Dossier

Sécheresse. Le Plan de bataille du gouvernement

Le Maroc n’a pas vécu une telle situation climatique depuis la grande sécheresse des années 1980. Depuis cinq ans, entre 2018 et 2023, le Royaume connaît encore l’une des pires sécheresses de son histoire. Comment le Maroc compte s’en sortir ?

Les chiffres fournis par Nizar Baraka, ministre de l’Equipement et de l’Eau, devant la commission parlementaire dédiée aux infrastructures, à l’énergie, aux mines et à l’environnement, sont alarmants et laissent entendre que le Royaume se dirige tout droit vers une sixième année de sécheresse supplémentaire. Les réserves en eau ont reculé de 5 milliards de mètres cubes l’année dernière à 3,7 milliards. 

Une situation préoccupante

Il faut dire, que les cinq années de sécheresses successives ont impacté négativement le niveau de remplissage des barrages. La hausse de 1,8 degré des températures au cours des cinq derniers mois, comparativement à la même période de l’année dernière, n’a pas été en reste. Cela a conduit à l’évaporation des eaux des barrages qui a dépassé 1,5 million de mètres cubes par jour. Avec des précipitations de 32 millimètres, les apports en eau des barrages n’ont pas dépassé 660 millions de mètres cubes alors que l’année dernière, ils étaient de plus de 1,5 milliard de mètres cubes. Tout cela fait que le Maroc a enregistré un grand repli. «Un seul indicateur en dit long sur le stress hydrique. La quantité d’eau par habitant, annuellement disponible pour chaque Marocain, est passée de près 2000 m³ en 1965 à moins de 700 m³ depuis 2020 », constate Mehdi Lahlou, Economiste et Professeur à l’Institut national de statistique et d’économie appliquée (Insea).

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Pour Abdeslam Touhami, Economiste, «le Maroc est l’un des pays les plus touchés par le stress hydrique au monde, un problème qui devrait s’aggraver dans les décennies à venir », précisant que  la disponibilité par habitant des ressources en eau renouvelables place le Maroc dans ce qui est considéré comme une situation de stress hydrique structurel (inférieur à 1.000 m3), se rapprochant rapidement du seuil absolu de pénurie d’eau de 500 m3 par personne et par an ».

La surexploitation des nappes phréatiques reste un problème majeur contribuant à la dégradation de la situation hydrique. Le ministre a spécifiquement cité des régions telles que Tadla, Béni-Amir, Souss, et Chtouka, où des baisses alarmantes du niveau des eaux souterraines ont été enregistrées, ce qui souligne l’urgence de mettre en œuvre des pratiques de gestion durable pour préserver ces précieuses ressources. Dans la gestion de ce chantier crucial, les instructions royales ont été on ne peut plus claires. L’Exécutif a été sommé d’instaurer une communication transparente, franche et régulière avec les citoyens sur les évolutions de la situation hydrique.

Accélération de la construction de barrages

Aujourd’hui, le plan d’urgence déployé inclut des mesures telles que l’accélération de la construction de barrages de différentes tailles. L’accroissement de la capacité des barrages dépasse actuellement 19,9 milliards de m³ grâce à la construction de 153 grands barrages et de 141 petits permettant de satisfaire les besoins en eau, d’assurer l’irrigation à grande échelle, ainsi que la protection contre les inondations et la production de l’énergie hydro-électrique. Cette capacité sera portée à près de 24 milliards de m³ d’ici 2030. Durant cette année, les travaux de construction de 18 grands barrages se poursuivront. C’est le cas de Mdez (Sefrou), Koudiat Borna (Sidi Kacem). Les travaux du barrage Ghiss (Al Hoceima) devraient s’achever cette année et ceux de Targa Oumadi (Guercif), et Bni Azimane (Driouch) sont prévus en 2025.

Le développement de projets de dessalement

Le plan d’urgence table également sur le développement de projets de dessalement pour fournir de l’eau potable aux villes côtières, tout en assurant une distribution équitable de l’eau à travers le territoire. Ce qui permettra au Royaume de diversifier ses sources d’approvisionnement en eau et aussi pour tirer profit des opportunités offertes par la diminution des coûts de production des eaux non conventionnelles. Ainsi, la capacité actuelle de l’eau dessalée devrait être portée de 186,58  millions de m³/an (11 stations) à plus de 1,4 milliard de m³/an et ce, avec le recours aux énergies renouvelables. Pour cela, après la mise en place de la station de dessalement de la ville d’Al Hoceima, de la province de Chtouka Ait Baha et de la ville de Laâyoune, l’année 2023 a été marquée par l’attribution du marché de la station de dessalement du Grand Casablanca. Cette station, d’une capacité de production annuelle de 300 millions de m3, entrera en exploitation début 2027. Le démarrage des travaux sur la première phase, qui concerne la production de 200 millions de m’, est prévu durant les premiers mois de cette année. Le coût global de la station, située à la commune rurale Lamharza Sahel/Sidi Rahal, est de l’ordre de 11 milliards de DH. Ce projet, lancé par l’ONEE dans le cadre du partenariat public-privé, sécurisera l’alimentation en eau potable d’une partie de la région de Casablanca-Settat. 

De même, un appel d’offres relatif au projet de la station de dessalement de l’Oriental a été lancé. Concernant les projets de dessalement de l’eau de mer de Safi et d’El Jadida, les travaux sont en cours et seront réalisés en deux étapes. La première au cours de la période 2022-2025 pour une capacité de 85 millions m³/an et la deuxième étape à partir de 2026 pour atteindre la capacité totale de 110 millions de m³/an. En outre, le plan prévoit l’achat de stations mobiles de dessalement pour traiter l’eau de mer et l’eau saumâtre.

