Politique

Maroc-Israël : «Ce tournant historique devra s’accompagner d’une nouvelle politique de visas»

La reconnaissance de la marocanité du Sahara par Israël suscite des réactions dans le monde entier. Yasmina Asrarguis, spécialiste du Moyen-Orient et des relations Israël-Maroc, analyse les perspectives de normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays et l’impact de cette décision sur les relations entre Israël et les autres pays de la région. Elle évoque également les perspectives de coopération économique entre les entreprises marocaines et israéliennes dans différents secteurs, ainsi que l’ouverture probable d’un consulat israélien à Dakhla et son impact sur les relations économiques et commerciales entre les deux pays.

Challenge : Quelles sont les perspectives d’une normalisation complète des relations diplomatiques entre le Maroc et Israël, et comment cette décision pourrait-elle affecter les relations entre Israël et les autres pays de la région, tels que l’Algérie et la Tunisie ?

Yasmina Asrarguis : En décembre 2020, le Royaume du Maroc a signé un accord de normalisation et de rétablissement des relations avec Israël en échange de la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara. Ce tournant historique annonçait une ère nouvelle en matière de relation Maroc-Israël, tout en redéfinissant l’environnement stratégique de la diplomatie du Royaume.

Avec les Accords d’Abraham, Rabat s’est offert deux alliés stratégiques de premier plan. D’une part, les États-Unis d’Amérique, sous gouvernance républicaine ou démocrate, sont devenus le premier soutien du Royaume au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU. D’autre part, Israël est en passe de devenir un allié économique, militaire, culturel et diplomatique, malgré des moments de tensions et d’incompréhensions dus à l’instabilité politique côté israélien.

L’annonce de la reconnaissance du Sahara par le Premier ministre israélien le 17 juillet 2023 est dans la continuité du processus de normalisation enclenché en 2020, et ces deux coups de force diplomatiques sont et seront critiqués par Alger. Les généraux et l’appareil politique algérien ont depuis 2020 intégré à leur rhétorique anti-Maroc le rapprochement avec Israël, et la perspective de voir un consulat israélien ainsi qu’un attaché militaire à Dakhla finira de contrarier Alger qui sera contrait à mieux se tenir. Le soutien opérationnel et militaire de l’armée israélienne dans la région acte sur le terrain la souveraineté du Maroc au Sahara et les Israéliens joueront nécessairement le rôle de représentant des États-Unis par effet de ricochet.

Pour ce qui est de la Tunisie, le Président Kaïs Saïed ne pourra guère feindre la surprise sur ce dossier puisque la normalisation Maroc-Israël suit simplement son cours. Tunis essaye pour sa part de négocier dans les coulisses un Accord avec Israël, mais les risques sécuritaires et autres oppositions internes à la Tunisie semblent freiner le processus de normalisation.

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Quelles sont les perspectives de coopération future entre les entreprises israéliennes et marocaines dans différents secteurs économiques ?

Y.A. : En mai 2023, le commerce bilatéral entre Israël et le Maroc atteignait 4,6 millions de dollars, soit une hausse de 66.7% par rapport au mois de mai 2022 (source Abraham Accords Institut). Néanmoins, ce chiffre reste minime si l’on compare la coopération économique d’Israël avec ses autres partenaires arabes : 298.4 millions de dollars avec les Émirats arabes unis et 43.4 millions avec la Jordanie pour le seul mois de mai 2023.

La question de la reconnaissance du Sahara était pour Rabat le nœud diplomatique à résoudre afin de déployer pleinement la coopération économique et industrielle entre les deux pays. Depuis 2020, la coopération économique entre le Maroc et Israël a donc pris du retard. Néanmoins, le premier trimestre 2023 indique une reprise des relations économiques notamment pour les secteurs du tourisme, de la cyber sécurité, de la fintech, ainsi que de l’agriculture, en particulier l’AgriTech. L’arrivée en mars dernier de la chaîne hôtelière israélienne Sélina à Dakhla s’inscrit dans cette dynamique. Pour l’heure, la coopération bilatérale dans les domaines cités s’est faite de façon visible, mais très ciblée. Raison pour laquelle, nous assistons depuis 2022 à une autonomisation partielle de la coopération commerciale. Au-delà des initiatives soutenues et financées par les institutions publiques, la société civile, les investisseurs et les start-up sont actuellement en passe de concrétiser et de renforcer les liens commerciaux entre les deux pays.

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Quel sera l’impact de l’ouverture probable d’un consulat israélien à Dakhla sur les relations économiques et commerciales entre le Maroc et Israël ?

Y.A. : Si le choix de Dakhla relève du symbolique, le volet économique et commercial de la coopération a bien été préparé à Rabat lors des multiples visites de ministres israéliens. En juin 2023, le calendrier diplomatique Maroc-Israël a vu se succéder le Président de la Knesset, le conseiller israélien à la sécurité israélienne ainsi que les ministres israéliens de l’Intérieur, de la Santé, de l’innovation, et de l’Environnement. Cela a abouti à la signature de plus d’une quinzaine d’accords de principe et de coopération sectorielle.

C’est ainsi que le géant de l’industrie militaire israélienne ElbitSystems a annoncé la création de deux usines de drones au Maroc en juin dernier. La coopération militaire et stratégique continuera de prendre forme dans les prochains mois dans le cadre du prochain Forum du Néguev que le Maroc accueillera, probablement à Dakhla.  Si les projections sectorielles en matière de coopération économique semblent positives, celles-ci devront s’accompagner d’une nouvelle politique de visas. Le gouvernement israélien est pour l’instant précautionneux en matière de flux touristique en provenance du Maroc, et cela pour des raisons sécuritaires. En mai 2023, seuls 300 Marocains ont visité Israël tandis que 1800 Israéliens se sont rendus au Maroc sur la même période. Ainsi, afin d’accompagner et de rassurer les investisseurs et entrepreneurs israéliens et marocains, il importe de repenser le flux humain entre les deux pays. Car il ne peut y avoir de paix durable sans une réelle mise à niveau sur le plan des relations humaines, de citoyens à citoyens. Ce que d’aucuns appellent « le facteur humain » de la paix économique.

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