Anas Abdoun : »Pour contrôler le narratif, il est temps pour le Maroc de créer une chaîne TV dédiée à l’étranger »
Le Maroc, ces dernières années, a su asseoir une véritable influence régionale. Le coup de grand maître du gazoduc, sa stabilité, son smart power… Dans cette interview accordée à Challenge.ma, Anas Abdoun, Expert en Géopolitique et Senior Analyst chez Stratas Advisors chargé de l’Afrique et du Moyen-Orient, fait le point sur l’influence régionale du Maroc.
Quel est votre regard sur l’influence économique du Maroc ?
Anas Abdoun : En examinant de près, il apparaît clairement que le Maroc a su adopter une démarche stratégique et coordonnée pour renforcer son influence économique, non seulement dans la région mais aussi sur la scène internationale. Le projet de gazoduc Transsaharien, malgré ses ambitions, se heurte à des obstacles majeurs, principalement géopolitiques. Le tracé du gazoduc, passant par des zones à haut risque sécuritaire comme le nord du Nigeria, le Sahel, et le sud de l’Algérie, soulève des inquiétudes quant à la sécurité des infrastructures. À cela s’ajoute la paralysie décisionnelle et stratégique en Algérie, exacerbée par les luttes de clans et un turnover important au sein des organes stratégiques de l’État et de la Sonatrach, rendant difficile toute élaboration stratégique à long terme.
En contraste, le Maroc, sous l’impulsion d’une volonté royale, a su mettre en place une hiérarchie claire et coordonnée pour la réalisation de ses projets économiques, notamment dans le secteur énergétique. Cette approche a permis au Royaume de mobiliser efficacement les ressources politiques, économiques, et diplomatiques nécessaires à la concrétisation de ses ambitions, comme le montre le projet du gazoduc Nigeria-Maroc. Ce projet, avançant à un rythme significatif, illustre la capacité du Maroc à lever des fonds et à attirer des investissements directs étrangers, bénéficiant d’une stabilité politique et d’une stratégie d’ouverture économique. Le financement est un aspect crucial de ces projets d’envergure. Le Maroc, à la différence de l’Algérie, s’est positionné comme une destination attrayante pour les investissements, grâce à sa politique d’ouverture et à son positionnement comme hub africain. L’Algérie, confrontée à des défis internes et à une réticence à s’endetter, peine à attirer les investissements nécessaires à la réalisation du gazoduc Transsaharien. Cette dynamique entre les deux pays révèle une réalité plus large : le Maroc, à travers une vision claire et une exécution stratégique, renforce son influence économique dans la région.
La capacité à naviguer dans le contexte géopolitique complexe et à capitaliser sur les opportunités économiques positionne le Maroc comme un acteur clé dans l’échiquier régional et international. En fin de compte, l’influence économique du Maroc dans le contexte du projet de gazoduc de l’Algérie et au-delà s’inscrit dans une stratégie de développement ambitieuse et pragmatique, qui prend en compte à la fois les défis internes et les dynamiques géopolitiques régionales.
Quels sont les éléments qui traduisent cette influence ?
A.A : Il convient de souligner deux éléments qui mettent en lumière l’influence économique croissante du Maroc dans la région. Premièrement, le projet de gazoduc Nigeria-Maroc bénéficie d’un engouement régional et est soutenu par un certain nombre d’organisations régionales et internationales telles que la CEDEAO et l’OPEP. Cette adhésion régionale témoigne non seulement de la viabilité du projet mais aussi de l’influence du Maroc en tant que catalyseur de coopération économique. En l’espace de seulement 8 ans, le projet a considérablement avancé en termes d’études et de réalisation, tandis que le Transsaharien peine à décoller depuis les années 80. Cette dynamique reflète l’efficacité avec laquelle le Maroc a su mobiliser le soutien régional et international, contrairement au projet Transsaharien qui, malgré son ancienneté, stagne en raison de multiples contraintes géopolitiques et économiques.
Deuxièmement, le statut avancé du Maroc auprès de l’Union européenne positionne le royaume comme un acteur clé dans le secteur énergétique régional et européen. L’intérêt et le suivi du projet par la Direction générale de l’Énergie de la Commission européenne, ainsi que le déblocage d’une somme de 300 milliards de dollars destinée à financer l’importation de gaz en dehors de la Russie, soulignent l’importance stratégique du Maroc dans la diversification des sources énergétiques de l’Europe. Le suivi du projet par Bruxelles témoigne de la confiance que l’Union européenne place dans le projet de gazoduc Nigeria-Maroc et dans la capacité du Maroc à contribuer à la sécurité énergétique européenne.
Le contexte diplomatique joue également en faveur du Maroc. Contrairement à l’Algérie, qui a réduit ses exportations de gaz vers l’Espagne de 25% en raison de divergences politiques, exacerbant ainsi les craintes européennes d’une utilisation des ressources énergétiques comme outil de pression politique, le Maroc a su maintenir une relation commerciale apolitique avec ses partenaires européens. La décision de l’Algérie de fermer le gazoduc GME en pleine augmentation des prix du gaz a suscité des inquiétudes au Nigeria et en Union européenne, craignant qu’Alger n’utilise ses infrastructures pour exercer un chantage politique.
À l’inverse, le Maroc, par sa stabilité et sa politique de non-politisation de ses relations commerciales, crée un climat de confiance avec ses partenaires, renforçant ainsi son influence et son attractivité en tant que partenaire stratégique pour la réalisation du projet de gazoduc Nigeria-Maroc. Ces éléments illustrent clairement l’influence économique grandissante du Maroc et son rôle de plus en plus central dans l’architecture énergétique régionale et au-delà, offrant une alternative fiable et stratégique aux défis énergétiques actuels de l’Europe.
Quel bilan faites-vous de la diplomatie du Maroc ?
A.A : Je crois que la diplomatie du Maroc a fait ses preuves et son efficacité n’est plus à prouver. Le succès de la diplomatie se mesure dans les accords bilatéraux et multilatéraux signés avec les puissances étrangères ou encore sur le nombre croissant de pays qui reconnaissent notre souveraineté pour parler du cas du Sahara Marocain. Aujourd’hui, il faut naturellement une chaîne de télévision marocaine diffusée à l’étranger qui relaie la position et la vision du Royaume sur les Affaires Internationales pour avoir un contrôle sur le narratif, cela relève donc à mon sens plus de la souveraineté que de la diplomatie.