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Microfinance : un potentiel sous-exploité

Malgré des perspectives prometteuses, le secteur de la microfinance au Maroc peine à atteindre ses objectifs. Pourquoi ce marché, pourtant porteur, reste-t-il en deçà de ses ambitions ?

Le secteur de la microfinance au Maroc, souvent perçu comme une solution clé pour l’inclusion financière, ne parvient pas à réaliser son potentiel. À la fin de 2022, seulement 795 000 clients ont été servis, un chiffre bien inférieur à l’objectif ambitieux de 3 millions de bénéficiaires fixé pour 2020 par la stratégie nationale de microfinance. Ce constat soulève plusieurs interrogations : pourquoi ce marché, qui semblait prometteur, stagne-t-il ? Selon les experts, plusieurs facteurs freinent son développement.

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Karim Zaitouni, PDG de Sispay et Onepay explique à cet effet que «la microfinance, conçue comme un outil clé pour promouvoir l’inclusion financière, connaît des trajectoires contrastées au Maroc et en Afrique. Si le potentiel est immense dans les deux cas, le marché peine à atteindre l’ampleur attendue, particulièrement au Maroc où les ambitions fixées il y a une décennie n’ont pas été atteintes». 
Pour rappel, le secteur de la microfinance au Maroc a vu le jour dans les années 1990, porté par des aspirations élevées. En 2012, la stratégie nationale de microfinance, promulguée par Bank Al-Maghrib (BAM), avait pour objectif d’atteindre plus de 3 millions de clients d’ici 2020. Cependant, à la fin de l’année 2022, seulement 795.000 clients avaient bénéficié de ces services. Ces résultats différents entre les prévisions et la réalité soulèvent des questions sur les causes et les solutions pour atteindre le plein potentiel et dynamiser le secteur.

Des défis rencontrés 

En matière de défis, Karim Zaitouni nous fait savoir qu’en premier lieu, «il y a une couverture rurale insuffisante. Effectivement, alors que la demande de microcrédit dans les zones rurales est élevée, les institutions de microfinance (IMF) peinent à s’y implanter efficacement. L’absence d’une infrastructure adéquate et les coûts élevés associés à l’expansion dans ces régions constituent des freins majeurs. Ainsi, l’un des principaux obstacles réside dans la faible pénétration des IMF dans les zones rurales, là où se trouve pourtant une part importante de la population potentielle ».

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Toujours selon l’expert, «les défis majeurs rencontrés sont les coûts élevés et dissuasifs. La gestion de risque pousse les IMF marocaines à percevoir souvent les micro-emprunteurs comme étant à haut risque, vu leur situation précaire et le manque de garantie dont disposent ces derniers, ce qui se traduit par des taux d’intérêt élevés. Ces coûts peuvent décourager les emprunteurs potentiels, réduisant ainsi le nombre de clients et freinant la croissance du secteur».

Un autre défi qui s’ajoute aux deux premiers est l’offre de produits limitée. En effet, «le secteur de la microfinance au Maroc se concentre essentiellement sur l’octroi de crédits, laissant peu de place à des services complémentaires comme l’épargne ou l’assurance. Cette gamme de produits restreinte diminue l’attrait des IMF et limite leur capacité à attirer une clientèle plus large et plus diversifiée», précise Zaitouni.

Toujours selon ce dernier, «un des défis les plus conséquents est le retard accusé dans la digitalisation. Contrairement à certains pays africains qui ont su tirer parti de la révolution numérique, notamment à travers le paiement mobile, le Maroc reste en retard sur ce plan. Ce manque de digitalisation freine l’accès aux services de microfinance pour une grande partie de la population, particulièrement dans les zones éloignées des centres urbains. La technologie pourrait pourtant jouer un rôle clé dans l’expansion de ces services en facilitant les transactions et en réduisant les coûts».

