Chronique | Le Monde qui vient - Notes de lecture

Musk, l’entrepreneur multi-planétaire [Par Eric Besson]

A chaque époque, ses héros. Et dans la période contemporaine, les héros sont parfois des entrepreneurs.
Consacré « homme de l’année » par le magazine Time en 2021, Elon Musk est probablement l’homme d’affaires qui aura le plus marqué la dernière décennie et semble bien parti pour récidiver pour celle en cours.
Musk. Même s’il tient à ce que la plupart de ses créations ou acquisitions portent la lettre X (Space X, Twitter rebaptisée X depuis son rachat, etc.), son patronyme est en lui-même devenu une marque.
Les nombreuses biographies qui paraissent désormais sur lui ne s’y trompent pas ; pas besoin de rechercher un titre sophistiqué. Les 4 lettres M.U.S.K. suffisent et se révèlent très vendeuses du fait des dizaines de millions de « Muskateers » (c’est comme cela que l’on appelle les fans de Musk) qui suivent chacun de ses faits et gestes, chacune de ses prises de parole ou chacun de ses tweets, ou les méandres de sa vie privée, tumultueuse comme il sied à une célébrité…

Parmi les biographies qui lui sont consacrées, j’ai choisi, pour cette quatrième chronique dans Challenge, celle de Chris McNab, intitulée « Elon Musk, innovateur, entrepreneur et visionnaire » (Editions Gremèse, 2023). Petit livre de 194 pages, mal traduit de l’anglais mais de lecture très aisée et qui a le mérite de rappeler non seulement les faits d’armes et les succès de Musk, mais aussi de tenter de tirer quelques enseignements de sa façon de penser et d’agir.

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Comme la plupart des articles ou livres traitant de Musk, celui-ci évoque rapidement les controverses, polémiques ou parfois les procès, qui ont entouré son ascension avant de verser dans la louange voire l’hagiographie. L’auteur a des circonstances atténuantes. Musk est à l’entrepreneuriat et la technologie ce que Verstappen est à la Formule 1. On peut ne pas l’apprécier, être sceptique quant à tel ou tel aspect de sa personnalité, mais on ne peut nier ni le talent -voire le génie-, ni l’ardeur au travail, la constance ou la volonté inébranlable.

L’ouvrage retrace les étapes, certaines désormais bien connues, qui amèneront progressivement le jeune Elon à devenir un entrepreneur multi-secteurs et l’homme le plus riche du monde ou, car souvent ce classement varie, l’un des hommes les plus riches du monde.
Né en Afrique du Sud d’un père ingénieur et d’une mère aventurière et aimante, le jeune Musk n’aura pas une enfance et une adolescence faciles. De nature introvertie (on lui prête même une forme d’autisme, le syndrome d’Asperger), le jeune lycéen fera l’objet de harcèlement moral et physique (il sera plusieurs fois roué de coups par ses « camarades »). Lecteur boulimique dès l’enfance, très vite passionné par les ordinateurs, le futur entrepreneur rêve des USA et, déjà, de Silicon Valley. Il débute ses études au Canada, franchit la frontière en 1992 pour aller étudier, c’est à la fois original et riche de sens, la physique et l’économie en Pennsylvanie. Diplômé en 1995, il est admis à poursuivre ses études dans la prestigieuse Université de Standford… où il ne restera que deux jours, saisi par la fièvre entrepreneuriale.