L’interconnexion des infrastructures hydriques

Le gouvernement compte également continuer à miser sur les connexions entre les barrages, cela dans la foulée du projet d’interconnexion entre le bassin de Sebou et de Bouregreg. Ainsi, après ce projet baptisé par autoroute de l’eau sur les réseaux sociaux, il va s’attaquer à un nouveau tronçon d’une cinquantaine de kilomètres, connectant cette fois-ci le barrage Oued El Makhazine à celui de Dar Khrofa. Ce qui devrait sécuriser l’alimentation en eau potable et industrielle de la région de Tanger. Idem pour la connexion entre Jorf Lasfar et Casablanca sud afin d’amener l’eau dessalée dans la capitale économique. Il s’agit de régler l’histoire du grand recul du barrage d’Al Massira. A noter, que le projet d’autoroute d’interconnexion des bassins de Sebou et de Bouregreg, qui a coûté 6 milliards de DH, le premier de la sorte au Maroc qui permet surtout de capter un volume important d’eau, habituellement perdu en mer, contribue à sécuriser la demande en eau potable des villes de Rabat et de Casablanca ainsi que les besoins de l’agriculture des régions concernées.

La Chasse au gaspi !

Si plusieurs mesures proactives ont été prises, l’une des opérations phares concernent la chasse au gaspillage et à la rationalisation de l’utilisation de cette ressource vitale. Ainsi, le plan d’urgence prévoit la continuation du programme de réutilisation des eaux usées pour irriguer les espaces verts et les terrains de golf, et la promotion de mesures d’économie d’eau au sein des réseaux de distribution d’eau potable et d’irrigation. Cette initiative comprend la limitation de l’utilisation de l’eau d’irrigation en fonction des besoins, ainsi que la mise en place d’une communication transparente et régulière concernant la situation hydrique et les actions d’urgence à prendre, en plus des efforts de sensibilisation à la préservation de l’eau et à la prévention du gaspillage. A Agadir, par exemple, cette solution de la réutilisation des eaux usées traitées pour arroser les espaces verts, a nécessité un investissement d’environ 150 millions de DH pour l’irrigation de près de 1.050 hectares d’espaces verts, selon la Régie autonome multi-services d’Agadir (RAMSA). L’objectif est ambitieux : augmenter l’utilisation de ces eaux à 17 millions de mètres cubes d’ici 2025, contre 4,5 millions en 2023, souligne-t-on auprès de la RAMSA.

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Il faut dire que le ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit, a précédemment émis des directives strictes aux gouverneurs et responsables régionaux, interdisant l’irrigation des espaces verts et jardins publics ainsi que l’utilisation de l’eau pour nettoyer les routes et espaces publics. Il a aussi exigé la régulation de l’usage de l’eau dans les hammams et stations de lavage de voitures, limitant leurs activités à quatre jours par semaine. De plus, le remplissage des piscines publiques et privées a été restreint à une fois par an, et les pratiques agricoles consommant excessivement d’eau ont été prohibées. Quid de l’approvisionnement en eau potable pour l’été 2024 ? Nizar Baraka a exprimé un certain optimisme, affirmant que la plupart des zones desservies par l’ONEE ne devraient pas subir de pénuries. Cependant, il a aussi fait constater que 45 villes et centres, représentant 6% du total desservi et affectant 227.927 clients, pourraient rencontrer des difficultés. Cette situation est d’autant plus préoccupante que 40 villes et centres, avec un total de 230.094 clients, sont déjà confrontés à des perturbations dans l’approvisionnement en eau potable. Cette réalité met en évidence la complexité et l’ampleur des défis auxquels le Maroc est confronté dans sa quête pour assurer la sécurité hydrique pour tous ses citoyens.

Le stress économique
Avec ce stress hydrique, ce sont tous les secteurs de l’économie marocaine qui dépendent dans leur écrasante majorité des ressources hydriques, qui sont menacés. « Avec la fréquence accrue des saisons des pluies médiocres, la sécheresse pourrait devenir un défi structurel, impactant sérieusement l’économie à long terme. Comme l’a indiqué la Banque mondiale, cette rareté de l’eau pourrait entraîner une baisse du PIB réel pouvant atteindre 6,5% », prévient Abdeslam Touhami, Economiste.   Selon ce dernier, le déficit hydrique constaté pour cette saison agricole remet profondément en question les prévisions de croissance 2024, notamment celles du Haut-Commissariat au Plan (3,2%) ou celles de la Banque mondiale (3,1%). Mais, si la classe politique pointe du doigt des problèmes de gouvernance et de distribution, pour de nombreux analystes, le Maroc est confronté à un problème plus vaste, coincé entre le réchauffement climatique et des industries gourmandes en eau. Le secteur agricole est l’un des domaines qui menace le plus la sécurité hydrique du Maroc, selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP). La consommation en eau du secteur primaire est évaluée à environ 9 milliards de m3 par an, tandis que les autres ne consomment que 1,28 milliard de m3. Le HCP relève dans son étude sur la question, une faible efficacité de l’utilisation d’eau dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture. «Pour infléchir cette tendance de stress hydrique, il est temps d’agir dans le sens de la réduction des usages agricoles de l’eau à moins de 50% des ressources mobilisées, au lieu de plus de 80% actuellement, le dessalement de l’eau de mer, le recyclage des eaux usées pour les usages touristiques, la lutte contre les pollutions et, à plus long terme, le reboisement du pays qui perd annuellement près de 30.000 h de son couvert végétal », estime Mehdi Lahlou, Economiste et Professeur à l’Institut national de statistique et d’économie appliquée (Insea). A noter que si les secteurs tels que le commerce, l’industrie alimentaire, les hôtels et restaurants consomment directement un faible pourcentage d’eau, leur indicateur de consommation totale (indirecte et directe) est plutôt élevé. 

 
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