Oser creuser dans la complexité
La découverte de l’agriculture a sans doute été la première révolution de l’humanité. De nouveaux modes de vie vont émerger et favoriser la vie sédentaire, la réalisation et la conservation de surplus alimentaires, un début de « division sociale du travail », la formation de groupes humains complémentaires et solidaires, embryons des Etats-nations actuels, des activités culturelles (…). Le rapport direct avec la nature n’a jamais pris fin. Tout en faisant partie de la nature, en transformant celle-ci, l’être humain s’est lui-même transformé.
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Au départ, il a été question de satisfaire des besoins vitaux pour pouvoir vivre/survivre et se reproduire. Plus tard, il sera question de réaliser des profits. Le règne de la rationalité marchande s’est révélé potentiellement destructif en l’absence de normes protectrices des écosystèmes naturels, voire suicidaire, car menaçant, à moyen/long terme, l’existence humaine et toute forme de vie. Le surplus agricole/alimentaire a aussi permis des échanges entre groupes humains, c’est-à-dire le commerce, ainsi que l’artisanat, et plus tard l’industrie. Dans ce processus historique complexe, jamais linéaire ni uniforme, à travers le temps et l’espace, l’amélioration des conditions de vie des populations a été une finalité sous-jacente et permanente, malgré les contradictions générées par les modes d’appropriation et de répartition. Aujourd’hui, cette finalité demeure identique et peut être résumée dans la question suivante : comment nourrir sainement et suffisamment la population humaine, sans détruire cette première source de la nourriture qu’est la nature ?
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Cette question peut et devrait être posée aux niveaux local et global. Le développement de l’agriculture, ce n’est pas seulement des subventions accordées à certaines céréales ou à certains produits maraichers de large consommation locale. Ces actions sont certes conjoncturellement nécessaires pour faire face à des situations difficiles qui, en fait, cachent des problèmes de nature structurelle. De même, le développement de l’agriculture, ce n’est pas l’appui prioritaire à des cultures de haute valeur ajoutée, mais « hydrivores », tournées principalement vers l’exportation et sources de devises. L’agriculture est inséparable de la question de l’eau. Elle en consomme plus de 85%. En 60 ans, le stock des réserves hydriques a été divisé par 5, passant ainsi de 2 500 mètres cubes, par habitant, à moins de 500 mètres cubes, aujourd’hui. L’eau du ciel s’est raréfiée. L’eau souterraine aussi. Cette situation n’est pas une fatalité. La question de l’eau, comme celle de la terre, est fondamentalement politique. Elle est inséparable des politiques publiques agricoles qui se sont finalement révélées inadaptées aux écosystèmes naturels, dont l’eau, première ressource vitale. Des changements radicaux s’imposent.
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Lire aussi Si, au début du 20ème siècle, l’économie du Maroc a été essentiellement à prédominance agraire, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. D’où la priorité et l’urgence de la recherche scientifique appliquée. La dernière rencontre organisée par l’Association des ingénieurs de l’école Mohammedia (AIEM) et l’Ecole Mohammedia des ingénieurs (EMI) s’inscrit dans cette optique. Au cours de la dernière décennie, 17 000 publications scientifiques au Maroc, ont été consacrées à la question de l’eau, soit 22% de la production scientifique nationale. C’est dire la prise de conscience de la gravité de la situation. Reste, comme le recommande si pertinemment le rapport sur le nouveau modèle de développement, la mise en œuvre effective du décloisonnement des politiques publiques sur la base d’une vision stratégique et globale qui consacre un lien organique entre tous les secteurs, et surtout entre l’espace rural et l’espace urbain. C’est à ce niveau que peut être concrètement appréciée par les citoyens la « valeur ajoutée politique » d’un gouvernement actuellement pris au piège du pilotage à vue.