Interview

Mohammed Jadri: «Il serait très difficile pour le gouvernement de créer 1 million d’emplois d’ici 2026»

Eclairages de Mohammed Jadri sur la situation du marché de l’emploi au Maroc. En effet, alors que le gouvernement s’était fixé l’ambitieux objectif de créer 1 million de postes d’emploi nets sur une période de 5 ans, la question demeure si cet engagement est toujours réalisable à mi-mandat dans un contexte marqué par des défis économiques et sociaux majeurs. Détails.

Challenge : Quel bilan dressez-vous aujourd’hui du marché de l’emploi au Maroc ?

Mohammed Jadri : SSelon moi, le marché de l’emploi au Maroc traverse une période transitoire mais difficile pour les jeunes marocains, avec un taux de chômage atteignant le niveau record de 13,7%. Cette situation préoccupante s’explique par plusieurs facteurs : les répercussions de la crise COVID, ayant entraîné la perte de plus de 600 000 emplois en 2020, la vague d’inflation qui a freiné l’investissement, notamment pour les TPE et PME, ainsi que la demande en raison de la baisse du pouvoir d’achat des classes défavorisées et de la classe moyenne. De plus, le Maroc a subi une sécheresse sans précédent depuis plus de 20 ans, causant la perte de plus de 297 000 emplois en 2023 seulement. Par conséquent, il est très difficile, compte tenu de tous ces éléments, de trouver des débouchés pour les 300000 à 400 000 jeunes entrant chaque année sur le marché de l’emploi.

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Challenge : Quels sont les défis auxquels le gouvernement est actuellement confronté en matière de création d’emplois, et quelles actions pourraient être prises pour surmonter ces obstacles ?

M.J. : Tout d’abord, il convient de rappeler un point essentiel : le Maroc adopte une nouvelle vision pour le NMD, la vision 2035, visant à doubler le PIB de 130 à 260 milliards de dollars. Pour atteindre cet objectif, des taux de croissance de 7, 8 voire à deux chiffres sont nécessaires. Cependant, les taux actuels sont modestes, oscillant entre 2 et 3%.

Pour réussir, deux défis majeurs doivent être relevés. Le premier consiste à résoudre la question de l’eau grâce à une feuille de route budgétisée à 143 milliards de dirhams. Cette feuille de route inclut la connexion des bassins hydrauliques, la construction de 36 stations de dessalement, des stations de traitement des eaux usées, et la création de petits et moyens barrages. Le second défi est d’assurer la souveraineté énergétique par le développement de projets d’énergies renouvelables, éoliennes et solaires, car l’économie marocaine ne peut supporter des factures énergétiques aussi élevées que celle de 2022, qui a dépassé 15 milliards de dollars.

En surmontant ces obstacles, le coût de production baissera significativement, rendant les produits marocains très compétitifs tant sur le marché national qu’international, ce qui entraînera la création de richesses et d’emplois pour la jeunesse marocaine.

Challenge : Est-il réaliste de s’attendre à ce que le gouvernement atteigne son objectif de création d’un million d’emplois d’ici la fin du mandat, compte tenu des données actuelles sur l’emploi et de la conjoncture économique ?

M.J. : Il serait très difficile pour le gouvernement de tenir son engagement de créer 1.000.000 d’emplois d’ici 2026. Actuellement, et même pour les prochaines années à venir, notre taux de croissance est de 3%, et chaque point de croissance génère entre 16.000 et 20.000 emplois. Ainsi, nous créons entre 48.000 et 60.000 emplois nets par an, ce qui est bien en deçà des 200.000 emplois annuels nécessaires pour atteindre l’objectif d’un million d’emplois. De plus, en 2022, notre taux de croissance n’était que de 1,3%.

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Challenge : Comment évaluez-vous la politique générale du gouvernement en matière d’investissement dans le secteur de l’emploi, et quelles améliorations pourraient être apportées pour maximiser l’impact sur la création d’emplois ?

