Tribune et Débats

L’emploi menace le plan Maroc 2030

Malgré des perspectives économiques encourageantes pour 2030, le marché de l’emploi au Maroc reste préoccupant. En 2023, 157 000 emplois ont été détruits, menaçant ainsi les ambitions économiques du pays et soulignant l’urgence de réformes structurelles.

[Par Hajar El Jahidi*]

Alors que tous les regards sont tournés vers l’objectif de 2030, avec des investissements publics considérables, un afflux record d’IDE, et un retour à une inflation maîtrisée qui semble en marche, ce qui pourrait stimuler davantage la consommation, les agrégats économiques semblent doucement revenir au vert.

Cependant, dans cette projection encourageante, les chiffres de l’emploi demeurent préoccupants. En 2023, le Haut-Commissariat au Plan (HCP) indique que 157 000 emplois ont été détruits, alors que des centaines de milliers de nouveaux arrivants intègrent chaque année le marché de l’emploi au Maroc. En 2022, un jeune Marocain sur quatre, entre 15 et 24 ans, se trouvait dans une situation de NEET (Not in Education, Employment, or Training), soit 1,5 million d’individus, selon le HCP.

L’emploi est devenu le chantier économique prioritaire au Maroc, sous peine de menacer l’élan national d’impulsion économique à l’horizon 2030. Les racines de la destruction d’emplois sont nombreuses et structurelles. La sécheresse entraîne une perte d’emplois dans le secteur agricole, poussant les travailleurs vers le secteur du BTP, qui a longtemps souffert de taux d’intérêt élevés, ralentissant ainsi son développement. De plus, les taux d’intégration très élevés dans le secteur industriel ne sont pas aussi générateurs d’emplois que les premiers taux d’intégrations plus bas, comme le câblage dans l’industrie automobile par exemple.

Repenser la formation pour une économie en mutation

Bien que l’éducation et la formation soient souvent pointées du doigt comme un problème systémique, cette critique se révèle partiellement fausse. La formation et l’éducation sont des facteurs importants pour lutter contre le chômage et favoriser l’emploi. Cependant, il existe un paradoxe entre les ambitions économiques du Maroc et sa manière d’aborder l’emploi et la formation.

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L’inadéquation de la formation avec les besoins réels du marché du travail est souvent pointée du doigt. Les jeunes diplômés, bien que formés, ne disposent pas toujours des compétences recherchées par les employeurs, ce qui les place en situation de « job mismatch ».

Le Maroc se dirige vers une économie de plus en plus complexe, intégrée à la mondialisation et attractive pour les IDE. Cependant, il continue de concevoir la formation en termes quantitatifs ou de compétences techniques, sans renforcer les capacités dans les « soft skills ». La rapidité des mutations économiques, particulièrement avec l’avènement de l’intelligence artificielle et de la quatrième révolution industrielle, exige une formation qui prépare la jeunesse à penser et à naviguer dans un monde en constante évolution. Il est crucial de doter les jeunes des compétences nécessaires pour s’adapter à ces transformations rapides, telles que la créativité, la pensée critique, la capacité de résolution de problèmes et la flexibilité.

Les soft skills, ou compétences non techniques, réfèrent aux compétences interpersonnelles et comportementales qui influencent la manière dont les individus interagissent et travaillent avec les autres. Des études menées par des organisations telles que LinkedIn et McKinsey & Company confirment l’importance croissante des soft skills. Selon LinkedIn, 92 % des employeurs considèrent ces compétences aussi importantes, voire plus importantes, que les compétences techniques. McKinsey & Company révèle que les équipes dotées de bonnes soft skills sont 25 % plus productives que celles qui en sont dépourvues.

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Pourtant, malgré leur importance dans le secteur professionnel, elles sont souvent négligées dans les systèmes éducatifs traditionnels au Maroc. Le renforcement des capacités doit également être au cœur des stratégies mises en œuvre. Il s’agit non seulement de doter les jeunes des compétences transversales et des soft skills nécessaires pour s’adapter aux exigences du marché du travail, mais aussi de permettre aux parties prenantes de l’insertion professionnelle au Maroc d’optimiser leurs efforts, de fournir des programmes adaptés et de suivre leur impact de manière agile et proactive face aux évolutions.

L’insertion sociale : un besoin d’accompagnement ciblé

Le Maroc a investi ces dernières années dans l’insertion sociale et lancé plusieurs programmes visant à combattre l’exclusion sociale, comme l’Initiative Nationale de Développement Humain (INDH). Cependant, les résultats à long terme restent difficiles à mesurer. Un rapport du Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE) datant de 2020 confirme le manque de préparation et de suivi des bénéficiaires de ces programmes. Les programmes de renforcement des capacités peuvent aider à améliorer les compétences et les aptitudes des individus et des organisations pour atteindre leurs objectifs de manière efficace et durable. Ces programmes sont essentiels pour réduire le chômage, combler l’écart entre les compétences acquises et celles requises par le marché du travail, favoriser la mobilité à l’emploi et améliorer la performance des employés. Les jeunes ayant suivi des programmes de renforcement des capacités ont un taux d’emploi supérieur à ceux qui n’y ont pas participé et voient une augmentation moyenne de leur salaire par rapport à leurs pairs non formés.

Le problème ne réside donc pas nécessairement dans le manque de moyens ou d’initiatives. Des investissements conséquents ont été consentis et de nombreux programmes existent. Ce qui fait défaut, c’est un accompagnement adéquat et un renforcement des capacités des jeunes, mais aussi des structures censées les accompagner. Il est crucial de repenser l’approche en matière d’insertion professionnelle des jeunes. L’accent doit être mis sur un accompagnement individualisé et personnalisé, prenant en compte les besoins et les aspirations spécifiques de chaque individu.

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En conclusion, l’insertion professionnelle des jeunes au Maroc est un défi majeur qui exige une adaptation profonde des systèmes de formation et d’accompagnement. En investissant dans le développement des soft skills et le renforcement des capacités des structures d’accompagnement, le Maroc peut non seulement réduire le nombre de NEET, mais aussi préparer une génération capable de répondre aux défis actuels et futurs, assurant ainsi une croissance économique durable et inclusive.

*Hajar El Jahidi est une experte en développement de programmes d’insertion économique et sociale, en formation et en renforcement des capacités. Ancienne lobbyiste auprès des institutions européennes à Bruxelles, elle a œuvré sur des questions d’insertion économique et sociale, d’autonomisation des femmes et des jeunes. Hajar a également collaboré avec diverses ONG en Afrique de l’Ouest, en Europe et au Canada.

 
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