Pavillon national maritime. Histoire d’une renaissance
C’est l’un des défis clés lancés par le discours royal à l’occasion du 48ème anniversaire de la Marche Verte : Le Maroc doit mettre en place les conditions nécessaires pour se doter d’une flotte maritime. L’occasion de revenir sur les raisons qui ont provoqué la disparition de la flotte nationale et en même temps, lever le voile sur les fossoyeurs du secteur tout en mettant en exergue les espoirs de la renaissance d’une flotte maritime, à la lumière des atouts incontournables du potentiel de l’économie bleue au Maroc.
L’exercice a beau être convenu, il a le mérite d’offrir un état des lieux précis du débat politique contemporain concernant l’économie bleue. Comme à l’accoutumée, dans son dernier discours prononcé à l’occasion de la Marche Verte, au lieu de se focaliser sur le passé glorieux de cet événement majeur dans l’histoire du pays, Sa Majesté le Roi a rappelé la détermination du royaume de faire de la façade atlantique du Sahara marocain un haut lieu de communion humaine, un pôle d’intégration économique, un foyer de rayonnement continental et international». Et d’ajouter que «pour assurer une connexion fluide entre les différentes composantes du littoral atlantique, nous nous attachons à mettre à disposition les moyens de transport et les stations logistiques nécessaires. Cela inclut aussi de réfléchir à la constitution d’une flotte nationale de marine marchande, forte et compétitive». Voilà le mot d’ordre majeur de cette allocution : une flotte nationale de la marine marchande aux standards internationaux. Au cours de la 15ème édition des MEDays qui se sont tenues du 15 au 18 novembre à Tanger sous l’égide de l’Institut Amadeus, beaucoup d’intervenants ont d’ailleurs saisi l’occasion pour donner leur avis sur la question. L’expert sénégalais, Moubarack Lo, qui a tenu à montrer l’importance de la façade atlantique pour les relations nord/ sud et Sud/sud se désole que l’Afrique n’ait aujourd’hui, à sa disposition que le transport routier pour assurer le fret, entre l’Europe et le continent à travers le Maroc. Ce qui fait dire à l’économiste qu’il est absolument nécessaire que le Maroc de par sa position géostratégique dispose d’une flotte efficiente, car le transport maritime est l’avenir de l’Afrique.
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Ce que confirme Abdou Souleye Diop, Président de la Commission Afrique à la CGEM, qui tout en reconnaissant un contexte international très difficile, a exprimé sa confiance dans le rôle moteur et majeur que le royaume est appelé à jouer en permettant une complémentarité de chaines de valeurs avec les autres pays du continent en Afrique pour créer la croissance. Mais on ne peut pas parler de l’avenir de la flotte marchande nationale sans rappeler les déboires du pavillon national à travers un léger historique tant les rocambolesques péripéties de ce feuilleton de mauvais goût a, pendant longtemps, accaparé les colonnes de la presse nationale et internationale. Durant des années, l’étroite association des armateurs, des navigants, des banques et des pouvoirs publics a permis à la marine marchande Marocaine de surmonter les vicissitudes du secteur mais en même temps, ce dirigisme qui partait d’une bonne intention a fini par compromettre sa capacité d’évolution.
Durant des années, le surcoût du pavillon marocain n’a pas été compensé par les innovations technologiques alors que l’insuffisante concentration de l’armement national a freiné les adaptations commerciales et jeté les armateurs dans les bras du capital étranger achevant de les précipiter dans une crise sans précédent : Un recul qui a affaibli la compétitivité du commerce extérieur national et des activités portuaires, et pose la question du rôle de l’État, qui s’est désengagé de ce secteur coûteux au cours des années 1990, tout en affirmant la nécessité du maintien d’un pavillon national. On peut donc dater le naufrage définitif de la flotte nationale des années 2000 qui ont connu leur summum en 2007, date à laquelle a eu lieu la libéralisation du secteur du transport maritime marocain. Selon une étude commandée à l’époque à un cabinet espagnol, on apprend ainsi que le pavillon marocain n’a pas résisté à une concurrence étrangère féroce en l’absence de mesures d’accompagnement et la mise en place d’un nouveau cadre stratégique propice au regain de compétitivité et au développement pérenne du secteur du transport maritime et à la promotion de ce secteur vital pour l’économie du pays. Les experts du cabinet ALG ont relevé, au terme de leur diagnostic, que la flotte marocaine a connu sa descente aux enfers, en 2013 avec une flotte nationale qui n’était plus que de 15 navires opérationnels.
