Les multiples combats de Nicolas Sarkozy [Par Eric Besson]
Chacun le sait, Nicolas Sarkozy est un grand combattant. Tout lecteur de son dernier ouvrage « Le temps des combats » (Fayard-2023) y trouvera matière à confirmation. L’ancien Président y décrit très clairement ce que furent les batailles qu’il dut mener sur la scène internationale mais aussi en France, contre son opposition, contre une partie des media qui lui était systématiquement hostile, contre certains juges. Plus marquant encore, sa description de l’énergie qu’il lui fallait déployer pour convaincre quelques alliés, par exemple Barack Obama, « de tempérament assez froid, introverti », surtout obsédé par son image, ou Angela Merkel dont l’aversion pour le risque ou la faible réactivité sont plusieurs fois soulignées en dépit de l’étroite collaboration que connurent dans cette période la France et l’Allemagne. Ou encore convaincre et fédérer certains membres de sa majorité, décrits comme très sensibles à tout mauvais sondage ou toute campagne de presse, voire prêts à exploiter toute difficulté.
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Là réside sans doute la force de ce livre. Nicolas Sarkozy ne masque rien ou presque de ses analyses et convictions, de ses doutes, de ses émotions, de ses joies comme de ses déceptions, face à chacune des situations auxquelles il a été confronté. Dans son propos liminaire, il explique avoir voulu que son lecteur puisse « partager cette vie de président de la République de l’intérieur ». Cette plongée du lecteur dans le bureau de l’Elysée est saisissante. Comme le dit son auteur, ce n’est pas une narration froide ou désincarnée. A l’image de « Sarko », pour reprendre le diminutif affectueux qu’utilisent ses proches, c’est, selon ses dires mêmes, « un récit brûlant ». Un récit dense aussi (527 pages), mais aisément accessible et à la lecture fluide.
L’autre intérêt majeur du livre repose sur le parti-pris qui est celui de l’ancien Président de procéder en permanence à des allers-retours entre ce qu’a été son action sur certains dossiers et ses réflexions sur l’actualité et la permanence de ces sujets. Qu’il s’agisse de l’Afrique et notamment du Sahel, du poids respectif des Etats-Unis et de la Chine, de la construction européenne, de l’Ukraine, de la lutte contre le terrorisme ou de questions de politique intérieure française, les commentaires très actuels de Nicolas Sarkozy sont toujours appuyés sur les leçons de son action et de sa propre expérience.
Nicolas Sarkozy prévient ses lecteurs : il ne prétend pas à la « froide objectivité ». En choisissant son livre pour ma troisième chronique dans Challenge, je ne peux prétendre non plus à l’objectivité. J’ai été son ministre pendant 5 ans. J’ai conservé pour lui estime et amitié. J’ai aimé son énergie tournée vers l’action, sa force de conviction, son pragmatisme qui pouvait le conduire, lui le libéral assumé, à dépasser les clivages pour plaider pour davantage de régulation (de la mondialisation, du système financier, de l’économie numérique etc). Il se voulait promoteur d’un capitalisme entrepreneurial plutôt que d’un capitalisme financier. Je considère que son bilan mériterait d’être revalorisé. Et je garderai éternellement en mémoire le rôle crucial qu’il aura joué -avec Gordon Brown- lors de la grande crise financière de 2008, lorsque l’économie mondiale était au bord du gouffre.
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Le livre comblera évidemment les passionnés de politique intérieure française ; il est truffé d’analyses, d’anecdotes, de brefs portraits, les uns flatteurs, les autres… mordants. François Hollande, François Bayrou, Ségolène Royal, Jean-Louis Debré, notamment, en prennent pour leur grade. Mais je limiterai volontairement cette chronique à quelques morceaux choisis consacrés à la politique internationale.
Comme beaucoup d’experts en géopolitique, Nicolas Sarkozy estime que « nous assistons à un déplacement de l’axe de notre planète » : « nous, les Européens, étions le centre du monde. Nous ne le sommes plus. L’Asie est devenue l’axe stratégique majeur. Nous étions dominants. Nous sommes en passe d’être dominés ». Parmi les raisons de ce « diagnostic », figure la démographie : « 60% de l’humanité peuple l’Asie ; c’est à peine plus de 10% pour l’Occident. La messe est dite car c’est la démographie qui le plus souvent fait l’histoire ». Et « si demain l’axe du monde devait muter une nouvelle fois, il y a fort à parier que cela profiterait à l’Afrique, qui comptera dans moins de trente ans deux milliards et demi d’habitants pour seulement un milliard trois cents millions aujourd’hui ». Ce à quoi on pourrait tout de même objecter que cela supposerait que l’Afrique résolve au moins une partie des nombreux problèmes structurels qui freinent aujourd’hui son émergence.
Face à la « crise de l’immigration » qui « n’en est qu’à son commencement » car, s’interroge-t-il, « que pèseront les cinq cents millions d’Européens face aux deux milliards et demi d’Africains dont la moitié auront moins de 20 ans ? ». Il plaide donc pour une voie qui consisterait « à échanger la coopération des pays africains dans la lutte contre l’immigration irrégulière contre une très ambitieuse politique de développement des infrastructures africaines financée massivement par l’Europe ».
« Le temps des combats » est empli de leçons tirées de nombreux voyages et tournées qui permettaient au Président Sarkozy de satisfaire son « obsession » : « l’influence de la France ». Mais il ne cache pas non plus que « ces parenthèses internationales (constituaient) une oasis de respiration », l’éloignant pour quelques jours de « la brutalité du débat national ».
