Les réseaux sociaux : une économie réelle ?
Meta, X, Instagram, TikTok… ces plateformes numériques n’ont pas fini de conquérir le monde. Captivant l’attention de milliards de personnes, « les indispensables 4.0 » favorisent le lien social et sont devenues de véritables économies à part entière, au-delà du virtuel.
Paul Romer, Prix Nobel d’économie en 2018, explique dans ses travaux sur la théorie de la croissance endogène que : « le progrès technique n’a rien de hasardeux ni d’extérieur à l’économie, il est produit par l’activité économique elle-même. Le progrès provient de la recherche, et c’est seulement quand les chercheurs sont persuadés de la rentabilité de leurs recherches qu’ils se lancent dans cette activité. Le progrès technique a donc besoin d’un cadre précis pour se transformer en croissance, et cette croissance, à son tour, favorisera la recherche. » Il ajoute : « le progrès technique n’a rien de hasardeux ni miraculeux, c’est le fruit d’un calcul économique rationnel de la part des individus ». Née dans de grands pôles de recherche tels que le MIT, Harvard, ou encore la Silicon Valley, l’innovation des réseaux sociaux a bouleversé l’activité économique mondiale.
Selon l’expert BDM, plus de 36,5 % du temps total passé sur Internet l’est sur les réseaux sociaux. Près de la moitié des utilisateurs s’en servent pour « rester en contact avec la famille ou des amis » (48,6 %), 37,3 % y vont pour « passer le temps » et 34,6 % pour « s’informer ou lire l’actualité ». Côté chiffres, ces plateformes génèrent d’énormes fonds économiques. En effet, environ 85 % des revenus proviennent de la publicité, en très forte croissance.
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Aujourd’hui, les entreprises sont les plus présentes sur cette niche. Selon l’institut McKinsey Global, à l’échelle mondiale, 90 % des entreprises utilisant les réseaux sociaux rapportent qu’elles font des bénéfices. D’ailleurs, d’après une étude de l’expert en statistiques Statista, le marché du marketing d’influence pesait 16,4 milliards de dollars en 2022, soit 20 fois plus qu’en 2015. Sur ce terrain, un autre type d’influence numérique a émergé, notamment les contenus publicitaires portés par les influenceurs. « Les influenceurs produisent un taux d’engagement plus fort (96 %) que les contenus publiés par les marques elles-mêmes. » Aujourd’hui, avec une communauté de 23,8 millions d’utilisateurs au Maroc, soit 63,4 % de la population totale présente sur les réseaux sociaux, on peut mesurer le véritable marché potentiel que représente cette audience pour les nouveaux entrepreneurs du net. Ces followers constituent leur « fanbase » et, au-delà de la data, une véritable mine de potentiels clients. En janvier 2022, la plateforme YouTube comptait environ 21,5 millions d’utilisateurs. Facebook Messenger en comptait 8,35 millions au Maroc, et TikTok captait 5,97 millions d’utilisateurs âgés de plus de 18 ans.
« Aujourd’hui, nous sommes de plus en plus confrontés à une économie numérique qui devient un vrai sujet au Maroc. De plus en plus, nous voyons ce type de transactions se réaliser à travers les réseaux sociaux, et ces plateformes deviennent une réalité économique, car toutes les entreprises qui veulent se développer économiquement doivent être présentes sur ces réseaux sociaux. Cela devient un canal de communication et de commercialisation de leurs solutions », nous confie Mohcine Benachir, DG de Prestige Informatique.
L’économie numérique au Maroc, une réalité ?
Dans une analyse du numérique dans la région MENA, un rapport de la Banque mondiale publié en 2022 explique que « la numérisation complète de l’économie pourrait entraîner une augmentation du PIB par habitant d’au moins 46 % sur 30 ans, ce qui représenterait à long terme un gain estimé à au moins 1.600 milliards de dollars pour la région ». Toujours selon les experts de la Banque mondiale, « le chômage frictionnel pourrait passer de 10 % à 7 % sur une période de six ans (ce qui correspond à une réduction du nombre de chômeurs de 12 à 8 millions), et disparaître dans 16 ans… »
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Au-delà des perspectives et projections, si l’on prend par exemple la niche des investissements dans la publicité numérique : selon l’étude Digital Trends Morocco 2023, révélée lors de l’African Digital Summit, le budget du digital représente près de 17 % du budget marketing des entreprises. Toujours selon l’étude, les achats publicitaires sur les réseaux sociaux sont les principaux outils utilisés, le marché tendant de moins en moins vers l’externalisation. Dans ce secteur, on assiste à une véritable mainmise des géants de la Tech sur la manne financière.