Ce que reconnaît d’ailleurs ouvertement le ministre du Transport et de la logistique, Mohamed Abdeljalil, qui répondait aux groupes parlementaires de la majorité au sein de la Chambre des représentants, que «La flotte maritime nationale ne se hisse pas au niveau des ambitions affichées par le Royaume, bien que le transport maritime assure 97% des échanges extérieurs et l’essentiel des exportations du Maroc vers les pays partenaires, notamment l’Union européenne. Un pourcentage qui n’est pas à la hauteur des aspirations du Maroc pour ce secteur», alors que la flotte étrangère au niveau de toutes les lignes représente également l’essentiel du trafic maritime des voyageurs.
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Aujourd’hui, les armateurs nationaux et les professionnels du secteur peuvent enfin respirer. Grâce aux effets d’entraînement du discours royal, les choses vont s’accélérer. Après la semonce royale, le gouvernement s’est remis à la tâche avec l’objectif de renforcer et soutenir la flotte navale nationale en encourageant l’acquisition d’unités de pointe, dans le but de permettre au royaume de se positionner sur le marché des transports, en particulier sur les lignes maritimes régulières entre le Maroc et l’Europe. La quasi-totalité du commerce extérieur du royaume est transportée par voie maritime. D’où l’insistance du Souverain de donner une importance stratégique à la préférence nationale pour assurer les liaisons internationales par voie maritime pour la santé de l’économie nationale. Il s’agit désormais d’être le moins tributaire possible du pouvoir de nuisance des centres de décisions extérieurs, que ce soit le fait d’armateurs privés ou d’opérateurs publics étrangers, ou d’aléas politiques inattendus. L’idée généralement admise dans le monde politique, entretenue par les leçons de l’Histoire, est de donner au pavillon de la flotte nationale la fonction maîtresse de garant de la souveraineté de l’État sur ses mers.
Ce coup de jeune du pavillon national ne devrait pas nous faire oublier les obstacles qui se posent à la réalisation de ce vœu pieu, mais le royaume dispose d’atouts qui ne sont pas négligeables. Sur un marché mondial des transports maritimes et des transbordements, les ports du royaume sont en pleine forme avec une croissance totale du trafic traité par les ports marocains au cours de l’année 2019 qui s’élevait à environ 152 millions de tonnes, tandis que le nombre de passagers avait dépassé les 3,3 millions au cours de la même année. Alors que le volume des investissements dans le secteur des infrastructures de transport et de logistique au cours des vingt dernières années s’est élevé pour atteindre 400 milliards de dirhams, ce qui représente environ 20% des investissements publics.
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Un port comme celui de Tanger Med dont le transbordement est la locomotive, affiche une santé encore plus éclatante puisqu’il a traité durant l’année 2022 un tonnage global de 107 822 662 tonnes, en progression de 6% par rapport à 2021. Un trafic qui représente environ 54 % de l’ensemble du tonnage portuaire réalisé au Royaume du Maroc. Cheville ouvrière de la croissance d’un pavillon national digne de ce nom, les ports internationaux sont au coeur de la stratégie royale. Tanger Med pour l’ouverture sur l’Europe et celui de Dakhla pour la « façade atlantique et l’ouverture sur l’Afrique » dont la construction a été confiée au groupement 100% marocain «SGTM-Somagec Sud» pour un investissement total de 12,5 milliards de dirhams. Ce qui permettra sans aucun doute d’ériger la région en un hub incontournable et une porte d’entrée vers le continent africain. «Le marché est en pleine croissance, et nous voulons aussi devenir une destination capillaire», confirme-t-on avec enthousiasme dans les couloirs du secteur.