Tourisme

L’urgence d’une nouvelle vision

La Chambre des conseillers vient de « pondre » un rapport sur le secteur du tourisme. Un diagnostic permettant de relever des insuffisances mais qui demeure prisonnier d’une vision à court terme. Les solutions conjoncturelles ne peuvent guère mettre fin à une crise structurelle.

Un groupe thématique a été créé par la Chambre des Conseillers pour établir une «radioscopie» du secteur du tourisme. L’état des lieux, dressé dans un rapport de cent pages, est dominé par une approche principalement descriptive et faiblement explicative. Certes, le rapport permet de cerner certaines contraintes mises en avant. Il s’agit en particulier de la hausse exagérée des prix des services touristiques comparativement à l’offre internationale, et ce, malgré les aides publiques directes et indirectes apportées en période de crise audit secteur. Le rapport évoque aussi l’ampleur du phénomène de la mendicité qui entache l’image du Maroc. Nos chers conseillers oublient qu’on ne nait ni mendiant ni parlementaire. C’est avant tout une réalité sociale qui mérite d’être mieux creusée pour comprendre les vraies causes de certains comportements et pratiques devenus des «quasi-professions».

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Cette situation impacte négativement la compétitivité du secteur et rend le Maroc moins attractif que d’autres destinations dans le pourtour méditerranéen, telles que celles de l’Espagne et de la Turquie où sont proposés des services à des prix moindres et à une qualité meilleure. Ledit rapport souligne l’insuffisance, voire l’absence de contrôle des prix, ainsi que des écarts dans la qualité des infrastructures hôtelières, bien que classées similairement. Le tourisme interne, ce parent pauvre du secteur, souffre structurellement de la baisse continue du pouvoir d’achat des catégories sociales à revenus moyens, obligées de revoir leurs priorités et de consacrer leurs revenus à d’autres dépenses, notamment celles afférentes à l’éducation et à la santé, ou à passer leurs vacances à l’étranger, là où l’offre est meilleure. S’ajoute à cela la mendicité, devenue un phénomène social de grande ampleur, exercée de manière professionnelle, et encouragée notamment par la non application des sanctions prévues par la loi. D’autant plus que la mise en place des «aides directes», dans le cadre du chantier de la généralisation de la protection sociale, ne devrait plus justifier ou tolérer la mendicité. Et bien sûr, là aussi, dans le secteur du tourisme, l’informel est florissant, profitant même des nouvelles technologies de l’information et de la communication, pour casser les prix et priver l’Etat et les collectivités territoriales (CT) de ressources importantes. Pourtant la détection et l’identification, aussi bien par les services relevant du ministère de l’Intérieur que les services du fisc ou de l’Office de change, ne sont guère difficiles, puisque l’offre « informelle », présentée à travers les réseaux du net, est tout à fait traçable et identifiable. Enfin, ledit rapport parlementaire, pour s’inscrire un peu dans l’air du temps, évoque aussi  des facteurs exogènes liés aux tensions géopolitiques, aux attentats terroristes et aux crises économiques et financières internationales, à l’origine des politiques d’austérité dans les «pays exportateurs de touristes vers le Maroc». En fait, ces «facteurs exogènes» sont déterminants pour le tourisme international et ne peuvent nullement être maitrisés en interne. Alors, comment serait-il possible de faire du tourisme un «secteur stratégique» ?

Le rapport ne s’arrête pas au constat. Le «groupe thématique» de la Chambre des conseillers a aussi exprimé des recommandations. Celles-ci mettent l’accent en particulier sur des aspects liés au mode de gouvernance. Ainsi, il est proposé de : renforcer les réunions de la Haute Autorité du tourisme, présidée par le Chef de gouvernement, pour une mise en cohérence  globale des politiques publiques avec celle dédiée au tourisme ; procéder à une révision des rapports entre le ministère du Tourisme et les différentes instances intervenant directement dans la gestion du secteur : l’Office national marocain du tourisme et la société marocaine d’ingénierie touristique ; mettre en place un contrat programme basé sur les résultats, en vue de consacrer les principes de responsabilité et de reddition des comptes ; accélérer la mise en place du Conseil national du tourisme.

En fait, comme dans d’autres secteurs, on a l’impression d’être face à une «fourmi» qui travaille toute seule, tout en étant encadrée par une armada de chefs chargés de la surveiller, de la contrôler, de l’évaluer, de l’auditer, d’assurer le suivi de son travail, de la commander, d’arbitrer, de la sanctionner (…). Et la « fourmi », premier maillon de la chaine, première source créatrice de la valeur, « au bas de l’échelle », est la moins rémunérée, la moins récompensée et la moins encouragée.

