Culture

Maroc: une histoire timorée du 7e Art

Le cinéma en tant que matrice culturelle peut être un creuset vivificateur de l’héritage historique du Maroc. Aujourd’hui, ce puissant outil pouvant marquer le récit du Maroc dans cet univers où l’imaginaire occidental prédomine est, pour l’heure, enregistré aux abonnés absents

Hollywood, Disney, Marvel… Les ambassadeurs de la diplomatie culturelle américaine sont présents dans presque tous les foyers du monde, distillant sous couvert de distraction et de loisir l’american dream et l’america first. Avec l’émergence des plateformes telles que Netflix, Amazon, Apple TV, les films et les séries américains se hissent dans une dimension énorme. Ce sont des millions de personnes à travers le monde qui, chaque soir, sont scotchées devant leur écran, attendant la prochaine série ou le prochain film de la grande industrie du cinéma américain. Pour la petite histoire, rappelons que l’art moderne est une invention occidentale qui a pris toute sa dimension au XIXe siècle. Nombreux sont les sociologues qui se sont penchés sur l’étude et l’analyse de l’art moderne, mais les contributions les plus significatives proviennent de Pierre Bourdieu. Il s’est particulièrement concentré sur l’évolution du champ artistique, en mettant l’accent sur la fin du XXe siècle. Bien qu’il n’ait pas dédié des travaux spécifiques au cinéma, ses réflexions dispersées offrent des perspectives essentielles pour comprendre l’évolution historique et sociologique du cinéma en tant que septième art. Ainsi, avec Pierre Bourdieu, on s’interroge sur les dynamiques de consécration et de reconnaissance qui ont permis d’octroyer au cinéma son statut de septième art. Plus encore, il devient légitime de s’interroger sur l’institutionnalisation des contenus en posant les questions suivantes : qui et quelle idéologie cette institutionnalisation sert-elle ?

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En Occident, au lendemain des deux grandes guerres, le monde du cinéma a subi des changements structurels profonds. On a assisté à la naissance du narratif des vainqueurs et du nouvel ordre mondial qui a pris place dans la consommation cinématographique. Le cinéma a servi de véhicule privilégié à l’idéologie d’hégémonie de l’Occident. Il a été utilisé pour édifier des modèles culturels et propager des visions favorisant et renforçant, par exemple, le soft power américain. Le cinéma hollywoodien, par exemple, a supprimé les frontières, pénétrant les cultures, devenant le messager de la doctrine américaine. Ainsi, dans cette ère de mondialisation de l’image et de mimétisme culturel, n’avons-nous pas le droit de nous interroger sur la place du cinéma national ? Avant de répondre à cette question dans cette enquête, il convient de noter que des pays comme l’Inde avec Bollywood ou encore le Nigeria avec Nollywood ont, ces dernières années, pris cette question très à cœur. Les séries nigérianes essayent de donner la voix du continent, difficilement, sur Netflix.

Le Maroc, un musée à ciel ouvert

Le Maroc, ce beau pays doté d’une civilisation millénaire, regorge d’un véritable patrimoine historique qui peut être le support du récit cinématographique marocain. Les pirates et corsaires originaires de Salé qui firent la gloire maritime du Maroc entre le 15e et le 19e siècle, ou encore Hadda Al Ghaîtia originaire de Safi, dont la poésie marqua le Maroc, Abu Abd al-Lah Muhammad ibn Abd al-Lah al-Lawati al-Tangi ibn Batutah… autant de personnages mis en avant dans le livre de l’auteur Rachid Boufous (« Petites et grandes histoires du Maroc ») qui ont marqué l’histoire et qui peuvent être immortalisés par la magie de la caméra. « Le film historique est un genre cinématographique moins répandu, et ce pour des raisons budgétaires et esthétiques. Mais cela n’empêche pas d’envisager l’histoire comme sous-texte et comme backstory de plusieurs films. N’oublions pas que cette année, le film historique a bénéficié de l’avance sur recette : le film ’18 jours’ et ‘Tajenette’. Peut-être que le manque est dû aussi à un problème structurel qui est l’écriture dramaturgique et le manque de scénaristes professionnels », explique Ezzaher Abderrazak, ancien directeur de l’Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel et du Cinéma, professeur universitaire.