Aujourd’hui, le constat amer est que les sites d’information sont étouffés par les géants de la Tech comme Facebook et Google, qui règnent en maîtres sur le marché de la publicité en ligne. Selon les chiffres que nous avons pu obtenir, ils se partagent à eux seuls 60 % à 70 % du marché. Rien qu’en 2022, Google a enregistré un bénéfice net de 60 milliards de dollars, généré principalement par la publicité en ligne. De plus, il faut noter que Google et Facebook ne paient pas d’impôts au Maroc. Dans un article que nous avons traité il y a quatre mois sur Challenge, l’ancien président du GAM Mounir Jazouli avait mis en lumière la nécessité pour les éditeurs de se rassembler pour affronter cette problématique. « Aujourd’hui, les éditeurs locaux doivent impérativement mutualiser leurs forces pour constituer une véritable force face aux GAFAM », alertait Jazouli. Et d’ajouter : « L’un des enjeux est surtout de proposer aux annonceurs marocains des plateformes technologiques performantes et des services qui peuvent concurrencer ceux des GAFAM. » Notre interlocuteur avait également tiré la sonnette d’alarme au sujet du nouveau phénomène des articles payants, qui selon lui réduisait la visibilité des publicités par les internautes. « Il faut réfléchir à d’autres modèles économiques. Ils peuvent par exemple conditionner la lecture d’un article à l’ouverture d’une vidéo publicitaire », expliquait Jazouli.
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Pour le président de l’Apebi, Redouane El Haloui, « Les réseaux sociaux, c’est effectivement du virtuel en termes d’accès, mais c’est aussi une vraie économie. » Après être revenu sur le phénomène du marketing d’influence et son impact dans l’écosystème des entreprises, ce dernier a insisté sur la question du modèle économique de la publicité. « On voit émerger des influenceurs depuis plusieurs années, et c’est quelque chose qui va évoluer de manière croissante. Nous sommes dans un monde où la révolution 4.0 est déjà là. Les entreprises ont besoin de ces réseaux sociaux pour pouvoir mettre en avant leurs services. Aujourd’hui, c’est devenu un critère de sélection pour les consommateurs. Alors, les entreprises font appel à ces influenceurs pour mettre en avant leurs produits et services. Cependant, le revers de la médaille est que ces mastodontes du numérique ne sont pas installés au Maroc, et nous n’avons ni la maîtrise ni le contrôle ; nous ne pouvons pas discuter avec eux. C’est important de pouvoir discuter, non seulement pour les données, mais aussi pour le modèle économique sous-jacent. Quand une entreprise veut faire de la publicité, elle va payer Meta, mais c’est en devises et c’est limité. Si nous voulons pouvoir exporter à l’international, il faut être visible, et pour être visible, nous sommes forcés d’utiliser ces moyens. Aujourd’hui, c’est un vrai sujet sur lequel il faudrait se pencher », explique le président de l’Apebi.
Rappelons qu’en 2018, une commission spéciale de la Direction générale des impôts (DGI) et l’Office des changes s’était penchée sur la fiscalité des revenus publicitaires des GAFAM dans le Royaume, mais depuis, c’est le statu quo. Alors, l’entrée en jeu des acteurs nationaux, au-delà de l’équilibre de marché, permettrait également de stopper net les achats en devises opérés sur les plateformes numériques.
Les réseaux sociaux et le goût du business
En 2023, Facebook a doublé son bénéfice net à 10,4 milliards de dollars (8,78 milliards d’euros) au deuxième trimestre 2022 pour un chiffre d’affaires de 29 milliards (24,48 milliards d’euros), grâce à l’appétit des marques pour la publicité sur ses différentes plateformes. « La croissance des revenus publicitaires au deuxième trimestre a été alimentée par une augmentation de 47 % du prix moyen des publicités et une hausse de 6 % du nombre d’annonces diffusées », a expliqué la plateforme dans un communiqué. Il faut noter que ces dernières années, avec l’option display, le besoin de publicité des entreprises a quasiment triplé. Pour rappel, au 30 juin 2023, selon le groupe, quelque 3,5 milliards de personnes dans le monde fréquentaient tous les mois au moins l’un des quatre réseaux et messageries de Meta : Facebook, Instagram, WhatsApp et Messenger.