Les huissiers de justice protestent contre « la mise sous tutelle » de leur profession
Depuis lundi 14 octobre, les huissiers de justice au Maroc sont en grève pour une semaine, protestant contre le projet de loi n°46.21 adopté par le gouvernement. Ce texte, qui réorganise leur profession, est perçu par ces derniers comme une menace à leur indépendance, une « mise sous tutelle » de leur profession.
La grève, qui s’étendra jusqu’au 19 octobre, a pour objectif de faire entendre la voix des huissiers face à ce qu’ils considèrent comme un recul important de leur statut. « On constate des reculs dans ce projet de loi », déclare Karim Elkachtaf, huissier de justice, à nos confrères de MFM Radio. Il souligne que, bien qu’un premier texte ait été élaboré en collaboration avec le gouvernement et accepté par les huissiers, des modifications y ont été introduites, impactant négativement leur indépendance et leur capacité à exercer correctement leur métier.
Un projet jugé rétrograde
« Ce texte empêchera l’huissier de pratiquer sa profession dans de bonnes conditions », poursuit Elkachtaf, dénonçant un projet qui soumet la profession à la tutelle d’un juge d’exécution. Ce dernier deviendrait ainsi, selon lui, « le véritable patron de la profession », ce qui, pour les huissiers, entraînerait une lourdeur bureaucratique et une lenteur dans l’exécution des décisions de justice.
L’une des illustrations de ces changements concerne les ventes aux enchères. « Désormais, les huissiers de justice devront obtenir l’accord du juge d’exécution avant de procéder à des expertises », explique Elkachtaf, alertant sur les délais supplémentaires que cela pourrait engendrer.
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En plus des aspects législatifs, les huissiers dénoncent également des conditions de travail difficiles. « Sans parler des bas salaires et de la charge de travail trop importante. Nous sommes également parfois victimes d’agressions physiques », ajoute-t-il. Le mécontentement se dirige ainsi aussi bien contre le projet de loi 46.21 que contre la réforme du code de procédure civile.
Des inquiétudes autour de l’indépendance professionnelle
Le président de l’Ordre national des huissiers de justice, Mahmoud Aboul Houkouk, tout en reconnaissant certains acquis dans ce nouveau texte, exprime des réserves sur certaines dispositions. « Nous ne nions pas qu’il y a des acquis voire des privilèges dans ce nouveau texte en faveur des huissiers », affirme-t-il. Cependant, il pointe des « manquements dans certains amendements » qui remettent en question l’autonomie de la profession.
L’un des points les plus contestés est l’obligation pour l’Ordre national des huissiers de justice de soumettre ses décisions au ministère de la Justice, une mesure perçue comme une ingérence dans la gestion interne de la profession. « Cette obligation compromet gravement le principe d’indépendance », explique Aboul Houkouk, qui appelle le gouvernement à revoir sa copie pour trouver un compromis « consensuel et équilibré ».
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Adopté en Conseil de gouvernement le 3 octobre dernier, le projet de loi n°46.21 s’inscrit dans le cadre de la réforme du système de justice au Maroc. Le gouvernement, à travers cette réforme, cherche à moderniser les professions juridiques et judiciaires, à améliorer la qualité des services offerts et à répondre aux mutations économiques et sociales du pays.
Le ministre délégué chargé des Relations avec le parlement et porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, a souligné que cette loi vise à « renforcer les professions par des mécanismes législatifs modernes ». Toutefois, si le texte apporte certaines avancées, notamment en matière de formation et de numérisation des prestations, il suscite de vives critiques. Les huissiers estiment que la réforme risque de complexifier leurs tâches et d’accroître les coûts de leurs services.
Un mouvement de grève pour faire plier le gouvernement
Pour renforcer leur position, les huissiers de justice ont décidé de durcir leur mouvement en programmant une manifestation générale le 21 octobre devant le ministère de la Justice. Le bras de fer avec l’exécutif semble ouvert, rappelant les récents conflits qui ont opposé le ministère aux avocats, eux aussi en grève pour protester contre des réformes touchant leur profession.
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Pendant cette grève, les huissiers ont suspendu toutes leurs activités, dont les mises en demeure judiciaires, ce qui risque de ralentir encore davantage un système judiciaire déjà critiqué pour sa lenteur. Malgré cette contestation, le gouvernement semble décidé à aller de l’avant avec ce projet de loi, estimant que la modernisation de la profession des huissiers est une étape essentielle dans la réforme globale du système judiciaire marocain.
Reste à savoir si l’exécutif sera disposé à revoir certaines dispositions du texte pour apaiser les tensions avec cette profession, ou si le bras de fer se poursuivra, au risque de paralyser encore davantage les rouages de la justice.