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Les notations de crédit : un levier ou un frein pour les marchés émergents ?

Longtemps perçues comme un simple baromètre du risque financier, les notations de crédit jouent un rôle déterminant dans l’accès aux financements internationaux des marchés émergents. Pourtant, la méthodologie standardisée des agences comme S&P Global Ratings est de plus en plus contestée pour son manque d’adaptabilité aux réalités économiques locales. Entre rigidité des critères, impact sur les coûts d’emprunt et influence sur la perception des investisseurs, ces notations sont-elles un outil fiable ou un frein au développement des économies en pleine mutation ?

Les marchés émergents représenteront environ 65 % de la croissance économique mondiale d’ici 2035, selon les estimations du FMI. Et pourtant, le constat est que ces économies restent vulnérables aux fluctuations des marchés financiers, aux chocs inflationnistes et aux incertitudes politiques. Dans ce contexte, les notations de crédit attribuées par les agences comme S&P Global Ratings jouent un rôle central : elles influencent directement la perception des investisseurs, le coût de l’endettement et la stabilité financière de ces pays. Une dégradation peut entraîner une fuite des capitaux et renchérir le financement des États, tandis qu’une amélioration ouvre l’accès à des financements plus attractifs. Mais ces évaluations sont-elles toujours justifiées ? L’Afrique subsaharienne, dans son cas d’espèce, illustre parfaitement les enjeux de cette dépendance aux agences de notation. Malgré un potentiel de croissance indéniable, soutenu par une démographie dynamique et des ressources naturelles stratégiques, plusieurs pays de la région peinent à obtenir des notes favorables. Les investisseurs internationaux scrutent ces évaluations pour ajuster leur exposition au risque, ce qui accentue parfois la volatilité des marchés locaux. Or, les critères utilisés par les agences sont souvent critiqués pour leur manque de prise en compte des dynamiques spécifiques aux économies émergentes. La question qui se pose est la suivante : peut-on réellement comparer la résilience d’un État africain à celle d’un pays européen en appliquant les mêmes standards ?

Quand les agences commencent à s’activer sur cette perception

Sur son site officiel, S&P Global Ratings a ouvert une lucarne d’analyse pour rassurer quant à cette perception qui biaise le travail des agences de notation. « Les notations et la recherche sur les souverains jouent un rôle important dans l’optimisation de la transparence financière. Nos notations de crédit expriment une opinion prospective et indépendante sur la capacité et la volonté d’un émetteur à honorer ses engagements financiers, fondée sur une analyse quantitative et qualitative. Afin de garantir la cohérence, nous appliquons la même méthodologie publique à tous les États souverains que nous notons – plus de 135 dans le monde, y compris les marchés émergents et les pays frontaliers. Nos études de défaut et de transition continuent de démontrer que nos notations sur les États souverains bénéficient d’un historique solide et durable et qu’elles permettent d’évaluer efficacement le risque de crédit relatif au fil du temps »., lit-on dans la note.

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Et d’ajouter : « Nous nous engageons à respecter les normes les plus strictes dans nos activités de notation, et nos opinions et mesures de risque s’appuient sur notre solide expérience. Les analystes crédit de S&P Global Ratings possèdent une connaissance approfondie des spécificités et des spécificités locales de ces États et interagissent généralement directement avec les gouvernements pour échanger et recueillir leurs points de vue. Les notations de crédit ne sont qu’un des nombreux éléments que les investisseurs et autres acteurs du marché peuvent prendre en compte dans leurs processus décisionnels ».

« Chez S&P Global Ratings, notre mission est de fournir au marché des informations analytiques de haute qualité, objectives et indépendantes. Nous évaluons les marchés émergents et frontières du monde entier, qui présentent des fondamentaux divergents et un large éventail de risques et d’opportunités de crédit. Nos analystes crédit évaluent ces pays selon la même méthodologie que celle que nous appliquons à toutes nos notations souveraines afin de garantir la cohérence. Forts de 30 ans d’expérience dans la notation des États souverains en Afrique, nous employons des collaborateurs sur le continent depuis 2008. ». Contacté par Challenge sur , le CEO de BDO Zakaria Fahim, explique ; « Agence de notation : Vers un Big Three structuré ? Les agences de notation reviennent régulièrement dans le débat dès lors qu’elles attribuent des notes influençant directement les marchés financiers. À l’image des cabinets d’audit, les trois grandes agences (Moody’s, S&P, Fitch) ont structuré un écosystème qui leur confère une signature plus puissante que leurs concurrents. Cette position dominante façonne la perception du risque et oriente les flux d’investissements à l’échelle mondiale. Si cette consolidation leur permet de peser davantage dans les décisions financières, elle pose également la question de la représentation des économies du Sud global. L’enjeu n’est pas de contrer ces agences, mais de doter les marchés émergents d’un outil de notation aligné sur leurs spécificités économiques, afin d’offrir une lecture plus adaptée des risques et opportunités qu’ils présentent. Une agence de notation propre aux économies du Sud ne viserait donc pas à s’opposer aux grandes références existantes, mais plutôt à enrichir l’écosystème financier en apportant une vision complémentaire, plus contextualisée et moins sujette aux biais systémiques des modèles occidentaux. Cela permettrait d’améliorer l’accès au financement, d’optimiser les stratégies d’investissement et de renforcer l’attractivité des marchés émergents sur la scène internationale. »

En attendant, l‘impact est réel

« Une notation de crédit n’est pas seulement un indicateur ; elle influence directement les conditions de financement d’un pays. Une mauvaise notation entraîne une hausse des taux d’intérêt sur les emprunts souverains, réduisant ainsi la capacité des gouvernements à financer des projets d’infrastructure ou des réformes économiques », nous confie une de nos sources. Cette spirale de coûts élevés peut exacerber les difficultés économiques au lieu de refléter une réalité objective. En parallèle, les investisseurs institutionnels, largement dépendants de ces notations pour guider leurs décisions, peuvent hésiter à s’engager sur des marchés sous-évalués, contribuant à une fuite des capitaux et à une faible diversification des financements. Ce phénomène maintient certains pays dans une situation de dépendance financière, limitant leur marge de manœuvre pour sortir d’un cycle de notation dégradée et d’endettement coûteux.

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En somme, les notations de crédit restent un outil incontournable pour évaluer la solvabilité des États, mais leur méthodologie actuelle pose un problème d’équité pour les marchés émergents. Une réforme des critères d’évaluation, intégrant une vision plus prospective et adaptée aux spécificités locales, s’impose pour permettre une meilleure inclusion de ces économies dans le système financier mondial. À défaut, ces notations continueront d’être perçues non comme un simple baromètre du risque, mais comme un frein au développement des économies en pleine croissance.

 
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