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Rappelons que les premières créations cinématographiques marocaines ont commencé avec « La vie est un combat » (1968) de Mohamed Ben-Abdelouahed Tazi, « Le Fils maudit » de Mohamed Asfour (1967), « Pas de chance » de Moumen Smihi (1971), « Une ombre parmi d’autres » d’Abdelkader Lagtaâ (1969), « De chair et d’acier » de Mohamed Afifi (1959), « Tarfaya ou la marche d’un poète » d’Ahmed Bouanani (1966). Même si des actions ont été entreprises avec la création du Centre Cinématographique Marocain dans les années 60, aujourd’hui le bilan du cinéma n’est pas reluisant : aucun film marocain ne rayonne sur la scène internationale. En 2022, même si le secteur du cinéma au Maroc a connu une dynamique intéressante, tant sur le plan culturel qu’économique, les productions cinématographiques marocaines ont généré des recettes notables de 27,56 millions de dirhams. Cependant, malgré cette réussite économique, il apparaît que les films marocains n’ont capté que 36,19 % de la fréquentation totale des salles de cinéma, à en croire en tout cas le dernier rapport disponible du Centre Cinématographique Marocain (CCM), suggérant que le cinéma national doit encore conquérir une part plus importante du marché local. En effet, le public marocain semble moins faire confiance à la production cinématographique nationale qu’à celle de Hollywood, Bollywood, l’Égypte, la Turquie ou encore la lointaine Corée du Sud. En outre, le nombre d’entrées n’a pas dépassé les 1,5 million sur toute l’année, ce qui représente moins de 4 % de la population. Côté salles, le Maroc compte aujourd’hui seulement 27 salles de cinéma, soit une diminution de 18 % par rapport à 2014. Une baisse qui est à la fois due à la désertion du public et à la disponibilité des films sur des supports comme les DVD, Internet, Netflix, avec pour effet final une chute des recettes aux guichets. « Au niveau quantité, le film marocain est classé parmi les premiers pays africains et arabes, environ 30 films par an, plus le double en courts métrages et en documentaires. Les salles et la distribution sont le talon d’Achille du cinéma marocain… Manque de recettes, signifie handicap au niveau de paiement des avances, déficits annuels », nuance Ezzaher Abderrazak.

Rappelons d’ailleurs que depuis 60 ans, le Maroc n’a produit que 320 films. Selon une de nos sources, les subventions accordées aux films sont faibles, et le cinéma national ne peut produire un film sur l’histoire du Maroc avec un budget de 5 millions de dirhams.

Le cinéma, un enjeu de diplomatie culturelle

« Le Maroc est un pays qui aspire à l’émergence économique. Ses efforts le positionnent dans cette voie depuis le début du 3e millénaire. Il est évident que la position d’un pays sur la scène internationale est fonction de sa puissance économique, sachant que cette position doit beaucoup à sa réputation et à la force de sa culture », explique une note de l’IRES sur le sujet. Selon Jean-Claude Thoenig, une politique publique est « un programme d’action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou gouvernementales ». Les politiques publiques sont donc des outils et des moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics pour atteindre des objectifs dans un vaste champ d’intervention. Par exemple, la politique économique, la politique de la ville, de la jeunesse, de la sécurité… Dans le même ordre d’idée, la diplomatie culturelle est du ressort de la politique publique, et considérant son caractère transversal, elle doit mettre à contribution plusieurs départements ministériels avec une ouverture sur les autres acteurs régionaux et non gouvernementaux.

Toujours selon les experts, « on constate l’absence d’une doctrine de diplomatie culturelle. » Comment le Maroc doit-il être représenté à l’étranger ? Quelle culture exporter ? Dans quel but organiser et promouvoir des voyages d’intellectuels et d’artistes à l’étranger ainsi que la circulation de leurs œuvres ? Où faut-il concentrer les actions : là où les intérêts économiques sont prépondérants ou bien lorsque les tensions politiques ne permettent pas d’échanges autres que culturels ?

En tant que moteur de cette diplomatie, le cinéma marocain est arrivé néanmoins à s’assurer la deuxième place en Afrique en termes de nombre de films produits annuellement, grâce au fonds d’aide institué auprès du Centre Cinématographique Marocain et à une génération talentueuse d’acteurs et de metteurs en scène. Comme le théâtre, le cinéma marocain s’impose sur la scène arabe mais n’arrive pas encore à faire de même en Europe. La présence sur notre territoire de plusieurs festivals, notamment le festival de Marrakech, peut participer à la promotion internationale de nos films, soutient l’étude.

 
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