&D) spécifiquement sur l’IA. Les investissements dans la R&D du secteur public demeurent modérés, représentant environ 0,75% du PIB. On retiendra que le programme baptisé Al Khawarizmi reste le seul projet conséquent qui concernait spécifiquement l’IA. Autres constats, les données de l’OCDE qui permettent d’évaluer le total des investissements en capital-risque dans le domaine de l’IA et par secteurs nationaux, montrent qu’il y a des progrès significatifs entre 2020 et 2023, mais les taux d’investissement restent faibles, notamment par rapport à des pays comparables comme la Tunisie ou l’Égypte.
La dernière section du rapport a été consacrée à l’énoncé des propositions d’actions concrètes sous la forme de 17 recommandations, visant à exploiter les opportunités offertes par l’IA tout en se protégeant contre ses risques. Ces recommandations touchent divers aspects du RAM, allant de la réglementation et des cadres institutionnels aux investissements, à la recherche et au développement, ainsi qu’au renforcement des capacités. Il est surtout recommandé au Royaume d’établir une gouvernance multipartite et interdisciplinaire, de réviser certaines lois pour les adapter aux applications de l’IA tout en respectant les principes de la Recommandation de l’UNESCO sur l’éthique de l’IA.
1- Loi n°09-08, Loi n°05-20, Loi n°07-03 et Loi n°132-13.

Principales recommandations pour une stratégie de l’IA
1. Appliquer des dispositions normatives pour une adaptation aux phénomènes émergents à l’heure de l’IA.
2. Assurer le respect des principes d’un développement et une utilisation responsables de l’IA ;
3. Assurer le rôle de veille et de sensibilisation pour renforcer la robustesse de l’écosystème national de l’IA.
4. Assurer des pratiques de développement responsable, ainsi que des mécanismes de reddition de comptes en cas de préjudice.
5. Capitaliser sur la vision proposée par la ‘’Stratégie numérique 2030’’ attendue pour une accélération du développement, déploiement et utilisation de l’IA au Maroc.
6. Renforcer et consolider la gouvernance des données ouvertes.
7. Veiller à alimenter les systèmes d’IA par des jeux de données de qualité, contextualisées et adaptées à la réalité locale.
8. Encourager et favoriser le développement de la coopération internationale.
9. Investir dans un environnement éducatif moderne en concentrant les ressources substantielles et les infrastructures adéquates et assurer une veille talent.
10. Encourager les investissements dans la recherche et l’innovation inclusive et multidisciplinaire en matière d’IA.
11. Améliorer les capacités de l’ensemble des acteurs tout au long de la vie pour renforcer la confiance dans l’IA et préparer les travailleurs aux changements induits par l’IA.
12. Stimuler et soutenir le partenariat public-privé.
13. Veiller sur les impacts et sensibiliser sur les risques de l’IA pour pouvoir tirer parti de son potentiel en faveur de l’égalité et de l’équité et pour réduire la fracture numérique.
14. Investir dans la santé numérique en tirant parti des orientations et acquis nationaux.
15. Promouvoir des cas d’usage à fort impact social.
16. Mettre en place des politiques d’accompagnement en matière de culture et patrimoine et d’évaluation des impacts environnementaux de l’IA.
17. Favoriser des approches durables dans l’utilisation de l’IA en matière d’agriculture et d’énergie.