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D’autres défis peuvent venir s’ajouter à ceux analysés auparavant, comme le manque de système digital central pour connecter toutes les IMF ou des synergies et partenariats avec d’autres secteurs plus installés chez ces populations, comme les services télécom, ou l’agriculture ou l’élevage.
Pour surmonter ces obstacles, une approche intégrée est nécessaire. Cela inclut des investissements accrus dans la technologie, une amélioration de l’éducation financière et une collaboration renforcée entre les institutions de microfinance et le gouvernement pour adapter les réglementations. Le potentiel de la microfinance au Maroc reste immense. Avec des réformes ciblées et une stratégie renouvelée, le secteur peut espérer atteindre les millions de clients initialement envisagés, jouant ainsi un rôle crucial dans l’épanouissement économique du pays.

Benchmark à l’international

En Afrique subsaharienne, la microfinance a également rencontré des obstacles, mais certains pays ont su surmonter ces défis grâce à des innovations stratégiques. Des nations comme le Kenya, le Nigeria et la Tanzanie ont vu une explosion des services financiers grâce à l’adoption massive du paiement mobile.
A noter aussi, que dans de nombreux pays africains, les IMF offrent des produits variés allant du crédit à l’épargne, en passant par les assurances et les transferts de fonds. Cette diversification rend les services plus attractifs et mieux adaptés aux besoins locaux, augmentant ainsi le taux de pénétration.

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En plus, plusieurs IMF en Afrique offrent un soutien technique à leurs clients pour les aider à développer leurs activités. «Cet accompagnement augmente les chances de succès des projets financés, ce qui améliore la solvabilité des emprunteurs et renforce la confiance dans le secteur», explique Karim Zaitouni.
Toutefois, malgré une avancée de certains pays Africains par rapport à d’autres nous retrouvons des défis communs dans ces pays et au Maroc, précise l’expert. 

Pour ce dernier, le premier est : le manque de régulation claire ou une supervision trop stricte entrave parfois l’innovation et la flexibilité des IMF. Le deuxième est le manque d’infrastructure dans la zone rurale, limitant l’expansion du secteur et en dernier, le défi majeur qui est le manque de sensibilisation et de formation des populations sur les services financiers disponibles.

Avis d’expert // Karim Zaitouni,PDG de Sispay et Onepay

Les pistes de relance 
Pour relancer le secteur de la microfinance au Maroc et poursuivre son développement en Afrique, nous disposons de plusieurs axes, en voici quelques-uns. En premier lieu, la technologie est un ’’Game changer’’ qui va accélérer et propager ces services le plus loin possible. Effectivement, les IMF pourraient tirer parti de la digitalisation pour étendre l’accès à la microfinance, en s’inspirant des succès observés en Afrique subsaharienne. Le développement de plateformes de paiement mobile et l’usage des technologies financières pourraient faciliter l’accès aux services dans les zones éloignées.
Créer et développer des partenariats stratégiques avec des acteurs vitaux bien établis dans toutes les zones. Les IMF, tant au Maroc qu’en Afrique, doivent collaborer avec des acteurs locaux, notamment les opérateurs télécoms, les coopératives agricoles et leurs fournisseurs de produits de base, et les grandes entreprises comme les distributeurs d’alimentation générale ou distributeurs de produits d’élevage ou de construction. Cela permettrait de réduire les coûts de transaction et d’élargir la clientèle et se positionner avec ces acteurs pour augmenter le pouvoir d’achat, subventionner un fonds de roulement ou même compléter un projet en pleine évolution.
Enfin, les IMF n’ont pas d’autres choix pour se développer et être compétitifs, que de se diversifier et élargir leur offre au-delà du microcrédit pour inclure des produits comme l’épargne, l’assurance et la micro-assurance, les mini-transferts d’argent sans frais, les paiements chez les petits commerces et d’autres services qui doivent venir en réponse aux besoins spécifiques des zones cibles. Cela rendrait les services plus attractifs et mieux adaptés aux besoins locaux.
Pour terminer, je voudrais vous présenter un projet novateur que j’ai eu l’occasion de suivre. Une entreprise asiatique spécialisée dans la gestion des risques, a développé un système d’évaluation de la solvabilité des particuliers, particulièrement adapté aux marchés émergents. En partenariat avec les opérateurs de téléphonie mobile et les banques africaines, cette entreprise propose des microcrédits flexibles. Grâce à une analyse détaillée des données clients, ces prêts, d’un montant compris entre 50 et 200 dollars, sont rapidement accordés et peuvent être renouvelés.

 
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