L’Eco, une monnaie unique ouest-africaine en suspens

Eco, la nouvelle monnaie unique ouest-africaine qui devait être lancée en 2020, passe sous silence. Le 3 mars dernier, le dossier a été au centre du débat lors de la 11e session du Conseil de convergence des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales de la CEDEAO. En attendant 2027, date du lancement, ce projet de grand acabit semble porter les germes d’un certain échec…
Le doute persiste ! L’Eco, la nouvelle monnaie panafricaine, devait être lancée en 2027 pour remplacer le franc CFA en Afrique de l’Ouest. Prévu initialement pour 2020, puis repoussé à 2027, ce projet d’union monétaire pour les 15 pays de la CEDEAO reste embourbé dans des négociations complexes et des divergences économiques profondes. Lors de la 11e session du Conseil de convergence des ministres des Finances et des gouverneurs des banques centrales de la région, tenue le 3 mars dernier, la question a une nouvelle fois été soulevée, mais sans avancée concrète.
Pour la petite histoire, l’annonce de ce projet a été faite en grande pompe en 2019 par les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’implantation de la nouvelle devise dès 2020 semblait déjà irréaliste en raison de l’inexistence d’une banque centrale pouvant décider du régime de change, de la fabrication des pièces et billets, de l’adaptation des systèmes informatiques et des administrations. Rappelons qu’il a fallu à l’Union européenne (UE) une quinzaine d’années pour lancer l’euro, sa monnaie unique.
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En plus, cette économie de crise tout azimut a finalement eu raison des prévisions optimistes concernant l’apparition de l’Eco. Il faut y ajouter la confusion et la crise interne créée par le changement annoncé du franc CFA en Eco par les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), membres de la CEDEAO, francophones, sans la consultation du Nigeria et des pays anglophones de la zone.
Lorsqu’il était encore en exercice, le président nigérien Mahamadou Issoufou avait invité ses homologues « à élaborer une nouvelle feuille de route tout en maintenant une approche graduelle pour le lancement de la monnaie commune ». « L’Eco n’a pu voir sa mise en œuvre opérationnelle en juillet 2020 comme son calendrier le stipulait… L’argument a été triple : en premier, celui de la conformité aux critères de convergence par les États ; ensuite, celui du nom Eco utilisé par l’UEMOA pour la nouvelle version du CFA, sans l’accord de la CEDEAO détentrice de cette dénomination ; et enfin, la non-conformité de la zone CFA aux exigences du Nigeria », nous confie Samuel Mathey, économiste togolais.
Dans un article publié par l’AFP, le professeur d’économie à l’université de Bouaké en Côte d’Ivoire, Yaha Prao, y voit un simple « report, et une question de volonté politique. « C’est une question de volonté politique. Cinq années suffisent pour y arriver », estime-t-il, en dépit des « discordances » entre les pays, exprimées notamment par le Nigeria, poids lourd des quinze pays de la CEDEAO, avec 180 millions d’habitants sur 300, et 60 % du PIB de la zone.
Le Nigeria exige, pour s’engager dans une véritable union monétaire, que les pays de la zone du franc CFA rompent totalement leurs liens avec la France, donc aillent au-delà de la « réforme » annoncée. Les pays de la zone franc redoutent, eux, de tomber dans l’instabilité monétaire que connaissent leurs voisins de la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO), qui ont chacun leur monnaie.
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Toujours selon l’économiste ivoirien : « C’est une bonne chose pour les pays ouest-africains d’avoir une monnaie unique, cependant il faut avoir un débat sur les critères de convergence (inflation, dette, déficit public) : ne cherchons pas à mimer l’Europe ; la mise en place d’une monnaie unique ne doit pas conduire à une politique d’austérité au détriment de la croissance et de l’emploi. »
Pour l’économiste et ancien ministre ivoirien Daniel Anikpo, l’Eco « ne va pas se faire », car « il n’y a pas la volonté politique ». De son côté, l’économiste Mehdi Lahlou a quant à lui mis en évidence les enjeux stratégiques de la France dans le dossier du FCFA. « La France a beaucoup d’intérêt dans cette monnaie », affirme-t-il.
Leurre ?
Pendant que beaucoup envisageaient le passage du FCFA à l’Eco comme la fin d’un système, le constat du moment fait planer un climat de rêve au-dessus de ce dossier ! Et sous un angle plus objectif, dénué d’émotion, cette migration monétaire n’est pas sans contrainte.
Aujourd’hui, il faut dire que l’un des points majeurs pour la réussite de cette réforme est bien entendu la volonté politique. De plus, la question du choix du régime de change demeure une action compliquée pour les pays en développement, en raison de l’influence de ce choix sur la structure de prix et de ses multiples impacts financiers, économiques et sociaux. La réflexion doit donc permettre de définir un régime de change qui concilie stabilité et flexibilité.
Aussi, sur le plan économique, deux aspects doivent être examinés : la politique monétaire d’une part, et le développement des marchés financiers d’autre part. D’un autre côté, la réussite de la réforme de la zone franche repose sur la capacité des États à se doter d’administrations publiques solides capables de favoriser le développement économique.
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Par ailleurs, le projet de création de l’Eco à quinze, initié par les chefs d’État de la CEDEAO, paraît irréaliste. Aujourd’hui, l’espace CEDEAO compte huit monnaies et huit zones monétaires. Les huit monnaies sont l’escudo cap-verdien (CVE), le dalasi gambien (GMD), le cedi ghanéen (GHS), le franc guinéen (GNF), le dollar libérien (LRD), le naira nigérian, le leone sierra-léonais (SLL) et le franc CFA des huit pays de l’UEMOA (XOF).
Créer une monnaie unique pour les 15 pays de la CEDEAO, qui se substitue aux huit monnaies existantes, demande un certain nombre de préalables et d’étapes, dont les plus importants sont : la mise en place des traités et conventions régissant la nouvelle union monétaire et ses institutions, le respect par les quinze pays des règles et mécanismes communs de discipline macroéconomique, ainsi que l’uniformisation des textes régissant le secteur bancaire et le marché financier régional.
Il faut également souligner le fait que les pays anglophones d’Afrique ne sont pas très partants pour ce changement. Il faut d’ailleurs rappeler que les six pays de la Zone monétaire ouest-africaine (WAMZ) avaient « noté avec préoccupation la déclaration visant à renommer unilatéralement le franc CFA en Eco d’ici à 2020 », selon un communiqué publié à l’issue d’une rencontre extraordinaire entre les différents ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales.
Ces pays estiment que « cette action n’est pas conforme aux décisions » de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en vue de « l’adoption de l’Eco comme nom de la monnaie unique » de toute la région, dont l’idée est débattue depuis bientôt 30 ans.
Derrière l’ambition d’une monnaie unique censée stimuler le commerce intra-régional et renforcer la souveraineté économique, l’Eco révèle en réalité les fractures profondes de l’Afrique de l’Ouest. D’un côté, les pays anglophones, emmenés par le Nigeria, redoutent une intégration précipitée qui pourrait fragiliser leurs économies nationales. De l’autre, les États francophones, historiquement liés au franc CFA, avancent prudemment, sous le regard attentif de Paris.
La mise en place de critères de convergence stricts, jamais réellement respectés, et l’absence d’un consensus sur la gouvernance monétaire freinent toute avancée réelle. À mesure que les années passent, le scepticisme grandit : l’Eco sera-t-il réellement une monnaie d’émancipation ou simplement un prolongement modernisé du franc CFA ? À trois ans de la nouvelle échéance, le doute persiste.