Marché du livre. L’heure de vérité ?
Le Conseil de la Concurrence dans une note publiée récemment, a mis en lumière les défis auxquels est confronté le marché du livre scolaire au Maroc. Les conclusions de ce rapport font état d’une réforme en profondeur en vue d’améliorer le système éducatif marocain…
L’institution pilotée par l’ancien patron du CIH, Ahmed Rahhou, a publié récemment un avis sur le fonctionnement monopolistique du marché du livre scolaire. Il ressort de ce rapport, que le modèle économique sous-tendant le marché du livre scolaire est devenu contre-productif reposant sur une offre et une demande artificiellement soutenues par des fonds publics et semi-publics et en total déphasage avec les réalités économiques du marché. Le Conseil de la Concurrence relève une production du livre scolaire massifiée oscillant entre 25 et 30 millions d’exemplaires de manuels «jetables», programmés et conçus à être utilisés une seule fois, soit une «consommation» de 3 à 4 livres en moyenne par élève et par an. «Ces manuels, conçus pour être utilisés une seule fois, engendrent un gaspillage massif de ressources, de matières premières et d’énergie», précise la note. Cette production de masse a eu des conséquences néfastes sur la qualité des manuels. Les droits d’auteur, récompensant la production intellectuelle du contenu de ces livres, ne représentent en moyenne que 8% du prix du livre scolaire. Les prix de ces manuels, fixés par l’État, n’ont pas été révisés depuis 2002-2008, et la procédure légale de fixation des prix n’a pas été respectée dans la majorité des cas.
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Par conséquent, la qualité du papier s’est dégradée, avec un grammage de plus en plus réduit, et les illustrations ne répondent plus aux standards attendus. Contacté par Challenge, Hassan El Kamoun Président Adjoint de l’AlIM (Association des Libraires Indépendants du Maroc) et membre de l’AILF, nous confie dans le cadre de cette note produite par le Conseil de la Concurrence, qu’ils ont eu trois entretiens avec l’institution. Lors de ces réunions de travail, ils ont fait le tour de toutes les problématiques du secteur notamment, la question du monopole, la diversification des programmes, les dynamiques de rentes… «Aujourd’hui, l’un des problèmes majeurs du secteur comme l’a si bien révélé la note du Conseil, c’est bien les pratiques déloyales et le monopole de certains acteurs», précise El Kamoun. Et d’expliquer «La diversité des méthodologie et des programmes tuent également l’activité. Avant 2002, on avait un seul programme que tout le monde devait respecter, aujourd’hui depuis la réforme, tout le monde produit à souhait son programme».
Quatre groupes d’éditeurs contrôlent plus de 53% du secteur !
Parmi les principales conclusions de cet avis : la forte concentration du marché du livre scolaire, malgré la multiplicité apparente des maisons d’édition, avec une forte concentration géographique au niveau de Casablanca, et subsidiairement au niveau de Rabat. En effet, les 4 premiers groupes d’éditeurs contrôlent plus de 53% du marché. Pour le Conseil, le marché du livre scolaire est entièrement verrouillé en amont, donnant lieu à la création de véritables positions de rente acquises par les mêmes éditeurs sélectionnés depuis une vingtaine d’années, et dont les parts de marché sont restées quasiment inchangées durant cette période.
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Ainsi, face à cette bulle qui ne fait que grossir, «le rôle du ministère de l’Éducation doit être réformé en profondeur pour faire du manuel scolaire une priorité nationale». «Un nouveau cadre légal est nécessaire pour plus de transparence et de sécurité juridique». Par ailleurs, le Conseil plaide pour que l’État affirme sa souveraineté sur la production des manuels officiels. Les programmes scolaires doivent être révisés avec la participation de toutes les parties prenantes. Les professeurs doivent être responsabilisés dans le choix des manuels. Il faut aussi réorienter l’allocation des ressources publiques. De même, est-il suggéré, que les gaspillages doivent être réduits et les nouvelles technologies doivent être mises à contribution pour moderniser le manuel scolaire. « Aujourd’hui, le constat est que nous avons affaire à des conflits d’intérêt patents. On retrouve certaines personnes en charge du curricula qui ont des actions dans certaines maisons d’édition », souligne notre interlocuteur. « Aujourd’hui, il faut un véritable cadre réglementaire dans le secteur du livre au Maroc».
L’industrie du livre au Maroc
Le dernier rapport annuel de la Fondation du Roi Abdul-Aziz Al-Saoud sur l’état de l’édition marocaine pour l’année 2022 est instructif à bien des égards. Ce sont près de 1320 livres marocains qui ont été édités en 2022. La langue arabe est prédominante dans le secteur de l’édition, avec un peu plus de 79 % du total (0,38 % pour la langue amazighe) ; les publications dans les langues étrangères constituent une part minime de la production éditoriale du pays, avec 17,42% pour le français, 2,58 % pour l’anglais et 0,30 % pour l’espagnol. Le segment «Création littéraire» occupe une place importante avec 18,71 % du bilan éditorial marocain. Les études juridiques arrivent en seconde position avec 18,33 % des titres, suivis par les études historiques (11,52 %). Certains domaines des sciences humaines et sociales comme l’éducation, les écrits sur l’art, la gestion ou la psychologie n’apparaissent que rarement dans les catalogues des éditeurs marocains. L’essentiel de la production éditoriale marocaine est réalisé et diffusé en format papier. Sur les 1.320 livres édités, 10 % seulement sont publiés en format numérique. Le rapport révèle, par contre, une présence importante du français dans le champ numérique avec 70 titres, suivi de l’arabe (39 titres) et de l’anglais (24 titres). Par contre, les questions politiques représentant 24,81 %, l’économie 30,83 % et les questions sociales 12 % sont des champs disciplinaires mieux représentés dans l’édition numérique marocaine.