Diplomatie

Pourquoi Marine Le Pen cherche à se rapprocher du Maroc

En remportant la présidence du très convoité groupe d’amitié France-Maroc, le parti de Marine Le Pen amorce un rapprochement stratégique avec le Royaume. Ce choix soulève des questions sur les objectifs du RN, mais aussi sur les bénéfices que Rabat pourrait en tirer.

Le Rassemblement National (RN), longtemps considéré comme un parti marginal et extrémiste dans la politique française, se trouve désormais au cœur de la scène politique du pays. Non seulement il est devenu l’une des forces majeures du paysage politique français, mais il a également réussi à se positionner comme une alternative crédible aux partis traditionnels. La récente prise de la présidence du groupe d’amitié France-Maroc s’inscrit dans cette dynamique : celle d’un parti désireux de peser sur la politique étrangère et de renforcer son image à l’international. Pour le Maroc, ce rapprochement soulève des questions légitimes : pourquoi s’associer à un acteur politique dont l’image reste ambiguë, et qu’est-ce que le RN cherche réellement à obtenir ?

Pour comprendre cette manœuvre, il faut remonter aux racines d’une fascination réciproque. Jean-Marie Le Pen, en son temps, avait trouvé en Hassan II un interlocuteur attentif. Non qu’il fût question d’une alliance explicite, mais l’échange symbolisait une reconnaissance implicite : le Maroc, pilier de stabilité et de tradition monarchique, et l’extrême droite française, nostalgique des hiérarchies d’un monde ancien, partageaient un imaginaire conservateur. Cette relation s’inscrivait dans une géopolitique de la préférence : celle d’un royaume protecteur de ses valeurs contre une république molle et déclinante.

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Mais derrière cette histoire se cache une ambition contemporaine. En s’emparant du groupe d’amitié France-Maroc, le RN cherche à transformer une affinité historique en levier stratégique. D’abord, il y a la question du Sahara, où le Maroc bénéficie d’un soutien croissant parmi les partisans de la realpolitik, à Paris comme à Washington. La reconnaissance américaine, espagnole et récemment française de la souveraineté marocaine, désormais perçue comme un acquis difficilement réversible, offre une légitimité internationale renforcée. Le RN, par son adhésion à cette vision, ne fait que suivre le vent dominant tout en affichant une posture souverainiste conforme à ses doctrines.

En réalité, le RN voit dans le Maroc un partenaire stratégique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le parti d’extrême droite, qui représente une part de plus en plus importante de l’électorat français, a longtemps cherché à s’affirmer comme une alternative crédible aux partis classiques. L’importance qu’il prend dans le jeu politique français aujourd’hui, notamment après avoir failli accéder au pouvoir lors des élections législatives anticipées de juin dernier, ne peut être sous-estimée. Le Maroc, en cherchant à se rapprocher d’un acteur politique qui sera, tôt ou tard, amené à gouverner la France, cherche à se préparer à un futur où le RN serait en position de force. Ce n’est pas seulement un jeu de proximité idéologique, mais aussi une stratégie géopolitique prévoyante.

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Le Rassemblement National et le Maroc partagent également une aversion commune envers le régime algérien, un facteur clé dans leur rapprochement. Le RN, idéologiquement opposé à toute forme de socialisme et de régime autoritaire, voit dans l’Algérie un symbole de ce qu’il rejette : un État socialisant, tourné vers la rente pétrolière et entaché par une mémoire coloniale qu’il utilise à des fins politiques, notamment pour mobiliser sa diaspora en France. Pour le Maroc, l’Algérie reste un voisin difficile, avec lequel les tensions frontalières et diplomatiques sont toujours présentes, notamment en raison du conflit du Sahara. En s’alliant implicitement au Maroc, le RN cherche à s’opposer à ce régime qu’il considère comme hostile, tout en renforçant ses liens avec un voisin stable et stratégique.

Dans le même temps, le RN s’inscrit dans un contexte international en pleine mutation, où le Maroc émerge comme un acteur incontournable dans la nouvelle géopolitique mondiale. Le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche et la reconnaissance par plusieurs grandes puissances, dont les États-Unis et la France, de la souveraineté marocaine sur le Sahara, redéfinissent l’influence du royaume. Les accords d’Abraham, qui ont permis au Maroc de se rapprocher des États-Unis, d’Israël et d’autres pays du Moyen-Orient, ainsi que les solides relations du royaume avec les pays du Sahel, où il joue un rôle pivot dans la lutte contre le terrorisme, témoignent de son importance croissante. Le RN, par son rapprochement avec le Maroc, entend capitaliser sur cette dynamique, en cherchant à s’aligner avec un pays désormais incontournable dans les équations géopolitiques mondiales, tout en faisant face à une France de plus en plus contestée dans la région.

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Cependant, ce rapprochement n’est pas exempt de contradictions. Peut-on vraiment faire confiance à un parti qui, à peine dix ans plus tôt, affichait encore des relents d’un passé colonial et tenait un discours profondément hostile aux pays du Maghreb ? Le RN a beau tenter de lisser son image, la méfiance demeure. D’autant que ses intérêts ne coïncident pas toujours avec ceux du Maroc. Si le Sahara semble être un point d’accord, le reste de la stratégie du RN pourrait s’avérer beaucoup plus opportuniste.

Pour le Maroc, la prudence est de mise. Si le royaume a toujours su jouer avec finesse sur l’échiquier diplomatique, il devra redoubler de vigilance face à un acteur politique aussi ambigu que le RN. S’il est indéniable que les intérêts convergent sur certains points, le Maroc ne doit pas perdre de vue que le RN sert avant tout ses propres ambitions. Et que derrière les déclarations de bonne entente se cache une tentative de récupération, où le Maroc risque de devenir un simple outil dans une stratégie de légitimation. Au Royaume de poser lui aussi ses conditions, dont la défense de son importante diaspora qui représente la deuxième plus grosse communauté étrangère dans l’Hexagone.

Ainsi, tout en acceptant la main tendue, le royaume doit rester sur ses gardes. Le Maroc est aujourd’hui une puissance régionale respectée, ancrée dans des alliances solides et porteuse d’une vision claire pour son avenir. Il doit donc continuer à jouer sa carte avec habileté, sans se laisser enfermer dans des jeux partisans étrangers. Après tout, l’histoire nous l’a appris : si le Maroc sait faire preuve de patience, il sait aussi toujours choisir le bon moment pour avancer ses pions.

 
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