Fiscalité

Les avocats passent à la caisse

Voici une profession depuis longtemps située dans la « zone grise » de l’impôt. En matière d’IR (et de TVA aussi), les recettes fiscales provenant de cette catégorie de contribuables n’ont rien à voir avec le potentiel fiscal réel. La faiblesse extrême de leur contribution fiscale explique la révision du régime d’imposition des robes noires qui se dérobent, révision introduite dans la loi de Finances de l’année 2023. 

Dès le départ, il y a plus de trois décennies, lors de la grande réforme fiscale entamée au cours des années 1980, les personnes physiques exerçant la profession d’avocat ont été soumises à l’IR, dans la catégorie des revenus professionnels, selon le régime du résultat net réel (RNR) ou du résultat net simplifié (RNS). Cette évolution a été ponctuée par l’adoption de «régimes conventionnels», vite abandonnés. C’est donc le résultat fiscal (RF) qui constitue la base d’imposition, RF déclaré ou redressé, suite à contrôle. Une cotisation minimale (CM) a aussi été prévue, imputable sur l’impôt. Ce régime déclaratif exige un degré élevé de civisme fiscal combiné à un système de contrôle fiscal efficace. Or, aussi bien le civisme fiscal que le contrôle fiscal sont actuellement déficitaires.

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La LF-2023 a introduit un nouveau mécanisme d’imposition pour y remédier relativement. Elle a prévu le principe de versement spontané des «acomptes provisionnels». Deux options ont été prévues : versement spontané auprès du secrétaire greffier ou auprès du receveur de l’administration fiscale. Première option : auprès du secrétaire greffier, un versement de 100 DH est effectué, une seule fois au titre chaque affaire pour laquelle des honoraires ont été perçus totalement ou partiellement, lors du dépôt ou de l’enregistrement ou d’un recours ou lors de l’enregistrement d’un mandatement ou d’une assistance devant l’un des tribunaux. Le montant de 100 DH couvre l’ensemble des étapes relatives à la même affaire (première instance, appel et cassation).

Deuxième option: auprès de l’administration fiscale, un seul «acompte provisionnel annuel» est versé par voie électronique, avant l’expiration du mois qui suit la clôture de l’exercice comptable (avant le 1er février). Le montant de l’acompte à verser est déterminé en multipliant le nombre d’affaires enregistrées au nom de l’avocat durant l’exercice, par 100 DH. L’avocat doit communiquer à l’administration fiscale la liste des affaires traitées. Cette liste sera comparée à celle reçue de l’autorité gouvernementale chargée de la justice. C’est le «contrôle assiette» qui va permettre de vérifier si l’avocat n’a pas «oublié» quelques affaires.

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Les acomptes provisionnels versés spontanément, affaire par affaire, au secrétaire greffier, ou bien annuellement au receveur de l’administration fiscale, sont ensuite imputés sur le montant de la CM dont le taux a connu une baisse de 6% à 4%. Pour rappel, la base de calcul de la CM est constituée du chiffre d’affaires hors taxe et de tous les autres produits d’exploitation. Si la CM est inférieure au total des acomptes versés, l’excédent est ensuite imputé sur l’impôt calculé sur le RF. Il en est de même de l’IR retenu à la source au titre des rémunérations allouées à des tiers. Par contre, lorsque lesdits acomptes provisionnels sont supérieurs au montant de l’IR, la différence reste acquise au Trésor. 

Fiscalité des avocats : autres changements introduits dans la LF-2023
Le taux de la cotisation minimale (CM), versée au mois de janvier de chaque année, après la période d’exonération triennale, au début de l’activité, a été réduit de 6% à 4%. La CM est calculée sur la base du chiffre d’affaires hors taxe et autres produits d’exploitation.En matière de TVA, le taux passe de 10% à 20%. Ce nouveau taux est applicable aux prestations effectuées à compter du 1er janvier 2023. Ainsi, pour les services effectués avant cette date, c’est le taux de 10% qui est applicable (principe de non rétroactivité de la loi).

