Moudawana. Jusqu’où est allée l’Instance chargée de la réforme ?
Les propositions de l’Instance chargée de la révision de la Moudawana seront bientôt remises au Souverain. Si rien n’a filtré sur le contenu de ce texte, on pourrait néanmoins en prévoir les grandes lignes.
Vingt ans après la grande réforme de 2004, le code de la famille, communément appelé Moudawana, va bientôt subir un nouveau lifting. Sur ordre du Roi Mohammed VI, une instance a été créée pour réformer un texte qui, désormais, se fait vieux. L’Instance a « achevé ses missions dans les délais dans la lettre adressée par le Souverain », s’est félicité le Chef du gouvernement. Ce dernier a reçu samedi les propositions de l’Instance, qui les soumettra à son tour incessamment au Roi.
Nouveau lexique
2024 n’est pas 2004. Entre les deux, une nouvelle Constitution a été adoptée par le Royaume, qui consacre l’égalité entre les femmes et les hommes, ainsi que la primauté des traités internationaux sur la loi marocaine. Le Royaume devait alors se mettre à la page. Et les attentes sont grandes. Juillet dernier, le souverain a fixé le cap de cette nouvelle réforme. Six mois plus tard, que peut-on attendre des travaux de cette Instance et qu’a-t-elle pu concocter comme avancées après avoir fait le tour de toutes les composantes de la société civile ?
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Commençons par une des principales attentes des organisations féministes, à savoir l’utilisation d’une terminologie respectueuse et non-discriminatoire, ainsi qu’une redéfinition des rôles et des droits des femmes au sein de la famille. L’actuel texte comporte d’innombrables termes à connotation dégradante envers les femmes, mais aussi les enfants et les hommes. Un nouveau lexique devrait donc être adopté par le prochain texte.
Une des réformes cruciales concerne le mariage des mineurs, une pratique décriée pour son impact négatif sur les droits des enfants. De même, les dispositions concernant la garde et la tutelle des enfants après le divorce sont jugées inéquitables par de nombreuses voix de la société civile. En effet, les femmes se retrouvent souvent défavorisées dans ces situations, perdant la garde de leurs enfants dès lors qu’elles se remarient, contrairement aux hommes.
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La question de l’héritage, régie par des dispositions parfois dépassées, devrait également être réformée. Si l’on imagine mal le nouveau texte contredire le Coran et accorder la pleine égalité en héritage entre les femmes et les hommes, l’élimination des pratiques discriminatoires telles que le ta’sib (héritage par agnation) peut aisément être envisagée, étant donné que cette pratique n’est pas clairement établie dans le texte sacré.
Formation des juges
En outre, l’égalité en matière de tutelle parentale est un enjeu crucial pour assurer les droits des enfants et la participation équitable des deux parents à leur éducation et à leur développement. Actuellement, la tutelle est souvent accordée automatiquement au père après le divorce, ce qui prive les mères de leurs droits et peut être préjudiciable aux intérêts des enfants. La nouvelle réforme du Code de la famille devrait donc garantir l’égalité des deux parents dans l’exercice de la tutelle et leur reconnaître des responsabilités équivalentes dans la prise de décisions concernant leurs enfants.
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Un aspect crucial de la réforme du Code de la famille concerne le nécessaire durcissement des exceptions permettant la polygamie. Actuellement, la législation marocaine autorise la polygamie dans des cas exceptionnels et sous certaines conditions, notamment avec le consentement de la première épouse et la capacité du mari à subvenir aux besoins de toutes ses épouses de manière équitable. Cependant, ces conditions sont parfois contournées ou interprétées de manière laxiste, ce qui peut entraîner des abus et des injustices envers les femmes. Il est donc impératif que la nouvelle réforme restreigne davantage les possibilités de recours à la polygamie et renforce les garanties pour protéger les droits des femmes, en veillant à ce que cette pratique soit utilisée de manière exceptionnelle et justifiée, dans le respect des principes d’égalité et de dignité humaine.
Ceci n’est qu’un aperçu des avancées que pourrait contenir le nouveau Code de la famille. La réussite de cette réforme dépendra de la qualité de son application. Les juges et les professionnels du droit doivent être formés et sensibilisés aux enjeux de cette évolution législative. De même, une modernisation des outils et des pratiques judiciaires est nécessaire pour garantir l’efficacité et l’équité du système judiciaire dans les affaires familiales. »