Morocco Digital 2030 : tout y est sauf le nerf de la guerre !
L’économie numérique marocaine se dote d’une nouvelle stratégie ambitieuse avec Morocco Digital 2030. Cependant, des questions subsistent sur le financement et la mise en œuvre concrète de cette transformation digitale progressive.
Il y a de cela quelques années, Dubaï lançait sa stratégie numérique et mettait en même temps mille milliards de dollars sur la table, nous explique un grand acteur de la tech. « Tout y est dans cette feuille de route sauf le volet financier. » L’économie numérique a-t-elle la place qu’elle pense vraiment avoir dans les priorités stratégiques ?
Après près de deux années de conception, le ministère de la Transition numérique a levé le voile sur la grande stratégie Maroc Digitale 2030, attendue par tous les acteurs de l’écosystème tech. Après donc Maroc Numeric, Maroc Digital, Morocco Tech, le Maroc, à travers sa nouvelle stratégie, ambitionne de faire de la digitalisation un des piliers de son développement et un atout clé dans l’amélioration de la gouvernance. À la lumière des enjeux que représente l’économie numérique, cette nouvelle stratégie se veut être un catalyseur pour le Maroc dans le chantier du Hub numérique continental. Challenge, dans ses investigations, a parcouru le document. Le contenu y est : l’e-gov, l’IA, la question des infrastructures tech, les talents, les startups…
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Cependant, dans nos lectures, tous les chiffres figurant dans ce document hautement important étaient de l’ordre de prévisions. À l’horizon 2023, la stratégie vise la création de 240 000 emplois et une contribution de 100 MMDH au PIB. Dans nos investigations, un acteur de la tech nous confie sous couvert de l’anonymat que cette vision aborde tous les sujets, sauf le « comment on finance cette stratégie ». « Si on prend le cas de Dubaï, lors du lancement de leur stratégie dédiée au digital, ces derniers ont mis sur la table près de 1 billion de dollars », insiste notre source. Plus loin, dans l’axe réservé aux talents tech, pour lui, les startups sont restées sur leur faim. « Aujourd’hui, on s’attendait à du concret. Pour le visa tech, notamment, la question du quota alloué et la date de démarrage demeurent absentes. »
Contacté par Challenge.ma, l’économiste Adnane Benchekroune, de son côté, a mis en évidence l’absence du « Small Business Act » dédié aux startups. Pour l’expert en IT Zouhir Lakdissi, « dans le rapport, en effet, il n’y a pas de chiffre, mais dans l’allocution du chef de gouvernement, le chiffre de 11 MMDH a été annoncé. » Et de poursuivre : « Comparativement à d’autres pays, on est vraiment très loin. » « C’est très faible. Il n’y a rien pour les infrastructures télécoms. On va voir sur le PLF 2025 ce qu’il en est », alerte Khalid Ziani, expert en télécommunications.
L’économie numérique est-elle perçue comme une économie réelle ?
L’économie de la pierre a le vent en poupe. Pour la petite histoire, c’est en 1930, face à la dépression des années 30, que certaines nations touchées par un chômage sans précédent se sont tournées vers la politique économique des grands travaux comme un instrument de politique conjoncturelle. Inspirée par l’économiste Keynes, cette construction du socle économique autour des infrastructures est une doctrine conventionnelle pratiquée par les États.
Au Maroc, depuis quelques années, cette politique économique des grands travaux est une priorité stratégique. Le secteur de l’eau, le ferroviaire, le portuaire, l’aérien ou encore la santé, ce sont plusieurs milliards de dirhams qui y ont été alloués. Aujourd’hui, avec l’arrivée du numérique, les économies prennent une autre trajectoire. Beaucoup de praticiens en science économique le perçoivent comme un accélérateur. De plus, les différentes homélies en faveur du « tout digital » portées par les grandes institutions internationales n’ont fait qu’accroître l’aura du discours de la digitalisation au sein des États. Cependant, dans les faits, on peut se poser certaines questions.
L’économie numérique a-t-elle vraiment sa place dans les actions de gouvernance ? D’un point de vue purement financier, si on compare les actions en termes d’investissements, on arrive à la conclusion que l’économie numérique n’a pas la place qu’elle est censée avoir. Selon une autre source, en France, par exemple, seulement dans le secteur de l’IA, le gouvernement a investi près de 2 milliards d’euros. « Au Maroc, je pense qu’on n’est pas encore prêts pour la transformation digitale. On est dans une transition spécifique qui opère des changements graduels sur certains axes clés, notamment les administrations et les infrastructures. » Aujourd’hui, il est clair qu’il faut mener une réflexion sérieuse sur la place du numérique au-delà des effets d’annonce de « digital nation ».
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Car même si l’on retrouve dans les idées une forme de volonté d’action, sur le terrain de l’exécution, des interrogations demeurent sous-jacentes à la lumière des fonds alloués, ce qui remet en cause l’idée du parallélisme des formes. Pour l’heure, nous pouvons dire que nous ne sommes pas à l’aube d’une transformation, mais d’une transition numérique graduelle. Un détail important qui permet d’apprécier les actions dans l’écosystème.