Dans certains cas, la LF 2023 a prévu des exclusions de l’obligation de versement des acomptes provisionnels. C’est le cas des avocats nouvellement identifiés fiscalement, pendant les 60 premiers mois qui suivent le mois d’obtention du numéro d’identification fiscale. De même, sont exclus les « requêtes relatives aux ordonnances sur requête et aux constats » (article 148 du code de procédure civile), et les affaires dispensées de la taxe judiciaire ou bénéficiant de l’assistance judiciaire. La LF-2023 a aussi prévu un traitement de certains aspects spécifiques à l’exercice de la profession d’avocat. Ainsi, dans le cas de l’avocat exerçant dans le cadre d’une association ou d’une domiciliation, celui-ci est imposable individuellement, en son propre nom, à l’instar de l’avocat indépendant. Chaque avocat doit tenir sa propre comptabilité.

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Le RF est déterminé compte tenu de sa quotepart des produits et des charges nécessaires à l’exercice de la profession. Par contre, les rémunérations versées à des «avocats assistants» sont assimilés à des revenus salariaux imposables à la source. Si l’ «avocat assistant» traite aussi des affaires pour son propre compte, les honoraires perçus sont traités fiscalement comme des revenus professionnels. Les «avocats stagiaires» sont assimilés à des salariés et les rémunérations qui leur sont versées, sont imposables à la source par l’avocat employeur, que cette rétribution soit constituée d’un salaire, d’une indemnité ou d’un pourcentage sur les bénéfices ou le chiffre d’affaires.

Enfin, souplesse oblige, certains achats ou approvisionnements ou prestations effectués auprès de fournisseurs non soumis à la taxe professionnelle (TP) ne délivrant pas de factures, peuvent être justifiés par des «ordres de dépense», comportant des informations afférentes notamment au nom et adresse du fournisseur et le numéro de la carte nationale d’identité électronique. Frais de déplacement, missions et réceptions sont fiscalement déductibles, sous réserve d’être justifiés.

Le nouveau régime fiscal des avocats à l’aune de la réforme fiscaledans la LF-2023
Trois concepts clés devraient servir de «boussole» à la réforme fiscale : transparence, équité et efficience. Les mesures fiscales prévues par la LF-2023, et relatives à la profession d’avocat, semblent s’inscrire dans le sens inverse.En effet, taxer chaque affaire/dossier ouvert dans un tribunal par un avocat, à un taux fixe de 100 DH, s’apparente beaucoup plus à un droit de timbre fixe qu’à un «acompte provisionnel ». Le montant est le même quelle que soit la nature de l’affaire et son importance ou enjeu. Généralement, les affaires pénales ou les affaires de divorce ne rapportent pas grand-chose. Les affaires « juteuses » relèvent surtout du domaine du foncier, du commerce et des assurances. Ainsi, un montant de 100 DH sera exigé aussi bien pour une affaire pénale dont les honoraires peuvent ne pas dépasser 1000 DH, que pour une affaire de foncier ou d’assurance, rapportant des honoraires qui se chiffrent en dizaines de milliers de dirhams.Par ailleurs, le risque est de voir ce tarif fixe de 100 DH se transformer en « impôt indirect», supporté par le citoyen client. En définitif, nous aurons un « acompte provisionnel », imputé sur la cotisation minimale (CM), elle-même imputée sur l’impôt calculé sur la base du résultat fiscal. L’« acompte provisionnel » devient un minimum du minimum. Ce dernier est calculé à partir du nombre d’affaires, quelle que soit la nature et l’importance de l’affaire. Alors que la CM est calculée sur le chiffre d’affaires et autres produits d’exploitation. Aussi bien les « acomptes provisionnels » à tarif fixe de 100 DH que la CM ne tiennent pas compte des capacités contributives, tel que prévu par l’article 39 de la constitution qui consacre les principes de légalité (et donc de consentement à l’impôt) et d’équité fiscale. Ainsi, ce nouveau mode d’imposition est un nouvel aveu d’échec politique, voire une régression, dans la mise en œuvre effective de la réforme fiscale qui exige principalement un renforcement stratégique du contrôle fiscal et de la lutte contre la fraude fiscale.  

 
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