Le temps du libre-échange semble bientôt révolu
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Au milieu d’une conjoncture géopolitique instable, le nouveau président américain, vient de déclarer une guerre commerciale, cette fois, à l’encontre de ses propres partenaires dans le cadre de l’Accord de libre-échange (ALE) qu’il a lui même signé en 2018, lors de son 1er mandat. Par ce geste, Trump 2.0 vient de remettre en question les ALE qui ont façonné la mondialisation heureuse ; un fait qui interpelle le Maroc, le seul pays africain à disposer d’un ALE avec les États-Unis.
Le confinement généralisé partout dans le monde, lors de la crise du Covid-19, avait paralysé les chaînes d’approvisionnement mondiales. Cette situation avait provoqué, entre autres, une pénurie des médicaments, qui perdure à ce jour, car l’industrie pharmaceutique s’est retrouvée à court d’intrants tels le paracétamol produit essentiellement en Chine. Comme d’autres secteurs, l’industrie automobile s’était arrêtée à cause de la pénurie des semi-conducteurs produits en Asie. Le résultat, après 30 ans de mondialisation, les pays développés se sont rendu compte qu’ils étaient dans l’incapacité de produire des biens essentiels sur leurs sols.
Par conséquent, la notion du protectionnisme a fait son retour et a déclenché une vague de rapatriement de certaines industries stratégiques à coup de subventions et de barrières douanières. Ainsi, Trump 1.0, avait déclenché depuis 2020 un plan de relocalisation de la production de puces informatiques prévoyant l’ouverture d’usines spécialisées sur le sol américain. Une démarche finalisée, après, par le décret ‘’Chips Act’’, signé par Joe Biden, qui a prévu une subvention de 40 MM $ pour financer le rapatriement de la production des semi-conducteurs. Biden a signé aussi la loi ‘’Inflation Reduction Act’’ en 2022, visant à stimuler les investissements dans l’énergie propre. Cette loi a été qualifiée de «protectionniste» car elle a prévu la subvention de la production locale des batteries et véhicules électriques tout en surtaxant leur importation. L’Union Européenne (UE) n’est pas en reste, elle a adopté en octobre dernier jusqu’à 35% de surtaxes sur l’importation de voitures électriques depuis la Chine.
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C’est le début des guerres commerciales entre les trois grands blocs économiques, les États-Unis, l’UE et la Chine, mettant ainsi fin à la mondialisation heureuse qui a régné depuis les années 90. Parallèlement, une vague de populisme, véhiculée par les réseaux sociaux, avait envahi le monde où l’extrême droite, jadis minoritaire, commença à gagner des élections partout en occident et dans d’autres pays du monde. La situation du commerce international s’est gravement compliquée avec le retour au pouvoir de Trump qui, le jour de son investiture, a mis sa menace de guerre commerciale à exécution. Avec une précipitation inhabituelle, il a signé des décrets qui actent la sortie des États-Unis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et qui imposent, dès le 4 février, 10% de droits de douane supplémentaires à ceux déjà existants sur les produits importés de Chine et surtout 25% de droits de douane sur les produits provenant du Canada et du Mexique, ses partenaires dans l’USMCA (United-States, Mexico & Canada Agreement).
Toutefois, l’utilisation de tarifs douaniers comme moyen de pression n’est pas prévue par les dispositions des ALE. Pour avoir le droit d’imposer des mesures de rétorsion commerciale en vertu des règles de l’OMC, il faut avoir mené une enquête qui démontre qu’on est victime de pratiques commerciales déloyales, comme le dumping ou le subventionnement plus ou moins déguisé des exportateurs. On peut aussi se protéger temporairement contre des exportations massives qui menaceraient la survie d’un secteur industriel en particulier (mesures de sauvegarde), ou lorsqu’une industrie directement liée à la sécurité nationale est en cause. Et c’est ce dernier argument qui a été utilisé par Trump en justifiant sa décision par la volonté de forcer les trois pays à agir pour lutter contre le trafic de fentanyl, un puissant opioïde, à destination des États-Unis. Selon Trump, la Chine exporte vers le Mexique des principes actifs permettant sa fabrication par les cartels mexicains, ensuite vendu de l’autre côté de la frontière. Il reproche également au Mexique et au Canada de ne pas suffisamment contrôler les flux migratoires vers les États-Unis.
