Interview

Mohamed Mahboub: «Les entreprises marocaines du BTP relèvent avec brio les défis des grands projets»

Dans cette interview, Mohamed Mahboub, Président de la Fédération Nationale du Bâtiment et des Travaux Publics (FNBTP), explore les clés de la performance remarquable du secteur, malgré un contexte complexe. Le Président revient sur les défis majeurs auxquels le secteur fait face, notamment la pénurie de personnel spécialisé, et les initiatives mises en place pour y faire face à l’aube des grands projets structurants pour le pays.

Challenge : Le secteur du BTP affiche de bonnes performances, quels sont les facteurs qui expliquent cette situation?

Mohamed Mahboub : Ce dynamisme repose sur une série de facteurs qui se complètent et s’enrichissent mutuellement. D’abord, les grands projets structurants lancés dans le cadre des échéances sportives majeures, comme la CAN 2025 et la Coupe du Monde 2030, ont généré une demande accrue en infrastructures, notamment pour la construction et la modernisation des stades, des réseaux de transport, des LGV, des aéroports et ports, des équipements urbains, etc. Cette dynamique est renforcée par le développement des grands chantiers hydrauliques, tels que les barrages, les stations de dessalement et l’autoroute de l’eau, qui sont devenus des priorités stratégiques pour garantir la sécurité hydrique du pays.

Par ailleurs, la reconstruction du Haouz, les aménagements urbains et les programmes de logement, qui accompagnent une urbanisation croissante, ont aussi contribué à maintenir un niveau d’activité élevé, notamment grâce à l’implication du tissu de PME locales qui opèrent sur l’ensemble du territoire. 

Cette effervescence est soutenue par des avancées réglementaires majeures, à commencer par le nouveau décret des marchés publics, qui a introduit des mécanismes favorisant une concurrence plus saine, en généralisant la préférence nationale et en instaurant la règle du mieux-disant pour lutter contre la casse des prix, malgré l’exclusion de certains Établissements et Entreprises Publics de son champ d’application, notamment concernant les avancées clés suscitées.

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Challenge : Quels sont les défis qui restent encore à relever pour le secteur?

M. M. : Mise à niveau du secteur Le BTP marocain est à un tournant stratégique, avec une conjoncture favorable qui offre une opportunité idoine pour tirer vers le haut l’ensemble du secteur et mieux structurer ses acteurs, notamment les PME. Cette modernisation passe par une gouvernance plus rigoureuse, transparente et efficace, ainsi qu’un meilleur encadrement et réglementation de la sous-traitance. D’ailleurs, cette mise à niveau constitue l’un des piliers stratégiques du Contrat Programme signé en 2018 entre le gouvernement, la FNBTP et la FMCI. Réformes réglementaires Par ailleurs, cette mise à niveau nécessite l’adaptation du cadre réglementaire de la commande publique et l’adoption rapide des réformes nécessaires pour faire face aux nouveaux enjeux. Financement du secteur

L’accès au financement demeure un enjeu crucial, exacerbé par les réticences bancaires, en particulier vis-à-vis des PME et l’absence de mécanismes adaptés aux spécificités du BTP. Pour y remédier, la FNBTP propose certaines mesures susceptibles d’améliorer la situation, notamment la création d’un fonds d’appui dédié au secteur, l’augmentation du taux des avances octroyées, sans plafonnement, pour tous les marchés ainsi que le développement de solutions de financement alternatives. Innovation et durabilité

Le BIM et les solutions écoresponsables sont des leviers stratégiques pour un BTP plus performant. La FNBTP, en partenariat avec Building Smart Morocco et la FMCI, se sont engagés avec d’autres partenaires de l’écosystème à promouvoir le BIM et à positionner le Maroc en tant que leader régional. En parallèle, la sensibilisation à la construction durable se renforce, notamment à travers la conférence récente organisée par la FNBTP, LafargeHolcim et la FMCI, qui a mis en avant les innovations majeures du secteur.

Challenge : La pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans le secteur du BTP est l’un des défis évoqués ces derniers mois par les professionnels. Quelles sont, selon vous, les principales causes ?

M. M. : Cette pénurie est avant tout la conséquence d’un besoin exceptionnel et croissant en personnel spécialisé. 

Face à l’ampleur des projets en cours et à venir, la demande explose, dépassant largement l’offre actuelle. Il devient impératif d’augmenter significativement cette offre pour répondre aux défis de 2030, mais aussi anticiper les besoins bien au-delà.

La formation initiale seule ne suffira pas à combler ce déficit ; il est essentiel de développer une formation continue plus poussée et de lever toutes les contraintes qui pourraient freiner son déploiement. Aujourd’hui, l’accès à la formation continue est encore trop limité, que ce soit par des freins administratifs, un manque de dispositifs adaptés ou des financements insuffisants. 

Parallèlement, il faut aussi agir sur l’image du secteur, afin de renforcer son attractivité auprès des jeunes et des professionnels en reconversion.

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Challenge : En tant que Président de la FNBTP, comment évaluez-vous l’impact de cette pénurie sur la capacité des entreprises du secteur à respecter les délais des projets, notamment en ce qui concerne des événements comme la Coupe d’Afrique des Nations 2025 et la Coupe du Monde 2030 ?

M. M. : Aujourd’hui, grâce aux nouvelles technologies de gestion et d’organisation adoptées par les grandes entreprises nationales, les délais des projets sont respectés. 

