#Manich_radi: le hashtag qui terrorise le régime d’Alger
Depuis quelques années, l’Algérie est le théâtre de mouvements sociaux et politiques qui révèlent un profond malaise national. Le récent hashtag “#Manich_radi” (« Je ne suis pas satisfait ») illustre cette frustration collective.
Né sur les réseaux sociaux, il est devenu l’expression d’une colère généralisée contre la gestion politique et économique du pays. Entre revendications populaires, manipulations étrangères et répliques patriotiques, l’histoire de #Manich_radi est celle d’une Algérie en quête de changement.
Une colère sociale exacerbée
La naissance de l’hashtag #Manich_radi n’est pas un événement isolé, mais le fruit d’un contexte de tensions accumulées. Malaise social, inflation galopante, baisse du pouvoir d’achat, répression des voix dissidentes : autant de facteurs qui ont attisé la frustration des Algériens. Les citoyens, incapables de s’exprimer librement, ont trouvé dans les réseaux sociaux un espace pour faire entendre leur ras-le-bol. Dans ce climat, la campagne #Manich_radi est apparue comme un cri de détresse face à une situation perçue comme insoutenable.
Lire aussi | Ces Marocains qui ont gouverné l’Algérie
Les frustrations sont également nourries par des décisions économiques très mal accueillies. La fin de l’accès à la dotation touristique plusieurs fois dans l’année, par exemple, a privé des dizaines de milliers d’Algériens qui vivent du trabendo entre Alger, Paris et Istanbul, d’un accès socialement salvateur à des devises étrangères, amplifiant leur sentiment d’impuissance par rapport au manque d’alternatives. Pour beaucoup, cette mesure, prise après un laisser-faire de huit années, crée un vide économique incommensurable pour des dizaines de milliers de familles dans toute l’Algérie, et symbolise un pouvoir déconnecté des réalités du peuple.
#مانيش_راضي#مانيش_راضيDzمحطة pic.twitter.com/FigOIBMPyT
— Bilel Dz – Ask Me | إسألني (@Bilel__Dz) December 20, 2024
Un hashtag qui interpelle le régime militaire
Rapidement, #Manich_radi a pris une tournure politique. Loin de se limiter à des doléances économiques, le hashtag a mis en lumière une demande claire : la fin de la mainmise de l’armée sur les affaires civiles. « Dawla madaniya, machi askaria » (« Un État civil, pas militaire »), scandaient déjà les manifestants du Hirak entre 2019 et 2021. Le retour de cette revendication sur les réseaux sociaux montre que le mécontentement envers le régime militaire que Tebboune, à son arrivée, a adoubé, reste vivace.
Lire aussi | La France qualifie le régime algérien de «fantaisiste»
Des vidéos diffusées en ligne montrent des citoyens dénonçant l’omniprésence des militaires dans la gestion de l’Etat. Depuis le coup d’Etat de 1965, l’armée contrôle l’ensemble des institutions publiques, reléguant les présidents successifs à des rôles de façade. Aujourd’hui, les Algériens réclament un changement radical : une armée cantonnée à ses fonctions de défense et un Etat civil véritablement représentatif.
L’échec des politiques économiques du régime militaire a également joué un rôle dans la propagation de #Manich_radi. Alors que le pays reste dépendant des hydrocarbures, la réduction drastique des importations, combinée à une inflation record, a entraîné des pénuries de produits de base. Pendant ce temps, l’Etat a alloué un budget colossal de 25 milliards de dollars à l’armement pour l’année 2025, suscitant l’indignation d’une population qui peine à subvenir à ses besoins.
Le régime d’Alger crie… au loup !
L’impact de #Manich_radi ne se limite pas aux frontières algériennes. Des analyses ont révélé que l’hashtag a été amplifié depuis l’étranger. En fait, la communauté algérienne, très importante en France, a très vite relayé ce cri de détresse. Cela outre l’intérêt croissant des opinions publiques de la région pour ce pays, de plus en plus assimilé à une dictature isolationniste.
Opportunisme oblige, le régime d’Alger crie à la manipulation étrangère et ne manque pas de pointer le Maroc. Mais cela ne diminue en rien la légitimité des frustrations exprimées par les Algériens. Au contraire, elle souligne la vulnérabilité d’un pays en proie à des crises multiples, tant internes qu’externes.
La riposte du régime d’Alger : #Ana_mâa_bladi
Face à l’ampleur de #Manich_radi, une contre-campagne a émergé : #Ana_mâa_bladi (« Je suis avec mon pays »). Cet hashtag, porté par des mouches électroniques et des organisations de masse habituées à se mobiliser dans les campagnes électorales, des journalistes et des influenceurs à la solde du pouvoir, n’a pas mobilisé l’opinion publique autour d’un message dit d’unité nationale. Au contraire, il a suscité un rejet, les Algériens étant écœurés de voir recourir à ce faux-fuyant de la main de l’étranger, pour ne pas avoir à faire face aux véritables causes du malaise généralisé.
Lire aussi | Sortie de devises: Cette décision de Tebboune qui pénalisera encore plus les Algériens
Pour Hafid Derradji, qui semble, à force d’opulence et de notoriété que lui confèrent sa position dans le sport envisager un jour un destin national, les Algériens “ne sont pas toujours satisfaits, mais ils restent aux côtés de leur pays ». Cela comme si, dirions-nous à M. Derradji, le fait de vouloir que les militaires rentrent dans leurs casernes n’était pas une revendication patriotique. Mieux encore, en plus d’être patriotique et salvatrice, cette revendication a aussi le mérite d’être démocratique.
ها هي الحقيقة #مانيش_راضي pic.twitter.com/fGYZF3Tzhf
— من طنجة الى الكويرة ❤️🇲🇦 (@echchahid11) December 22, 2024
Des médias et un peuple muselés et la “main étrangère”
L’émergence de #Manich_radi révèle aussi un vide dans le paysage médiatique algérien. Privés de médias crédibles pour relayer leurs préoccupations, les citoyens qui se sont tournés vers les réseaux sociaux, ont vu un Etat militaire occuper cet espace et y interdire la parole libre, indépendante et proche des réalités du peuple.
Dans cette Algérie bâillonnée, le pouvoir invoque régulièrement la « main étrangère » comme explication simpliste des maux du pays. Ce discours, utilisé pour détourner l’attention des responsabilités internes, agit comme un épouvantail visant à rassembler autour du régime une population pour qui la faillite économique et politique était visible à tous les niveaux. Inflation galopante, pauvreté croissante et absence de perspectives d’avenir alimentent une frustration légitime. Ce n’est pas une influence extérieure imaginaire qui nourrit la colère populaire, mais bien une gestion autoritaire et inefficace qui conduit ce pays vers l’impasse.