Malika Demnati à la galerie Bab El Kébir. Hymne à la nature et au vivre ensemble
Diplomates, hommes et femmes d’affaires, d’art et de culture se sont donné rendez-vous mardi 12 décembre 2023 pour célébrer dame nature, la coexistence et fêter l’artiste Malika Demnati. Un vernissage ouvert à l’instar de la grande porte de Bab El Kébir qui l’a abrité. Ambiance.
Une heure avant l’ouverture officielle de la cérémonie, des riverains, des passagers, des jeunes écoliers et quelques touristes envahirent l’intimidant espace de la galerie Bab El Kébir. Ils quittaient les lieux, après avoir admiré les œuvres, contents d’avoir pris un jus, un gâteau et un petit cadeau, le catalogue de l’exposition. Les touristes étrangers n’en revenaient pas d’avoir ce package à l’œil ! On est loin des vernissages élitistes et snobes où il faut se présenter en tenue de soirée, le carton d’invitation en guise de visa, un tampon tatouage vous permettant d’avoir un verre et le catalogue payé rubis sur l’ongle ! Des vernissages où on cultive le paraître, le dos aux œuvres !
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18 heures pile, c’est nos amis de la presse qui se pointent. Maghreb Arabe Presse (MAP), les chaines nationales Al Oula et 2M, des sites à l’instar de lareleve.ma et telexpresse ainsi que d’autres hommes et femmes des médias de divers supports. Et la grande salle, sur trois niveaux, accueille invités et passagers. Dans une ambiance festive, une foule cosmopolite et intergénérationnelle, de 7 à 77 ans sinon plus, se retrouve ce soir-là pour démontrer que l’art et la culture restent ce qui donne sens à notre existence. Que la culture soit l’antidote contre le repli sur soi, l’identité exclusive et meurtrière et l‘intolérance qu’elle soit religieuse, politique ou idéologique. En nous conviant à «Nature Vive», Malika Demnati El Mansouri nous interpelle sur le devenir de notre chère terre et de ses squatteurs, nos autres pauvres humains.
Du jardin à la plage
« Cette nouvelle exposition dans ce lieu mythique et intimidant qu’est Bab El Kébir sera une promenade du jardin à la mer, comme l’est le parcours magique des Oudayas, de son merveilleux jardin andalou vers la plage de Rabat… », écrit l’artiste dans le beau catalogue, qu’elle a conçu et réalisé (Graphely, studio d’art graphique), avec ses éblouissantes reproductions signées Hassan El Mansouri (Pixel’Pro).
Dans une scénographie adéquate, les œuvres s’offrent, illuminées par les projecteurs nous plongeant dans un univers bucolique et luxuriant. Des plantes, des fleurs et des couleurs. Datura jaune, dombaya rose, hortensia, medinilla, aloe vera, agave bleue, les citrons bio, figuier de Barbarie, coquelicots, mimosas… Vert de Hooker, rose de quinacridone, turquoise clair, bleu outremer clair, turquoise de cobalt, vermillon, vert jaune, bleu azur, rouge sennelier, vert anglais clair, jaune de Naples foncé, orange de Chine… Les tableaux, de diverses dimensions et supports, s’offrent à notre regard. Ils se suivent, se communiquent, se complètent dans une profusion de tons et de matières. Des détails sont scrutés à la loupe et agrandis avec un traitement mi-réel mi-imaginaire. Éblouissants sont ces fonds bleu nuit !
C’est en connaisseuse que Malika Demnati aborde cette thématique. N’est-elle pas de formation ingénieur agronome ? N’a-t-elle pas créé une pépinière ? De ses grands-parents et de ses parents n’hérite-elle pas cet amour de la terre, de la flore et des bouquets de fleurs ? Les touches de la grand-mère, Geneviève Barrier Demnati, continuent de hanter l’œuvre de la petite fille. En dessinant les jardins, Malika n’essaie-elle pas de reproduire l’image du rêve premier, l’image paradisiaque du firdaws ? Depuis la nuit des temps, dans toutes les civilisations, l’art du jardin soulève la même et incontournable question, la question de l’origine et de l’inéluctable retour. Qu’est-ce qu’un cimetière sinon le contre-jardin par excellence ? (Marabout, cimetière des Oudayas).