Ce constat est partagé par les maîtres d’ouvrage, qui saluent la performance et la rigueur de nos entreprises dans l’exécution des chantiers. L’exemple parfait est la construction de l’autoroute de l’eau, un projet stratégique d’envergure qui a été réalisé avec une maîtrise totale des délais et une efficacité exemplaire.

Dans le même esprit, les infrastructures liées aux grandes échéances sportives sont déjà bien avancées et seront prêtes à temps. Cela démontre une nouvelle fois la capacité de notre secteur à relever les défis les plus ambitieux. Nous félicitons nos entreprises nationales, qui ont su mobiliser tous leurs moyens humains, matériels et techniques pour assurer la réussite de ces chantiers stratégiques.

Challenge : Quels sont les efforts actuellement mis en place par la Fédération pour pallier cette pénurie et attirer davantage de jeunes talents vers les métiers du BTP ?

M. M. : La FNBTP a déployé plusieurs initiatives visant à rendre le secteur plus attractif. L’Institut de Formation aux Métiers du BTP de Fès, inauguré en 2023, dont notre fédération assure la gestion déléguée en partenariat avec le ministère de l’Équipement et de l’Eau, a rencontré un succès immédiat dès sa première année. Ce modèle, que nous espérons dupliquer à l’avenir à d’autres régions, repose sur des formations de qualité adaptées aux besoins des entreprises.

Par ailleurs, la FNBTP a aussi prévu des programmes de formation continue remboursés ciblés au profit des entreprises des secteurs des routes et du bâtiment. Et nous militons activement pour lever tous les freins qui limitent l’accès à ces formations afin que les entreprises puissent pleinement en bénéficier.

Enfin, dans un contexte où le numérique et la construction durable transforment le secteur, une vaste campagne de valorisation est en cours pour mettre en avant les opportunités d’évolution et l’attractivité des métiers du BTP.

Challenge : Face à cette crise de main-d’œuvre, pensez-vous que les formations professionnelles et les écoles techniques sont adaptées aux besoins actuels du secteur ? Quelles réformes seraient nécessaires pour mieux préparer la relève ?

M. M. : Pour la formation initiale, il est essentiel d’élargir les programmes dédiés aux futurs ingénieurs, en intégrant la gestion de projet, les outils numériques, la sécurité et la construction durable, etc… permettant ainsi aux futurs cadres d’assurer des rôles de responsabilité au sein du monde de l’entreprise. L’OFPPT a fourni d’importants efforts à travers la modernisation des centres de formations existants et les nouvelles Cités de Métiers de et des Compétences (CMC). Le renforcement du volet pratique est indispensable, notamment par la formation en alternance, afin de faciliter l’insertion professionnelle.

Parallèlement, la formation continue doit être encouragée auprès des entreprises, car les ingénieurs et techniciens doivent suivre les évolutions technologiques et managériales. D’ailleurs, nous avons créé au niveau de l’institut de Formation aux métiers du BTP de Fès une structure dédiée à la formation continue qui est d’ores et déjà opérationnelle. Dans ce contexte, on peut prévoir des formations mobiles sur chantiers sous forme de caravanes, pour répondre aux besoins spécifiques des entreprises.

Enfin, ces formations doivent être accessibles financièrement à travers leur remboursement systématique via les Contrats Spéciaux de Formation (CSF), afin d’encourager les entreprises à investir dans le développement des compétences sans contrainte budgétaire.

Challenge : En termes de gestion des projets d’envergure, quelles stratégies la FNBTP préconise-t-elle pour éviter les retards ou les interruptions dans la réalisation des grands chantiers, tout en assurant la qualité des infrastructures ?
M. M. : Les entreprises marocaines du BTP relèvent avec brio les défis des grands projets, grâce à une gestion optimisée, l’intégration du numérique, une organisation performante et le respect des délais de paiement. Les infrastructures stratégiques avancent à un rythme soutenu et seront livrées dans les délais exigés.

Ce dynamisme est porté par une mobilisation exceptionnelle, une planification et une coordination efficace, garantissant la qualité et la performance des ouvrages.

Avec cette dynamique et cet engagement, nous avançons avec confiance. Les grands chantiers du Maroc seront livrés à temps et aux meilleurs standards. Nos entreprises ont toujours su faire preuve de résilience, d’innovation et d’excellence, et elles continueront à hisser le BTP national à la hauteur des ambitions du pays. Nous serons prêts. 

Son parcours 
Né à Tinidad Errachidia en 1950, Mohamed Mahboub a fait ses études au Lycée Moulay Ismail à Meknès, puis au Lycée Lyautey à Casablanca, avant d’obtenir son diplôme d’ingénieur de l’École Spéciale des Travaux Publics à Paris. Il a commencé sa carrière à l’ONE, puis à Seprob, avant de se concentrer sur l’entreprise Binaa Yarid, dont il est actuellement le co-gérant. Actuellement, Mohamed Mahboub est le Président de la FNBTP, une fonction qu’il occupe depuis juin 2022. Il a rejoint l’organisation en 2010 et a gravi les échelons jusqu’à occuper ce poste.

Son Actu  
Au vu des grands projets d’envergure initiés au Maroc, la problématique de la main-d’œuvre qualifiée se pose. L’offre existante n’est plus suffisante à elle seule pour satisfaire les besoins du marché. 

 
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