Tribune et Débats

Pourquoi l’adoption du tifinagh a sacrifié une génération de Marocains

Depuis l’adoption officielle du tifinagh comme caractère pour l’écriture de la langue amazighe en 2003, une question persiste : avons-nous vraiment fait le bon choix ? Ce système, riche de symbolisme, semble cependant avoir posé plus de barrières qu’il n’en a levées, laissant derrière lui une génération de Marocains en quête d’une langue maternelle qu’ils ne maîtrisent toujours pas.

Revenir à l’écriture ancestrale des Amazighs était un acte politique fort. Il s’agissait de réaffirmer une identité trop souvent reléguée au second plan. Toutefois, derrière cette décision lourde de sens, une autre réalité se dessine : le tifinagh, aussi symbolique soit-il, n’est ni intuitif ni facile à apprendre. Résultat ? Une langue marginalisée au lieu d’être démocratisée.

Prenons un instant pour imaginer un élève marocain, assis devant un tableau où les lettres mystérieuses du tifinagh s’alignent. Pour lui, c’est comme apprendre un nouvel alphabet alien. Et cet élève, il n’est pas seul. Des millions d’écoliers et d’adultes partagent son désarroi.

Pourquoi ne pas avoir choisi les caractères arabes ou latins ? Deux alternatives étaient sur la table :

Les caractères arabes, déjà largement utilisés au Maroc, auraient permis une transition douce. Cependant, comme l’a souligné Ahmed Boukouss, président de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM), les limites techniques étaient flagrantes. L’arabe n’a pas les outils nécessaires pour transcrire certaines subtilités phonétiques de l’amazigh.

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Les caractères latins, plus flexibles, plus proches de ce que d’autres communautés amazighes utilisent, semblaient une option évidente. Pourtant, leur adoption aurait été une déclaration de guerre pour les courants islamistes. L’alphabet latin, perçu comme un cheval de Troie culturel, a été écarté au profit d’un choix plus « neutre ».

Et c’est là que le bât blesse. Ce n’est pas tant une décision pragmatique qu’une victoire idéologique. Mais à quel prix ? Les panneaux de signalisation en tifinagh, par exemple, sont devenus des énigmes pour une majorité de Marocains. Face à ces inscriptions, beaucoup de nos concitoyens se sentent comme des touriste dans leur propre pays.

Les conséquences de ce choix s’étendent bien au-delà des écoliers. Les adultes, qui auraient pu rattraper leur retard linguistique, sont eux aussi laissés pour compte. Imaginez une langue qui appartient à tous, mais que presque personne ne peut lire. C’est un paradoxe cruel.

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Mais tout n’est pas perdu. Une idée simple pourrait sauver la situation : enseigner le tifinagh en parallèle d’une transcription latine. Ce double système aurait l’avantage d’être accessible, tout en préservant l’identité culturelle. Et pourquoi ne pas populariser le tifinagh à travers des campagnes modernes pour vulgariser son apprentissage, y compris auprès des adultes ? Des applications, des jeux éducatifs ou même des séries télévisées pourraient faire des miracles.

L’adoption du tifinagh n’est pas un échec, mais elle n’est pas non plus une réussite éclatante. C’est une étape, un chapitre dans une histoire plus vaste. Pour que l’amazigh trouve pleinement sa place, nous devons penser au-delà des idéologies et adopter une approche pragmatique. Car une langue vivante n’est pas seulement une langue parlée ; c’est une langue comprise, aimée et transmise… au plus grand nombre. Asseggaz Ameggaz !

 
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