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Une grande partie des œuvres est exécutée au temps du Covid. Le temps de l’appréciation des petits plaisirs de la vie et du questionnement sur soi. Une fois le confinement terminé, retour à l’espace public, à la plage, à la mer. Et c’est le vivre ensemble que continue de célébrer Malika Demnati sur les sables dorés des plages de Rabat. Les images défilent dans la salle du fond. Des femmes voilées, d’autres en maillots de bain, des enfants qui se chamaillent, des couples qui se tiennent la main… Huile sur toile, photographie et pastel à l’huile sur carton…des œuvres où les personnages s’animent, suspendus dans des espaces-temps infinis évoquant un Maroc éternel et multicolore, ô combien cher à la plasticienne.
Voir les Oudayas et mourir !
Une promenade dans la Kasbah des Oudayas conduit vos pas, à votre insu, vers un passé immémorial. Le fort remonte à l’époque des Almohades. Mehdiya, Ribat Al Fath, la Kasbah ou le Château furent ses noms successifs avant de porter celui de la tribu des Oudayas. Les ruelles de notre rocher de Monaco portent toujours les noms d’Oulad Dlim, Oulad Jerrar, Oulad Moutâa, Drabka, fractions de ladite tribu.
Détruite, reconstruite, les vestiges du lieu tracent les exploits des dynasties, des guerriers du Camp de la Victoire et des corsaires de la République de Bouregreg : une muraille crénelée, une porte monumentale, Bab El Kébir, une ancienne prison, quelques canons, une demeure palatiale avec son jardin. Au fil du temps, à coup de romans et de tableaux, une image d’Epinal s’est imposée. On songe aux corsaires, aux captifs, à Cervantès ou Robinson Crusoé, aux consuls et aux renégats. Ahmed El Inglizi (l’anglais) fut celui à qui le sultan Sidi Mohammed ben Abdallah confia la construction de la Squala.
Apprivoisée, domptée et assagie, la Kasbah des Oudayas est aujourd’hui un havre de paix. Du repère des forbans à la cité des artistes… De toutes confessions et pays, ils furent nombreux les diplomates, écrivains, peintres, photographes et musiciens ayant élu ce lieu mythique comme domicile ou muse inspiratrice. Je cite, entre autres, Gaston Mantel, Mahjoubi Aherdane, Mario Bertuchi, Mohamed Bennani, Henri Pontoy, Roman Lazaref, les frères Megri…et Malika Demnati. Familière des lieux, c’est à la Galerie des Oudayas qu’elle exposa pour la première fois en 1996 et ensuite en 1999. Une galerie nichée dans l’enceinte qui abritait le musée ethnographique, installé au temps du protectorat par le service des beaux-arts et monuments historiques, qui est devenu aujourd’hui le merveilleux Musée National de la Parure, abritant une des plus belles collections de bijoux marocains. Ce Musée donne sur le splendide Jardin Andalou réhabilité récemment avec ses fontaines et ces milles et une variétés de plantes odorantes et colorées.
Grâce au projet visionnaire de « Rabat ville lumière et capitale culturelle du Royaume », l’ensemble du site a été restauré dans les règles de l’art. Une ville piétonne, propre et écologique, des monuments historiques, les vestiges d’une histoire mythique et le Musée de la Parure. L’ensemble attire aujourd’hui des visiteurs du monde entier qui déambulent dans un mélange de langues cosmopolites et ô combien joyeux et enthousiastes. Quel bel exemple de la coexistence et du vivre ensemble, thème favori de Malika Demnati El Mansouri.
L’artiste nous convie dans son jardin intime, ici, dans la galerie Bab El Kébir, une porte monumentale de la dynastie Almohade, oeuvre du Sultan Yaâcoub El Mansour (1184-1199) qui résume la quintessence des strates d’un Maroc mosaïque et pluriel.
Visitez «Nature vive», et allez vous promener sur les traces de Camille Mauclair qui écrit en 1933 dans «les couleurs du Maroc» : «Je suis dans un des plus beaux lieux du monde». Allez voir les Oudayas et…mourir !