Présidence de la BAD : À quand un autre scénario Omar Kabbaj ?
Le mandat du président Adesina arrive à son terme. Après le Tchadien Abbas Mahamat Tolli, l’ancien économiste en chef de la Banque africaine de développement, l’Algérien Rabah Arezki, prépare sa candidature et n’attend plus que le feu vert d’Alger… Au Maroc, on se rappelle du brillant passage d’Omar Kabbaj qui avait permis à l’époque à la banque de retrouver sa notation triple A.
On se souvient de la petite turbulence qui a secoué l’institution financière lors de la réélection d’Adesina pour son dernier mandat en 2020. Un document d’une quinzaine de pages adressé au comité d’éthique de la BAD accusait le président Adesina de divers manquements de gouvernance. Initié par un groupe de lanceurs d’alerte agissant sous le sceau de l’anonymat, ce rapport solide avait été transmis au comité d’éthique de la BAD. Dirigé par l’ancien bras droit de l’administration Trump, Steven Dowd, et David Malpass, partisans de l’« America first », avaient été très critiques envers la Chine et la BAD.
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On se souvient également de l’éditorial du vice-président principal du Centre d’études stratégiques et internationales, Daniel Runde. « À la Banque mondiale, les États-Unis ont 15,7 % des voix et un droit de veto de facto, mais ils ne détiennent pas un droit de veto similaire au sein de la BAD. Les États-Unis ont 12,7 % des voix à la Banque asiatique de développement et 30 % des voix à la BID, mais seulement 6,649 % à la BAD », avait-il écrit. « Les banques régionales de développement fonctionnent mieux lorsqu’elles suivent la « règle d’or » : celui qui a l’or établit les règles. Malheureusement, ce n’est pas le cas à la BAD », avait-il ajouté. Quatre ans plus tard, même si cette crise n’a pas entraîné le départ d’Adesina, elle soulève des interrogations sur le poids des pays au sein de l’institution. Ainsi, à l’approche du renouvellement des instances dirigeantes, les projecteurs sont à nouveau braqués sur la Banque Africaine.
Le bal des prétendants
Si le second mandat du Nigérian Akinwumi Adesina à la tête de la Banque africaine de développement (BAD) ne prendra fin que l’an prochain, les candidats à sa succession se multiplient. Après l’annonce, à la mi-mars, de la candidature du Tchadien Abbas Mahamat Tolli, ancien gouverneur de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC), soutenu par la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) ainsi que par l’Angola et la RDC, d’autres personnalités africaines se sont annoncées. Dans les couloirs des différentes officines africaines, ces noms sont sur toutes les lèvres : Rabah Arezki, ancien chef économiste de la BAD ; Bajabulile Swazi Tshabalala, première vice-présidente de la BAD ; Amadou Hott, ancien ministre de l’Économie ; Mateus Magala, ancien vice-président chargé des ressources humaines et des services généraux de la BAD ; Hassatou Diop N’Sele, vice-présidente en charge des finances de la banque.
Maroc, un scénario Kabbaj ?
Après quelques décennies, du côté du Maroc, des questions se posent sur la candidature d’une élite de Rabat au poste de président de la BAD. Rappelons que la dernière présidence du Maroc remonte à 1995. C’était dans un climat assez compliqué que traversait la Banque lorsque l’ancien ministre marocain chargé de l’Incitation économique, Omar Kabbaj, a été proposé par feu Hassan II pour présider la BAD. Ce qui lui a valu à l’époque la perte de sa notation triple A. Il faut rappeler que cette candidature du Maroc avait alors bénéficié du soutien ferme de la France, de la Côte d’Ivoire et du Gabon, tandis que les États-Unis soutenaient le candidat du Lesotho, Timothy Thahane. Une élection qui n’a abouti qu’après plusieurs tours, tant les tractations étaient intenses entre les deux tendances. Le président américain Bill Clinton avait même écrit au roi Hassan II pour que le Maroc renonce. En vain. Malgré cette farouche opposition, le Marocain Omar Kabbaj fut élu, fortement appuyé par la France. Omar Kabbaj a rapidement obtenu les moyens et l’approbation du Conseil pour se débarrasser de son personnel incompétent et non performant. Bien que vigoureusement critiquée, la méthode Kabbaj a porté ses fruits. En 1997, il a réussi l’exploit de rétablir la notation triple A de la banque. Le président Kabbaj a également réussi à augmenter le capital de la BAD.
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« En effet, un autre mandat du Maroc à la tête de la BAD aurait des effets positifs sur sa diplomatie économique. Les mandats à la BAD permettent une projection sur un temps relativement long, ce qui permet de déployer une stratégie sur la durée », nous confie l’économiste Hicham Alaoui. Et de poursuivre : « Toutefois, il convient de rappeler le mode de fonctionnement de la BAD, qui se base sur des droits de vote des pays africains et non africains, relativement dilués. Dans une telle logique, si la personne du Président exerce bien entendu une certaine influence, je ne la vois personnellement pas de nature à phagocyter le débat ».
De son côté, le président Fondateur du groupe Afrique Challenge déclare : « les élections au poste de président de la BAD sont très politiques même si les incidences sont politiques. Je pense qu’il y a deux paramètres qu’il ne faut pas perdre de vue même si ce n’est pas trop visible. C’est une banque de développement qui a beaucoup d’actionnaires et qui ont leur mot à dire. En second lieu, le fait qu’Omar Kabbaj ait eu un passage remarqué ne prédispose pas à avoir un 2e marocain aussi tôt, il y a quand même une règle tournante : Afrique du Nord, Afrique centrale, Afrique de l’est, Afrique de l’ouest… Alors on a eu Kabbaj, le Rwandais Kaberuka, Adesina. Pour moi aujourd’hui c’est l’Afrique centrale qui est en pole position pour hériter de la gouvernance. Mais il faut un profil de grande qualité. Je ne connais pas le postulant tchadien mais vu les déboires de la BDAC, je ne suis pas si sûr. Alors pour conclure je ne pense pas que l’Afrique occidentale, australe et le Maghreb soient dans les starting block ».
Les faiseurs de président !
Ce sont les 80 membres du conseil des gouverneurs. Ils représentent chacun des 54 États membres ainsi que les 26 pays membres non régionaux (Etats-Unis, France, Canada, Japon, Chine, Argentine et Luxembourg…). Le président élu doit ainsi recueillir la majorité des suffrages exprimés. En clair, 50,01 % des pouvoirs de vote des membres africains et 50,01 % des membres non africains. Côté pouvoir, plus un pays souscrit au capital de la banque, plus il pèse au moment du scrutin. Par exemple, les pays de la zone CEMAC (Communauté économique des États de l’Afrique centrale) représentent au total 4,25 % des voix, presque à égalité avec l’Algérie (4,21 %), et loin derrière le Nigeria. Le pays d’Adesina représente à lui seul 9,25 % (le seul pays africain à être aussi puissant au sein du conseil des gouverneurs). Seuls l’Afrique du Sud et l’Égypte tentent de rivaliser avec lui, respectivement avec 4,88 % et 5,39 %. Les pays non régionaux représentent quant à eux 40,27 % des pouvoirs, dont 6,55 % pour les États-Unis, 5,47 % pour le Japon et 3,75 % pour la France. La Chine détient quant à elle 1,12 % du capital.