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Nos chers conseillers, «qui ont vraiment besoin d’être mieux conseillés», proposent une innovation des formes et des instruments de communication, la digitalisation des contenus (l’informatique comme baguette magique !), la prise d’initiatives proactives, la publicité d’un Maroc de paix et de stabilité politique et économique, la préparation de la Coupe du Monde (…). Sans oublier la réhabilitation des infrastructures  et des services aéroportuaires, ainsi que du transport touristique dans toutes ses variantes, dans les ports et aéroports. Enfin, l’artisanat est à promouvoir de manière plus créative. La révision du cadre juridique de la Maison de l’artisan s’avère nécessaire. De manière générale, la diversification de l’offre touristique s’impose, ainsi que la promotion du tourisme interne et la réhabilitation/élargissement de l’offre d’hébergement. Beaucoup de mots. Peu de volonté d’action.

Tourisme : un secteur à  réinventer
Avec les changements climatiques, les nouvelles technologies qui montent en puissance et les conflits géopolitiques qui se multiplient, il est de plus en plus urgent de revoir l’ancienne conception du tourisme et de mieux se préparer aux changements. Le pilotage à vue a montré ses limites. 
• A fin juin 2024, 7,4 millions de visiteurs au Maroc. En fait, le chiffre comprend aussi bien des étrangers que des nationaux de la diaspora marocaine, venus principalement visiter leurs familles. La transparence des chiffres est donc nécessaire. Une comparaison (qui, certes, n’est jamais raison), permet de mieux apprécier la situation du tourisme au Maroc. Pas très loin des côtes marocaines, au Sud du Royaume, l’archipel des Canaries accueille, annuellement, une moyenne de plus de 14 millions de touristes, alors que la population totale de cet archipel, d’une superficie totale de 7 447 km, ne dépasse pas 2,2 millions d’habitants. Le salaire moyen est de 1 325 euros. Le prix moyen pour une nuit dans un hôtel de luxe ne dépasse pas 100 euros. Tenerife est le 21ème port mondial pour le trafic de croisières. Les premiers marchés se situent en Europe : Royaume Uni, Allemagne, Espagne, Pays nordiques de l’Europe et France. 74% du PIB provient du secteur tertiaire, en particulier le tourisme.
• En ce mois de juillet, le nord du Maroc connait une baisse de plus de 75% des touristes nationaux, par rapport à la même période, en 2023, malgré une baisse moyenne des tarifs de 50%. Les facteurs évoqués sont notamment la hausse du coût de la vie/réduction du pouvoir d’achat/inflation. Plus spécifiquement, cette année, les salaires ont été versés avant la « fête du sacrifice du mouton », et engloutis à cette occasion. Au mois d’août, les ménages pensent déjà à la rentrée scolaire. Le tourisme national qui aurait pu atténuer la baisse du tourisme international, connait une crise bien plus profonde. En effet, les catégories sociales à revenus moyens ont vu leur pouvoir d’achat s’éroder de manière continue, depuis longtemps, avec notamment la privatisation des principaux secteurs que sont l’éducation au sens large (du préscolaire à l’université), et la santé. S’ajoute à cela le chômage massif des jeunes diplômés qui restent souvent à la charge de leurs parents, lesquels n’hésitent pas à partager leur maigre retraite, pour remédier à l’absence de « filets sociaux ».
• Le tourisme au Maroc a-t-il réellement une importance stratégique ? En posant cette question, aussi simple et aussi directe, il est aussi question d’éviter de «mettre du maquillage sur de la morve». Nombreuses sont les défaillances non évoquées dans le rapport du « groupe thématique » de la Chambre des conseillers. C’est notamment le cas de la question du réchauffement climatique et surtout de la crise de l’eau. Nombreuses sont les infrastructures qui en dépendent étroitement. C’est aussi le cas de l’importance des facteurs exogènes qui sont déterminants lorsque le tourisme est principalement axé sur l’international, en tant que source de devises. Alors que le tourisme national, parent pauvre, souffre de la stagnation des salaires et des revenus d’une classe moyenne qui ne cesse de s’appauvrir. A cela, s’ajoute la précarité des «ressources humaines» qui travaillent dans le secteur du tourisme, secteur où les travailleurs ont le plus souffert récemment pendant la crise sanitaire.
• Autres aspects absents du rapport établi par nos chers conseillers : la négligence du patrimoine historique marocain, et notamment des monuments historiques qui connaissent souvent un état de délabrement ; l’absence d’une vision écologique du tourisme ; l’hyper concentration/centralisation des décisions. Les collectivités territoriales ne disposent guère de prérogatives et de ressources pour développer des activités touristiques au niveau de chaque région, de manière autonome. Les activités informelles sont perçues négativement et combattues, au lieu de favoriser leur intégration sur la base d’une offre d’avantages et d’aides publiques directes et indirectes. C’est dire que beaucoup reste à faire, en commençant par une inversion de la démarche, en adoptant une approche ouverte et réellement innovatrice, quitte à sortir des sentiers battus qui ont toujours mené vers des cercles vicieux, voire des impasses.   

 
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