Les damnés de la mer
A quelques kilomètres des côtes de la Grèce, 750 êtres humains, entassés dans un « bateau de pêche », fuyant la guerre, la terreur ou tout simplement des conditions de vie inhumaines, ont fait naufrage. La mer les a presque tous engloutis. 78 cadavres retrouvés. Des centaines de disparus. De l’autre côté de l’Europe, en se dirigeant vers le nord du Canada, à quelques centaines de kilomètres de Terre Neuve, un petit sous-marin, embarquant cinq personnes, disparait, pas loin de l’épave du Titanic. Ces deux évènements, presque simultanés, ont reçu deux traitements totalement différents, dévoilant ainsi une réalité internationale effroyable où les humains sont loin d’être égaux.
9 au 10 juin. Dans un « grand bateau de pêche », de 25 à 30 mètres de long, ont été entassés des centaines d’êtres humains pour fuir la guerre et/ou la misère. Ce bateau a fait naufrage au large de la péninsule du Péloponnèse. 78 cadavres ont été repêchés. 104 ont survécu. Bilan provisoire. Les disparus se comptent en centaines. C’est le bilan le plus lourd depuis juin 2016. D’après les autorités grecques, le bateau transportait au moins 750 personnes dont une centaine d’enfants. Pourtant, avant le naufrage, un avion de Frontex, l’agence européenne de surveillance des frontières, avait repéré l’embarcation. Frontex a justifié l’absence d’intervention par le refus de toute aide. D’après les témoignages de survivants, des gardes-côtes grecs auraient été responsables du chavirement du bateau. Les rescapés ont dû attendre plus de 24 heures avant d’être secourus. Compte tenu de la surcharge du bateau, le danger était pourtant évident et imminent. C’est manifestement un cas de non assistance à personnes en danger.
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Dimanche 18 juin, à environ 700 km au sud de l’île de Terre-Neuve, un submersible commercial a disparu lors d’une plongée vers l’épave du Titanic qui repose à quelque 3 800 mètres en profondeur dans l’Atlantique. Selon les gardes-côtes américains, le contact avec le sous-marin a été perdu environ une heure et quarante-cinq minutes après le début de la plongée, avec cinq personnes à bord. L’expédition était organisée par la société américaine OceanGate dans le cadre d’un voyage de huit jours. Les clients richissimes avaient payé 250 000 dollars par personne pour visiter le site de l’épave du Titanic. Plusieurs Etats (Canada, Etats Unis d’Amérique, Angleterre et France) ont mobilisé leurs multiples forces aériennes et maritimes, y compris des scientifiques, pour secourir ces cinq personnes.
Toute vie humaine est sacrée. Ces cinq personnes méritent incontestablement d’être secourues. C’est aussi le cas des 750 naufragés au large des côtes de la Grèce. Les deux naufrages ont pourtant reçu chacun un traitement diamétralement opposé, sur tous les plans, y compris médiatique. Le monde observe. La réalité dévoilée par ces deux drames humains est pleine de leçons, à l’instar de la pandémie du Covid-19 qui a mis à nu la contradiction entre les discours des Etats occidentaux et les pratiques effectives du chacun pour soi.
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Frantz Fanon avait titré l’une de ses œuvres célèbres « Les damnés de la terre », en pleine période de luttes de décolonisation. C’est la période où l’Europe, surtout occidentale, et les Etats Unis d’Amérique (EUA), c’est-à-dire le « monde libre », n’acceptaient pas la liberté des autres peuples dans le reste du monde, car « non civilisés », voire « sauvages », « barbares », ou arriérés, mis sous tutelle pour assurer la domination et le siphonage des richesses, avec l’aide des complices locaux.
Conflits armés, souvent suscités par les anciennes puissances coloniales, sécheresse, stress hydrique, pénurie d’eau, et autres catastrophes « naturelles », en fait conséquences surtout du réchauffement climatique, causé principalement pas les pays industrialisés les plus riches de la planète, appauvrissement dû souvent à une division internationale du travail qui génère des dépendances et des inégalités structurelles (…), sont autant de facteurs explicatifs des flux migratoires. Quel avenir possible pour cette planète où les frontières sont condamnées à disparaitre ?