Paiement électronique

Paiement par carte bancaire. Voici à quoi ressemblera le nouveau marché marocain

La plainte de Naps contre le Centre monétique interbancaire (CMI) pour abus de position dominante auprès du Conseil de la concurrence a abouti. Le régulateur a décidé de mettre fin au monopole actuel du CMI, qui détient plus de 97 % du marché de l’acquisition par carte. Conséquence : le secteur du paiement électronique va désormais évoluer sous une nouvelle configuration.

Il y a un peu plus d’un an, Naps déposait une plainte contre le CMI auprès du Conseil de la concurrence pour abus de position dominante. Le Conseil, présidé par Ahmed Rahhou, vient de rendre sa décision après consultation de Bank Al-Maghrib et des banques, comme nous l’avions annoncé. Il a tout simplement mis fin au monopole du CMI. En effet, l’analyse du marché a révélé que le CMI détenait une part écrasante, contrôlant plus de 97 % du marché de l’acquisition par carte. Cette situation monopolistique a freiné le développement du secteur, avec seulement 1 % des paiements effectués par voie électronique au Maroc. Face à ces constats préoccupants, le Conseil de la concurrence a pris cette décision historique.

En conséquence, le secteur du paiement électronique ne fonctionnera plus sous sa forme actuelle, et il subira une réorganisation en profondeur. Cela commence par l’encadrement des frais d’interchange monétique domestique, pour lequel Bank Al-Maghrib a récemment publié sa décision, à la suite du conflit opposant Naps au CMI.

Comprendre le fonctionnement de l’interchange

Selon Khalid Ziani, expert en IT et télécoms, pour bien saisir les enjeux, il est essentiel de comprendre d’abord le fonctionnement de l’interchange. Il s’agit de la commission que le commerçant verse à son fournisseur de terminal de paiement (TPE) ou à celui qui permet les paiements en ligne, appelé l’acquéreur. L’acquéreur doit à son tour s’acquitter de frais auprès de tous les acteurs impliqués dans la transaction. Mais qui sont ces acteurs ?

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« Le premier intervenant est l’acquéreur monétique, un établissement financier qui collecte les paiements pour le compte du commerçant. Lorsqu’un client, détenteur d’une carte, fournit les informations de celle-ci pour un paiement électronique, l’acquéreur soumet une demande d’autorisation à la banque du client via les réseaux des systèmes de cartes. Si la transaction est autorisée, l’acquéreur encaisse les fonds. En cas de refus, il informe le client du motif. Ensuite, il y a l’émetteur, ou la banque émettrice, qui est responsable de la délivrance des cartes de paiement. Enfin, le switch national, géré par HPS, intervient pour assurer le routage et le traitement des demandes d’autorisation, la compensation des transactions et le règlement entre émetteurs et acquéreurs. Le switch monétique garantit l’interopérabilité des transactions et assure la sécurité de celles-ci », explique Khalid Ziani, notant que Visa ou Mastercard sont les autres intervenants sur le réseau international.

L’interchange : un enjeu crucial

Et l’expert en IT et télécoms de poursuivre : « L’interchange correspond à la commission interbancaire de paiement que l’acquéreur, c’est-à-dire l’établissement qui fournit le terminal de paiement (TPE) au commerçant ou qui permet les paiements en ligne, doit verser à la banque émettrice, celle qui a délivré la carte au client, pour chaque transaction par carte entre un commerçant et son client. Ainsi, la commission d’acquisition facturée au commerçant par l’acquéreur inclut une part reversée à la banque émettrice, appelée interchange. C’est précisément cette part qui est visée par la circulaire de Bank Al Maghrib ».

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Il explique que la marge de l’acquéreur représente la différence entre le montant total de la commission payée par le commerçant et la part reversée aux intermédiaires. Cependant, selon Ziani, le coût de l’interchange n’a pas baissé en raison du coût de l’émetteur (banques émettrices de cartes). Il souligne que ce coût de reversement aux banques émettrices est resté inchangé depuis 10 ans, malgré une multiplication par 100 du nombre de transactions. « Les banques n’ont jamais réduit le coût de l’émetteur », précise Ziani. Cela a conduit à des coûts d’interchange particulièrement élevés au Maroc, en comparaison avec l’Europe.

Un coût d’interchange quatre fois plus élevé qu’en Europe

Ziani fait remarquer que « les commerçants marocains paient leurs transactions quatre fois plus cher que leurs homologues européens. » Selon lui, cette position dominante s’explique par le fait que le CMI, dont les actionnaires sont les banques, jouait sur le coût de l’émetteur pour maintenir son monopole, face à la concurrence grandissante de Naps, le deuxième acteur du marché. Ziani mentionne que le CMI proposait aux commerçants des coûts plus faibles en profitant de remises sur le coût de l’émetteur, une remise dont Naps ne bénéficiait pas. « Le commerçant utilisant un TPE du CMI ne payait pas le coût de l’émetteur, contrairement à ceux utilisant les TPE de Naps », poursuit-il.