Les réactions n’ont pas tardé à arriver, la présidente mexicaine a annoncé que des droits de douane seraient imposés en représailles sur les produits américains. De son côté, le Canada a annoncé qu’il va imposer des droits de douane de 25% sur des produits américains. La Chine a décidé d’imposer des droits de douane de 15% sur le charbon et les produits à base de gaz naturel liquéfié (GNL), ainsi que des droits de douane de 10% sur le pétrole brut, les équipements agricoles et les voitures de grosse cylindrée. Face à cette offensive protectionniste, l’UE se sentant menacée a prévenu qu’elle «riposterait fermement» si Trump passait à l’action.
En fait, le président américain entend utiliser les tarifs douaniers principalement comme moyen de pression pour obtenir des concessions. Pour Trump, le rapport de force peut passer par la menace, l’objectif serait de mettre la pression sur ses voisins en vue de la renégociation de l’ALE nord-américain, prévue dans un an. Suite à la réaction de ses partenaires, Trump a repoussé de trente jours la mise en œuvre de nouveaux droits de douane contre le Canada et le Mexique, évitant de justesse une crise qui menaçait d’ébranler toute l’économie mondiale. Il a laissé entendre qu’il avait arraché des concessions à ses voisins.
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Bien que le Maroc ne soit pas directement impliqué dans cette guerre, il pourrait en ressentir des effets indirects. Trump 2.0 veut réexaminer les conditions d’accès au marché américain des batteries chinoises, dont celles produites dans des pays tiers. Le Maroc étant le seul pays africain à disposer d’un ALE avec les États-Unis, le Royaume est devenu, ces dernières années, la destination des grands groupes chinois du secteur des batteries de véhicules électriques qui cherchent à éviter les barrières douanières américaines. Mais s’il y a des risques, il y a aussi des opportunités car si les menaces d’augmentation des droits de douane s’appliquent sur le marché américain, certains produits marocains exportés vers les USA auront une chance d’être vendus moins cher que les produits canadiens, mexicains ou chinois, ce qui est de nature à booster les exportations marocaines vers ce gigantesque marché.
La guerre commerciale américaine devient mondiale
Nouvelle étape dans la guerre commerciale. Donald Trump a signé, le 12 février, un décret relatif à la mise en place de droits de douane de 25% sur les importations d’acier et d’aluminium aux États-Unis à partir du 12 mars, et cette fois sans exceptions ni exemptions, pour tous les pays. Évoquant des risques pour la «sécurité nationale», ce dernier décret taxe cette fois «Toutes les importations d’articles en acier et d’articles dérivés de l’acier provenant d’Argentine, d’Australie, du Brésil, du Canada, des pays de l’Union européenne, du Japon, du Mexique, de la Corée du Sud et du Royaume-Uni». Par cette mesure, Trump 2.0 compte faire table rase des accords bilatéraux négociés avec d’autres pays pour obtenir des ristournes ou des quotas.
H&M cherche à développer sa base de fournisseurs au Maroc
Face aux menaces du Président des États-Unis d’imposer des droits de douane à l’Europe, l’enseigne suédoise de vêtements H&M cherche à développer sa base de fournisseurs au Maroc. En effet, dans une interview accordée à Reuters Adam Karlsson, Directeur financier de H&M a déclaré «Pour de nombreuses raisons, nous devons créer une chaîne d’approvisionnement plus régionalisée ». Karlsson a ainsi fait savoir que l’enseigne étudie la possibilité de s’approvisionner davantage en Amérique centrale, afin de servir des marchés tels que les États-Unis et le Brésil. Pour l’Europe, « le groupe s’approvisionne davantage en Turquie et cherche à développer sa base de fournisseurs au Maroc et en Égypte ».