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Les raisons de la défaite de l’extrême-droite en France

Ses dirigeants mettent en cause une « alliance du déshonneur » entre la gauche et le centre droit pour lui voler la victoire. Mais l’extrême droite française a aussi montré son impréparation au pouvoir, en présentant notamment des candidats aux sorties plus que douteuses.

Forte de sa victoire aux élections européennes, puis de son score historique (33%) au premier tour des législatives le 30 juin, le Rassemblement national de Marine Le Pen et ses alliés étaient donnés gagnants du scrutin au deuxième tour, même sans majorité absolue.

Mais ils ont terminé troisième, derrière le camp macroniste et l’alliance de gauche, arrivée première à la surprise générale.

La première et principale raison de ce revers –même si la percée de l’extrême droite à l’Assemblée reste sans précédent en France depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale– est le « front républicain » qui a, une fois encore, fonctionné à plein. Plus de 200 candidats de gauche et de centre-droit se sont désistés mutuellement en faveur des uns ou des autres pour éviter qu’un candidat RN soit élu.

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Un « barrage » dénoncé par le dirigeant du RN Jordan Bardella, qui a fustigé dès dimanche soir une « alliance du déshonneur » visant à voler la victoire de son parti et priver les Français d’un « gouvernement de redressement ».

Mais, au-delà du front républicain, le RN semble avoir souffert d’impréparation. Lors des débats télévisés, M. Bardella est parfois apparu vacillant sur le fond des dossiers, et les volte-face et ambiguïtés du programme de son parti ont été pointées par ses adversaires.

La campagne a par ailleurs été marquée par des dérapages retentissants, mettant à mal la stratégie de normalisation de Marine Le Pen. La fille du fondateur du parti, le sulfureux Jean-Marie Le Pen, condamné pour ses saillies antisémites et racistes, avait engagé depuis dix ans une patiente tactique de dédiabolisation.

« Entre les deux tours, on a un peu assisté à l’illustration de la formule: chassez le naturel, il revient au galop », estime Pierre Mathiot, professeur à Sciences Po Lille.

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« Après les européennes et le premier tour, ils se sont laissés griser, ont peut-être eu un sentiment de toute-puissance » et commis des erreurs, dit-il à l’AFP.

Jordan Bardella a ainsi provoqué une grande émotion en annonçant entre les deux tours que son gouvernement interdirait une liste de postes sensibles dans la haute fonction publique aux Français binationaux.

Et le député RN Roger Chudeau – réélu – avait scandalisé en expliquant tranquillement que l’ancienne ministre socialiste de l’Éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem n’aurait pas dû accéder à ce poste en raison de sa double nationalité franco-marocaine.

Même Marine Le Pen s’était déclarée « estomaquée » par cette sortie.

Sur le terrain, des dizaines de candidats ont donné une image d’incompétence, d’amateurisme, et de racisme décomplexé.

Une candidate a récusé tout racisme au RN en se targuant d’avoir un « ophtalmologue juif » et un « dentiste musulman ». Un autre a exprimé ses « doutes » quant au caractère antisémite des propos pour lesquels Jean-Marie Le Pen avait été condamné dans les années 80. Une autre a accusé le gouvernement Macron de vouloir « opérer un lavage de cerveau » en distillant « la culture islamique »…

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Les réseaux sociaux ont fait leur miel d’extraits de débats télévisés en région où des candidats RN se montraient totalement incapables d’expliquer leur programme. D’autres encore ont été totalement invisibles pendant la campagne, ne répondant pas aux sollicitations des journalistes.

« Il y a toujours un problème d’image et un manque de crédibilité » du RN, expliquait dimanche soir le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus sur la chaîne Public Sénat.

Le RN a évoqué des « brebis galeuses » dont les cas seront examinés. Mais Marine Le Pen a aussi évoqué des « maladresses » de « braves gens », jouant sur le registre du peuple contre les élites.

Les dérapages des candidats RN ont pu avoir un effet mobilisateur sur l’électorat de droite qui penchait vers l’abstention, mais n’ont pas eu d’impact sur l’électorat RN, qui se caractérise par sa « fidélité » au parti, estime Pierre Mathiot.

Quoi qu’il en soit, poursuit le chercheur, le revers relatif du Rassemblement national ne doit pas faire oublier que l’extrême droite réalise une percée historique. « On est passé de 8 députés en 2017 à 88 en 2022 et aujourd’hui plus de 140 », rappelle-t-il.

Marine Le Pen ne disait pas autre chose dimanche soir: « La marée continue à monter », « notre victoire n’est que différée ».

Challenge (avec AFP)

 
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