C’est pendant ses études que Musk dira plus tard avoir forgé sa conviction de vouloir s’intéresser à 3 domaines : Internet, l’énergie durable et l’exploration spatiale. La saga Musk est en route. Premières start-ups, premières difficultés, premiers succès. Premières querelles de pouvoir aussi. De la banque et aux transactions en ligne, en passant par les lanceurs d’engins et l’exploration de l’espace, le véhicule électrique (Tesla), l’énergie décarbonée (solaire notamment) et son stockage par des batteries, la gestion de la circulation et s’il le faut…le creusement de tunnels, l’empire Musk ne cessera de s’étendre après avoir failli sombrer en 2008, au milieu de la grande crise financière qui faillit emporter Tesla et SpaceX, alors toutes deux en proie à de grandes difficultés. De cet empire émergent deux nouveaux territoires qui conduisent Musk aux confins de l’espèce humaine et … de la planète

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Sa société d’Intelligence artificielle, Neuralink, développe des implants capables d’aider des personnes souffrant de paralysie à donner des ordres à des machines pour s’exprimer et sortir de leur isolement. Mais cette prouesse -thérapeutique- peut en cacher une autre, aux bienfaits bien plus aléatoires : des transistors, sortes d’aiguilles ou de sondes très fines pourront à l’avenir, lire et interpréter les signaux du cerveau, augmenter notre capacité de mémoire et la vitesse de notre raisonnement.
Sur ce sujet, Musk paraît très exceptionnellement partagé entre l’opportunité et le risque. Risque majeur pour l’espèce humaine, notamment du fait du mariage annoncé de l’intelligence artificielle (IA) et de la robotique. Et si l’espèce humaine devenait alors inutile ou gênante pour ces robots ? Musk n’affirme-t-il pas, dans son langage très imagé : « Si l’IA avait un objectif et que l’humanité se trouvait sur son chemin, elle détruirait l’humanité automatiquement, sans même y penser, sans haine. C’est comme si on construisait une route et qu’une fourmilière se trouvait sur le chemin. On ne déteste pas les fourmis, on construit simplement une route. Et donc adieu la fourmilière ! ».

Mais le grand rêve de Musk, celui qui visiblement l’habite, c’est l’exploration spatiale. Il ne lui suffit pas d’être devenu le premier acteur privé du secteur grâce aux milliers de satellites de sa société Starlink placés en orbite autour de la Terre. La nouvelle frontière de Musk ce n’est, ni plus ni moins, que la colonisation de Mars ! L’espèce humaine n’est-elle pas appelée à disparaître un jour, très lointain, lorsque le Soleil se sera consumé et cessera de réchauffer la planète bleue ? Pour Musk, en bon ingénieur (comme il aime à se définir) pour lequel il ne devrait exister de problème sans solution, il faut conquérir la planète rouge. Disposer, en quelque sorte, d’une planète de secours. Nous devons, explique-t-il tranquillement « devenir une espèce, une civilisation multi-planétaire ».

Musk a le schéma en tête : il faut que les voyages Terre-Mars pour l’implantation humaine, qui devraient durer entre 7 et 9 mois, ne coûtent pas plus de 200.000 dollars. Dans un premier temps, il faudra créer une « Oasis », sorte de serre artificielle pour permettre la vie des premiers humains etc. Science-fiction ? Sans doute un peu. Délire d’un entrepreneur mégalo ? Soyons prudents même si le changement d’échelle est gigantesque : tout le monde souriait lorsqu’il disait il y a quelques années qu’il allait être en mesure de récupérer les fusées susceptibles de mettre sur orbite des satellites, seule façon à ses yeux de rendre la conquête spatiale moins coûteuse. Ce qu’il fit !

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Comme à chaque fois qu’émerge une « success-story », et convenons que celle-ci n’est pas anodine, les biographes et commentateurs s’efforcent de tirer des enseignements, des leçons du succès.
Les premières pistes que proposent le livre ne sont pas les plus originales. Musk lit beaucoup et est capable d’une vraie écoute lorsqu’il rencontre des experts. Musk serait doté d’une intelligence et d’une mémoire prodigieuses doublées d’une force de travail peu commune et d’une ténacité sans faille. Qualités qu’il recherche chez ses plus proches collaborateurs : des personnes à même de « résoudre des problèmes complexes », traitant rationnellement les risques et incertitudes et faisant preuve d’une grande persévérance dans l’effort. Au point que l’école de formation en ligne qu’il a lancée (Astra Nova) prétend elle aussi former les jeunes de 10 à 14 ans, à la résolution de problèmes à la fois complexes et concrets, ce que selon lui, les systèmes éducatifs occidentaux ne feraient que peu ou mal.

