Présidentielle américaine : une élection à 15 Md$
Quatre minutes pour remercier le patron de X. Ce dernier, comme tous les géants du numérique, s’est mobilisé dans cette élection aux côtés des deux camps. Dans son « De la démocratie en Amérique », le sociologue Tocqueville annonçait déjà dans les années 1800 ce nouveau type de fonctionnement, où le mécanisme de l’universel perd son sens. Faut-il craindre la technopolitique ?
La démocratie, une des plus grandes inventions de l’homme, a évolué depuis la Grèce antique jusqu’à aujourd’hui, avec des pays comme les États-Unis, qui ont développé une véritable maturité sur le sujet. Citée en modèle dans le monde, la démocratie américaine a été analysée par de nombreux intellectuels, dont Alexis de Tocqueville, qui a consacré une partie de son travail à la démocratie américaine. Dans De la démocratie en Amérique, il écrit : « Parmi les objets nouveaux qui, pendant mon séjour aux États-Unis, ont attiré mon attention, aucun n’a plus vivement frappé mes regards que l’égalité des conditions. Je découvris sans peine l’influence prodigieuse qu’exerce ce premier fait sur la marche de la société ; il donne à l’esprit public une certaine direction, un certain tour aux lois ; aux gouvernants des maximes nouvelles, et des habitudes particulières aux gouvernés. » La démocratie américaine, citée en modèle, semble cependant prendre ces dernières années une trajectoire qui, selon de nombreux observateurs, remet en cause ses principes fondateurs.
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Aujourd’hui, avec l’émergence du numérique, on assiste progressivement à la fin de l’idéologie, remplacée par le « prêt-à-penser ». On se souvient de l’intervention du candidat républicain, qui a interrompu un point de presse pour proposer un concert, où quelques classiques de la musique américaine ont été joués pendant près de 45 minutes.
« La cour de récréation et le café du commerce associés dans une belle LLC bien financée. Voilà ce que devient l’élection américaine, mais aussi les élections dans le monde entier. On ne pense plus, on se positionne, on reste surtout bien à la surface pour ne pas creuser et apporter un tant soit peu de fond. Pas de réflexion, plutôt des émotions, et pas souvent les meilleures », déclarait le conférencier et écrivain Denis Jacquet dans l’une de ses tribunes publiées sur Atlantico.
« Les limites de la démocratie », ce célèbre concept de Tocqueville, illustre la dérive observée aujourd’hui. Son idée majeure est la tyrannie de la majorité, selon laquelle les choix peuvent être guidés uniquement par la force du nombre, et non par des principes profonds. « L’égalisation des conditions conduit à une égalisation des idées, un conformisme qui se développe ; les individus, outre leur désintérêt croissant pour la politique, ne se donnent plus la peine de penser et acceptent l’opinion générale qu’on peut voir dans la presse », alertait l’auteur.
15 milliards de dollars !
Plus de 15 milliards de dollars ont été dépensés pour cette campagne présidentielle américaine, notamment par les milliardaires. C’est Kamala Harris qui arrive en tête des financements avec le soutien d’au moins 81 milliardaires, contre seulement 50 pour Donald Trump. La Tech s’est également activée : Microsoft, Apple, Nvidia, Adobe, Amazon, Facebook, Oracle – les géants de la Silicon Valley ont signé des chèques. Selon OpenSecrets, jamais une campagne n’a autant dépensé en publicité numérique dans l’histoire américaine. Dans le camp démocrate, Kamala Harris avait dépensé jusqu’à 370 millions de dollars en publicité. « J’ai commencé à hurler contre ma télévision pour qu’elle arrête de diffuser les mêmes publicités politiques en boucle », a écrit Aimée Davis sur le réseau social X. Les dépenses publicitaires, tous médias confondus, ont déjà dépassé les 10 milliards de dollars au 31 octobre, en hausse de 1 milliard par rapport à la même époque en 2020, selon le spécialiste AdImpact.
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L’alliance stratégique entre le patron de X et le président Trump semble avoir été cruciale. Selon Asma Mhalla, chercheuse en science politique, « Les géants de la Tech façonnent la vie politique contre notre volonté. On est aujourd’hui dans une forme de privatisation de ces outils techniques au service d’une vision ou d’une idéologie. » D’où la question : qui, de la machine ou de son maître, détient le plus de pouvoir ? « L’influence technologique est bien présente et peut influencer un pourcentage des votes, mais il reste l’humain face au candidat, avec ses convictions et ses pensées », nuance Hicham Chiguer, président de l’Ausim.