Conseil aux entreprises

Peut-on vraiment conseiller l’entité publique comme une entreprise ?

En France, avec la création d’une agence de conseil gouvernementale sous tutelle du ministère de la Transformation publique, le pays a divisé par trois les dépenses en consulting, passant de 271 M€ à 71 M€. Aujourd’hui, l’État ne veut plus externaliser les réflexions stratégiques sur les politiques publiques. Au Maroc, allons-nous aussi faire confiance aux élites locales qui peuvent produire des rapports plus aboutis et, surtout, réduire la dépense publique ?

McKinsey, PWC, BCG, EY : aujourd’hui, les cabinets de conseil sont les cerveaux dans plusieurs pays du monde. Leur influence grandissante a quitté le cercle des entreprises pour s’étendre dans le cercle fermé des élites gouvernementales. En France, par exemple, ces dernières années, l’un de ces Big Four a été la cible de plusieurs affaires dans lesquelles son influence sur l’action de l’administration Macron a été mise en lumière. Dans une enquête récente publiée par le média français Cash Investigation, on apprend beaucoup sur cette entité. Ce sont plusieurs dizaines de millions d’euros qui avaient été injectés pour des études appuyant des réformes qui n’ont jamais vu le jour en raison de la complexité desdites études. Pour certains experts, les thématiques abordées par les rapports sont souvent du déjà-vu, des informations piquées ici et là, notamment construites sur des données existantes, ou encore une impertinence enveloppée dans un langage technique d’initié. Pour répondre à ce énième scandale des Big Four, l’État français, à travers le ministère de la Transformation et de la Fonction publiques, s’est doté d’une agence publique de conseil interne. Entre 2021 et 2023, les commandes de prestations de conseil externes ont sévèrement diminué, passant de 271 millions à 80 millions d’euros, selon le ministère. « L’objectif est de réduire le recours aux prestations de conseil externe en internalisant des compétences et en accompagnant plus de projets de transformation à fort enjeu pour le gouvernement, mais aussi de faire monter en compétence les agents d’État pour qu’eux-mêmes puissent conduire ces projets », précisait un communiqué de la Direction interministérielle de la Transformation publique. L’Agence de conseil interne de l’État a ainsi vocation à accompagner les services et opérateurs de l’État pour opérationnaliser les politiques prioritaires du Gouvernement, rendre les politiques publiques plus efficaces et économes des deniers publics, et aider les administrations à conduire leurs projets de transformation pour les usagers et les agents. À deux heures de la France, le Maroc est depuis quelques années devenu le carrefour de ces cabinets sur le continent. À Casablanca Finance City (CFC), ces cabinets ont pignon sur rue.

Au Maroc : sont-ils aussi indispensables ?

McKinsey, BCG, Roland Berger, Bain, PWC, mais aussi des structures locales comme Southbridge A&I, Mazars, Capital Consulting ou l’omniprésent Valyans, les cabinets de conseil sont devenus incontournables ces dernières années. Leur incursion au cœur des réflexions stratégiques publiques n’a cessé de s’accentuer : Plan Maroc Vert, Plan Émergence, Vision 2020 pour le tourisme, Maroc Digital 2030… Ils interviennent sur toutes ces réflexions menées par des « cerveaux en costume ». Récemment, sur la question du chômage, l’un de ces cabinets avait été sollicité en renfort. « Les Big Four ne connaissent pas en profondeur les réalités de la matrice économique marocaine pour proposer des solutions. Et en faisant cela, quelque part, on jette un déni sur les compétences de nos hauts fonctionnaires », nous confie l’économiste Mehdi Lahlou. La question qu’on est en droit de poser aujourd’hui est de savoir pourquoi ils sont si indispensables.

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Le recours aux consultants constitue aujourd’hui un réflexe : ils sont sollicités pour leur expertise technique, même lorsque l’État dispose déjà de compétences en interne, et pour leur capacité à apporter un regard extérieur à l’administration, par exemple pour des benchmarks. Et comme l’a souligné l’universitaire Julie Gervais dans ses travaux sur le sujet, un cabinet international peut, en deux semaines, « être en mesure de produire un rapport de trois cents pages en allant puiser auprès de ses succursales aux États-Unis, en Suisse ou ailleurs ». Une fois que l’on prend le chemin du conseil, selon le professeur, une relation de dépendance peut s’installer entre l’administration et ses consultants. « Aujourd’hui, il faut mener des actions pour éviter cette mauvaise allocation des ressources », alerte l’économiste Ahmed Azirar.

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Pour avoir un avis sur la question, Challenge s’est dirigé vers Forvis Mazars. « Les contextes français et marocain sont très différents à ce sujet. La mobilisation de consultants a beaucoup plus d’historique en France. De nombreux consultants font des aller-retours entre les cabinets de conseil et les administrations, et la typologie des sujets à adresser a beaucoup évolué suivant la maturité des problématiques et leviers d’action en ce qui concerne les politiques publiques. Dans le contexte marocain, au contraire, l’administration a encore besoin de mobiliser ces ressources et expertises externes qui apportent un soutien et une valeur ajoutée indéniables », précise Salah Eddine Bennani, Partner – Strategy, Management & Sustainability Consulting – Forvis Mazars. Et de poursuivre : « Autre point : des cabinets de conseil ont acquis une véritable maturité en dédiant des BU au secteur public, avec des profils spécialisés et maîtrisant les codes et les contraintes spécifiques de ce contexte (lien entre volonté politique, stratégie, gouvernance, réglementation, fonctionnement des institutions et organismes publics…). Depuis la COVID, l’administration a beaucoup réduit son recours aux cabinets de conseil. Il serait opportun d’en dresser un bilan financier (bien entendu), mais aussi quantitatif et qualitatif (production et déploiement de politiques publiques, atteinte des objectifs…). »

 
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