M.J. : Je pense que le gouvernement accorde une importance stratégique à la question de l’investissement, Il a rapidement mis en place la nouvelle charte d’investissement, qui met l’accent sur l’investissement productif créateur d’emplois, notamment en dehors de l’axe Tanger-El Jadida.
Depuis l’adoption de cette charte, la commission nationale s’est réunie cinq fois, avec une moyenne d’une réunion tous les deux mois, produisant des résultats très encourageants. Parmi ces résultats, on compte l’approbation de 115 projets d’investissement, représentant un montant de 173 milliards de dirhams et la création de 69.000 emplois. La majorité de ces investissements proviennent d’entreprises marocaines et se dérouleront dans neuf régions du pays.

Cependant, la charte d’investissement ne doit pas être considérée comme une fin en soi. Ce gouvernement manque de volonté pour aborder des questions essentielles à la stimulation des investissements et à la dynamisation de l’emploi. Il reste timide dans la lutte contre la rente, la corruption, les intermédiaires, les spéculateurs et les monopoleurs, ainsi que dans la régulation du marché par une concurrence saine.

Il est donc temps de passer à la vitesse supérieure en adoptant des réformes du code du travail, du droit de grève et la loi des organisations syndicales.

Challenge : Quels secteurs de l’économie marocaine offrent le plus grand potentiel de création d’emplois à l’avenir, et quelles politiques sectorielles pourraient être envisagées pour favoriser la croissance de l’emploi dans ces domaines ?

M.J. : À mon avis, le Maroc pourrait exceller dans divers domaines pour atteindre les objectifs du NMD d’ici 2035. Tout d’abord, le pays possède un immense potentiel dans les métiers mondiaux, notamment l’automobile et l’aéronautique. Nous pourrions réaliser des records d’ici 2030 en termes d’exportations, d’attractivité des IDE et de création d’emplois. Le secteur automobile a enregistré des performances remarquables ces dernières années, avec un chiffre d’affaires de plus de 141 milliards de dirhams en 2023. Le Maroc compte plus de 250 unités industrielles à Tanger, Meknès, Kénitra, Rabat, Salé et Casablanca, employant plus de 240 000 personnes et affichant un taux d’intégration locale de près de 65%.
Ensuite, le Maroc se classe parmi les cinq premiers pays en matière d’énergies renouvelables, ce qui suscite un vif intérêt de la part de nombreux pays, tels que la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Chine et l’Australie, pour investir dans notre pays. Cela représente une valeur ajoutée significative pour notre économie.

Enfin, il ne faut pas oublier le secteur prometteur du tourisme et de l’artisanat. Nous avons des objectifs ambitieux mais réalisables d’accueillir 17,5 millions de touristes en 2026 et 26 millions en 2030, surtout avec l’organisation de plusieurs événements internationaux tels que la CAN 2025 et la Coupe du monde en 2030.

Son parcours
Mohammed Jadri, Economiste de plus de 18 ans d’expérience au sein de prestigieux cabinets d’expertise, s’est particulièrement illustré dans la gestion de projets financés par l’Union Européenne et le système des Nations Unies. Depuis octobre 2021, il dirige l’Observatoire de l’Action Gouvernementale. Sous sa direction, cette institution a produit une série de rapports périodiques rigoureux sur l’action gouvernementale, incluant les bilans des 100 jours, d’une année et de mi-mandat. En outre, l’Observatoire a publié des rapports thématiques approfondis sur des sujets d’actualité cruciaux tels que les programmes Awrach et Forsa, l’aide au logement, le dialogue social, l’inflation, les produits pétroliers et la réforme des retraites, offrant ainsi des analyses précieuses et détaillées pour éclairer le débat public. De plus, depuis 2017, il exerce en tant que consultant économique auprès de plusieurs radios et chaînes de télévision nationales et internationales.

Son Actu
Le gouvernement s’était engagé à créer 1 million de postes d’emploi net durant son mandat de 5 ans. A mi- mandat, cet objectif parait assez difficile à réaliser malgré les efforts d’investissements déployés.

 
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