Le switch national géré par HPS comme arbitre

Mais le 20 septembre dernier que la Banque centrale du Maroc, saisie par le Conseil de la concurrence, a édicté sa décision réglementaire encadrant les frais d’interchange monétique domestique qui correspondent à la quote-part perçue par les banques et les établissements de paiement sur la commission prélevée aux commerçants au titre des paiements par carte. Ainsi, cette décision réglementaire de Bank Al-Maghrib plafonne le niveau des frais d’interchange à 0,65% de la valeur de la transaction pour les opérations de paiement monétique domestique par le biais de cartes émises au Maroc.

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« Le Conseil de la concurrence a non seulement mis fin au fameux « entre nous », mais Bank Al-Maghrib a également plafonné le coût de l’émetteur, le réduisant pratiquement de moitié. De plus, chaque transaction doit désormais transiter par le switch national géré par HPS. Désormais, les coûts émetteurs seront calculés en fonction des statistiques fournies par cette plateforme, ce qui signifie que ce ne sont plus les banques qui fixeront ce que les acquéreurs devront payer.», Khalid Ziani, précisant que Bank Al Maghrib a demandé un reporting basé sur les transactions enregistrées chez HPS. 

Plus de commission pour les transactions au-delà du plafond

Sur le terrain, il ne devrait plus y avoir de commission d’interchange pour les transactions dépassant le plafond fixé par la décision réglementaire de Bank Al-Maghrib concernant les frais d’interchange monétique domestique.

Aujourd’hui, cette révision de l’interchange permettra aux acquéreurs de réduire significativement les tarifs appliqués à leurs clients commerçants, favorisant ainsi le développement des paiements électroniques par carte en réduisant la commission d’acquisition.

Une nouvelle configuration du secteur de l’acquisition

Les activités de paiement auprès des commerçants et sur les sites e-commerce seront désormais confiées aux établissements de paiement, souvent des filiales de banques telles que Wafacash, M2T, Damane Cash, Lana Cash et Filahi Cash. Des opérateurs indépendants comme Naps, Cash Plus, Maymouna Services Financiers, VPS (Vantage Payment Systems), ainsi que les filiales des trois opérateurs télécoms, seront également impliqués.

Une redistribution des contrats du CMI

Cette activité relèvera exclusivement des établissements de paiement agréés par Bank Al-Maghrib. Le CMI ne pourra plus signer de contrats avec les commerçants et cédera l’ensemble des contrats d’adhésion des commerçants aux systèmes de cartes (affiliation au TPE et PEL) aux établissements de paiement ou à d’autres filiales bancaires dédiées à l’acquisition.

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De même, il cèdera les contrats liés à son activité de passerelle de paiement en ligne (Gateway E-commerce). Le CMI facilitera cette cession en prenant toutes les mesures nécessaires pour garantir la viabilité économique, la valeur et la compétitivité de ces contrats pendant une période transitoire de douze mois à partir de la date de la décision du Conseil rendant ces engagements obligatoires.

De plus, il lui sera interdit de démarcher de nouveaux clients ou de conclure de nouveaux contrats d’adhésion aux systèmes de cartes ou pour son activité de passerelle de paiement en ligne (Gateway E-commerce) auprès des commerçants (B to C).

Transformation du CMI en plateforme technique

Le CMI sera transformé en une plateforme technique de traitement au service de tous les établissements de paiement, garantissant un accès équitable, transparent et non discriminatoire à ses services, tant sur le plan tarifaire que non tarifaire.

Les banques actionnaires du CMI acquerront, au profit de leurs établissements de paiement ou de leurs filiales dédiées, tous les contrats commerçants relatifs à l’adhésion aux systèmes de cartes (affiliation au TPE et PEL) à compter de la date de la décision du Conseil. Elles veilleront également à ce que ces établissements ou filiales soient juridiquement et économiquement indépendants, pour assurer leur autonomie fonctionnelle et comptable, tout en s’abstenant de commercialiser directement les offres d’affiliation des établissements de paiement ou filiales dédiées. Toutefois, elles pourront promouvoir l’activité d’acquisition dans leurs réseaux d’agences ou par d’autres moyens, sans porter atteinte au droit des clients de choisir leur acquéreur.

Une phase transitoire pour un marché de plus de 300 milliards de DH

Une période de transition est prévue pour la mise en œuvre progressive de ces engagements après la décision du Conseil de la concurrence. Une entité de suivi sera créée entre le Conseil de la concurrence et Bank Al-Maghrib pour surveiller l’exécution de ces engagements.

Au Maroc, un volume d’affaires de 200 milliards de DH est généré chaque année par les commerçants, et 100 milliards de DH via le paiement de factures.

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Pour rappel, le CMI a été créé en 2001 par neuf banques avec pour mission initiale l’interconnexion de l’ensemble des banques afin d’assurer l’interopérabilité des retraits et paiements tout en luttant contre la fraude. De 2004 à 2015, le CMI était le seul acteur actif dans l’acquisition et le switching. En 2015, Bank Al-Maghrib a ouvert le marché à la concurrence en séparant les activités de switching et d’acquisition. Malgré cette ouverture, le CMI conservait une position quasi monopolistique sur le marché, et le taux d’interchange est resté relativement élevé, ce qui a limité les marges des acquéreurs et freiné le développement des paiements électroniques, qui représentent à peine 1 % des transactions au Maroc, en contradiction avec les objectifs nationaux de digitalisation et d’inclusion financière.

 
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