A ceux qui rédigent leur CV, Musk donne le conseil suivant : ne vous contentez pas de rappeler votre formation et votre expérience. Dites, concrètement, ce que sont les problèmes difficiles auxquels vous avez été confrontés et comment vous vous êtes attaqués à leur résolution. Plus originale sans doute, la façon dont Musk prétend résoudre une difficulté ou accéder à une opportunité. Musk-l’ingénieur cherche d’abord à comprendre où sont les freins physiques et comment les lever : comment récupérer les lanceurs de satellites ? Comment rendre une batterie plus résistante et moins onéreuse ? A quelles conditions le véhicule électrique peut-il se développer ? etc. Les verrous diagnostiqués, Musk peut alors faire preuve d’une très grande hardiesse, sortir des sentiers battus, penser « out of the box » comme disent les anglo-saxons.

Rationnel, Musk ne prétend pas, lui, que tout est possible, qu’il suffit à un créateur de croire en lui pour que l’impossible supposé devienne possible. Plus subtil, il pense que tout entrepreneur doit frotter son intuition, ses analyses à des avis plus nuancés ou contraires et ne forger sa conviction définitive et agir avec détermination que s’il pense rationnellement pouvoir apporter une solution à tous les obstacles qui lui sont décrits. Mais gare aux dilettantes. Musk pense que le porteur d’une start-up doit être capable de travailler 80 à 100 heures par semaine à son projet…
La cuirasse du chevalier Musk ne comporterait-elle aucune faille ? Le livre et au-delà du livre, l’actualité, en suggèrent une : la politique. Certes, Musk prétend qu’elle ne l’intéresse pas. Que, sur l’échiquier politique américain, il serait « mi-démocrate, mi-républicain ». Ce qui ne l’empêche pas, en bon libéral, de considérer que l’Etat, qu’il juge peu efficace, doit intervenir le moins possible.
Mais en rachetant Twitter, en s’impliquant non seulement dans sa gestion mais aussi dans sa charte déontologique, dans son fonctionnement quotidien, au nom de la défense revendiquée de « la liberté d’expression », Musk a mis, de fait, plus qu’un doigt dans la machinerie politique.

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Plus problématique encore. Musk est devenu un acteur de fait du conflit russo-ukrainien. Un acteur paraissant fluctuer. Longtemps considéré comme pro-ukrainien, mettant ses satellites au service de la défense du territoire ukrainien, Musk a récemment admis, en coupant le signal Starlink de ses satellites de communication, avoir empêché fin 2022 les drones ukrainiens de détruire la flotte russe en Crimée ! Musk a expliqué avoir ainsi voulu empêcher « une escalade du conflit ». Mieux, ou pire c’est selon, Musk, s’affranchissant de tout respect du monopole de l’Etat américain dans la conduite de sa politique extérieure, a proposé sur Twitter son propre plan de paix entre les deux pays !
Le message est clair. Comme les GAFAM, Musk est puissant, très puissant. Il peut devenir acteur d’un conflit majeur. Se placer en marge des Etats, voire au-dessus d’eux. Et ce quand bien même cet Etat serait celui d’un pays, les USA, qui, en 2023 restent encore la première puissance mondiale.
L’avenir dira si, en l’espèce, Musk le très rationnel, l’entrepreneur multi-planétaire, n’a pas présumé de ses forces.

(*) Né au Maroc, Eric Besson est un ancien ministre français. Il fut notamment ministre de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique sous la Présidence de Sarkozy. Coordonnateur d’un rapport «France 2025» paru en 2009, il se passionne pour la prospective et les grands enjeux de l’avenir. Eric Besson a aussi exercé de nombreuses responsabilités dans le secteur privé. Il préside aujourd’hui la filiale marocaine d’un groupe de services suisse. Il écrit cette chronique dans Challenge à titre personnel.

 
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