Evoquant la situation entre « Israël et le Hamas », il note que « plus personne ne veut ni même ne cherche à s’en occuper » et « qu’il n’y a plus aucun dialogue ». Faut-il pour autant espérer une implication des grandes puissances en vue d’une solution pérenne ? Nicolas Sarkozy ne le pense plus : « j’ai moi-même longtemps imaginé que la solution pourrait être introduite par l’intermédiaire de grands parents puissants et engagés comme les Etats-Unis, l’Arabie Saoudite, l’Egypte ou même l’Europe ». Mais sa conviction aujourd’hui est « qu’en vérité rien ne sera possible sans la volonté des Israéliens et de l’Autorité palestinienne. Ce sont eux seuls qui doivent faire la paix et qui peuvent la faire ».
Avocat fervent du Liban, en lequel il voit un « miracle », celui de « la coexistence de communautés diverses », menacée aujourd’hui par la quête d’une « pureté ethnique ou religieuse », il estime que « l’Orient ne peut se passer d’un Liban libre et surtout vivant ». Il faut donc « sauver le Liban » car « la mémoire du monde ne peut se passer d’un Liban libre et surtout vivant ».
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Evoquant la zone sahélienne, Nicolas Sarkozy estime que les armées étrangères, dont l’armée française, doivent pouvoir intervenir, à la demande de la communauté internationale, sur un « conflit chaud » mais ne doivent pas y séjourner plus de quelques mois, au risque sinon d’être regardées « comme une force d’occupation ». Il s’attriste de la disparition ou de la rareté de « très grandes personnalités africaines » parmi lesquelles sont citées Omar Bongo, Léopold Sédar Senghor, Félix Houphouët-Boigny, Alassane Ouattara. Et s’insurge contre ces « dictateurs de pacotille, issus de coups d’Etats successifs et qui appartiennent chacun à une junte militaire ». « Ils ont en commun, du Mali au Burkina Faso, d’être sans culture, sans expérience, sans humanité ». Incisif, il ajoute que « remplacer l’armée française par les milices Wagner ne m’apparaît pas un choix particulièrement judicieux. Troquer notre aide au développement pour des prêts chinois n’est pas le meilleur investissement pour ceux qui souhaitent l’indépendance ».
L’ex Président se montre particulièrement élogieux envers le Président brésilien Lula da Silva. « Il est une leçon d’espérance, d’énergie, d’envie de vivre ». « Un roc », « un des Chefs d’Etat pour qui j’ai éprouvé le plus de sympathie », à la tête d’un pays peuplé de « Noirs, Blancs, métis et Indiens » qui ont su constituer une nation : « la mixité est le cœur de leur identité ». Le 7 septembre 2009, à Brasilia, il assiste en tant qu’invité d’honneur au défilé marquant la fête nationale brésilienne. Loin du protocole rigide du défilé du 14 juillet français, se succèdent dans une atmosphère bon enfant et colorée, dans ce qui pourrait ressembler à « un invraisemblable capharnaüm », « l’école de samba de Sao Paulo ou celle des sports de combat de Rio » suivis du défilé militaire proprement dit. Invité dans la délégation française, je n’ai pas, moi non plus, oublié ce défilé atypique, chaleureux et stimulant.
Il dit aussi la haute estime dans laquelle il tient le Roi Mohammed VI, « un homme de large culture et d’une finesse intellectuelle éblouissante ». Avec lequel « la relation exige de la constance, du tact, de la fidélité. Elle demande aussi une certaine réserve. Le temps médiatique n’est pas le sien ». Et d’ajouter « le royaume est devenu une grande puissance africaine ». « Ses entrepreneurs, ses intellectuels, ses artistes, ses élites n’ont plus rien à envier aux nôtres ». Il déplore le « tropisme algérien » du Président Macron qui, « lui procurera bien des déceptions ». Il ne pense pas « qu’il faille multiplier les initiatives auprès des dirigeants algériens ». Car « ils ont besoin d’un adversaire pour détourner l’attention de leur peuple de l’échec patent dans lequel ils ont plongé ce pays magnifique » doté d’un « sous-sol regorgeant de matières premières ». Et Nicolas Sarkozy de pronostiquer « A ce jeu-là, nous risquons de tout perdre. Nous ne gagnerons pas la confiance de l’Algérie et perdrons celle du Maroc ».
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Le lecteur attentif de ce « temps de combats » notera l’autocritique teintée d’humour à laquelle se livre parfois Nicolas Sarkozy alors même, il en convient « que la reconnaissance spontanée de (ses) erreurs » n’est pas son « inclination naturelle ». De tous les combats, celui auquel Nicolas Sarkozy, sans le dire aussi explicitement, est peut-être le plus attaché réside dans ce bel aveu « j’aime la France et j’ai voulu être aimé des Français ». Même s’il affirme, au fil des ses interviews, avoir tourné le dos à «la politique active », ce combat là n’est pas près de s’achever.
(*) Né au Maroc, Eric Besson est un ancien ministre français. Il fut notamment ministre de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique sous la Présidence de Sarkozy. Coordonnateur d’un rapport «France 2025» paru en 2009, il se passionne pour la prospective et les grands enjeux de l’avenir. Eric Besson a aussi exercé de nombreuses responsabilités dans le secteur privé. Il préside aujourd’hui la filiale marocaine d’un groupe de services suisse. Il écrit cette chronique dans Challenge à titre personnel.