Production de protéines d’insectes. Comment le Maroc passe à côté d’un business florissant
L’élevage de mouches soldat noires pour la production de protéines est une opportunité économique prometteuse pour le Maroc. Le pays dispose des atouts naturels et de l’expertise nécessaires pour réussir dans ce domaine. Cependant la réglementation ne prend pas en compte cette réalité, ce qui freine toute initiative visant à développer ce business émergent.
Le Maroc, avec ses atouts climatiques, géographiques et économiques, devrait logiquement se frayer une place de leader continental dans la production de protéines d’insectes. Le pays dispose d’une grande quantité de déchets organiques, notamment dans l’industrie agroalimentaire, qui pourraient être utilisés pour nourrir les larves de mouches soldat noires. Cependant, selon Mohamed Moustahfid, biologiste de formation, directeur technique et associé de IZIProteine, l’une des deux startups marocaines en activité sur ce créneau dans le Royaume, le Maroc laisse filer un business florissant à cause des réglementations en vigueur, qui sont jugées « un peu trop rigides ». « Au Maroc, on est toujours dans le carré rouge, toujours à la case départ », déplore-t-il.
« Le développement de cette activité au Maroc fait face à des freins administratifs et légaux importants qu’il va falloir lever pour permettre aux éleveurs de volaille et aux pisciculteurs, deux de nos débouchés importants, d’utiliser la farine d’insecte comme aliment alternatif à la farine de poisson ou de soja », ajoute l’entrepreneur. Il ne comprend pas pourquoi les larves de fourmis et dérivés sont interdites aux volailles au Maroc alors qu’elles sont autorisées dans d’autres pays plus avancés comme les États-Unis où les protéines animales à base d’insectes sont autorisées pour l’alimentation des volailles. La FDA a même proposé que l’Association des responsables américains de l’alimentation animale (AAFCO) autorise l’utilisation d’insectes entiers séchés et de farine de protéines fabriquée à partir de larves d’insectes dans les aliments pour volailles. Rappelons qu’à l’état naturel, tous les oiseaux, y compris la volaille, consomment des vers et des larves. Cependant, au Maroc, il est interdit d’alimenter en vers des volailles destinées à la consommation humaine, d’où le nœud du blocage.
Lire aussi | Feux de forêt/Canadairs. Comment le Maroc se démarque dans la région par sa proactivité
Contacté par Challenge, Chaouki Jerrari, directeur de la Fédération interprofessionnelle du secteur avicole (FISA), explique qu' »en règle générale, les nutriments à base de protéines d’origine animale sont interdits pour l’alimentation des volailles au Maroc. Même pour l’alimentation des poissons dans les piscicultures et pour celle du bétail, les organismes de contrôle sont très vigilants et il existe des restrictions ». Donc, l’ONSSA, organisme public responsable de la sécurité sanitaire des produits alimentaires au Maroc, préfère être prudente en matière d’alimentation animale et a donc mis en place des restrictions pour éviter tout risque sanitaire.
Les protéines d’origine animale peuvent en effet être porteuses de maladies ou de contaminants, ce qui peut représenter un risque pour la santé humaine. Par conséquent, les autorités marocaines ne souhaitent pas, du moins pour l’instant, autoriser les larves ou dérivés de larves de mouches dans l’alimentation de la volaille destinée à la consommation humaine, afin de garantir la sécurité alimentaire des consommateurs. En attendant la levée des barrières au Maroc, IZIProteine et son homologue Entomonutris sont autorisés à écouler sur le marché les fertilisants qu’ils produisent ainsi que les larves de mouche séchées destinées à l’alimentation des animaux de compagnie, communément appelés Petfood, ou des oiseaux d’animaleries, car les larves de mouches soldat noires peuvent être transformées en poudre, en huile et en engrais. Depuis ses locaux de production à Marrakech, Entomonutris vise à créer des aliments de haute qualité pour les animaux de compagnie, tandis qu’IZIproteine utilise une technologie de bioconversion pour valoriser les biodéchets, depuis sa ferme biologique d’Aït Melloul.
Il n’y a pas que les startups qui attendent le ok de l’administration
Même les professionnels regroupés en fédération font face à des freins administratifs. Jerrari témoigne également du fait qu’un projet a été déposé auprès des autorités pour la mise en place d’unités de transformation et de valorisation de déchets tels que les os et les carcasses d’animaux morts en Petfood. Cependant, ce projet n’a pas encore été mis en œuvre. « Nous attendons toujours les autorisations », nous dit-il, alors que des volumes importants de Petfood sont toujours importés. « Un tel projet présenterait plusieurs avantages, tels que la réduction des coûts liés à l’enfouissement des carcasses d’animaux et la possibilité de générer des revenus supplémentaires pour les éleveurs, qui pourraient vendre cette matière première aux unités de transformation plutôt que de la dépenser pour l’enfouissement », explique Jerrari.
En somme, il est clair que des défis persistent pour le développement de l’industrie des protéines d’insectes au Maroc. Pour remédier à la situation actuelle, les réglementations sur l’élevage d’insectes doivent être clarifiées et mises à jour pour soutenir cette activité émergente. Les investissements et les partenariats doivent également être encouragés pour permettre aux startups de se développer et de se diversifier.
Ce ne sont pas les investisseurs qui manquent
Selon Afridigest, des investisseurs tels que Novastar Ventures, Futuregrowth Asset Management et Kepple Africa Ventures ont commencé à soutenir des start-ups africaines dans ce secteur, et le Maroc ne devrait pas être en reste. Selon Mohamed Moustahfid, pour booster davantage cette activité, le Maroc gagnerait à ce que des gros acteurs disposant de capitaux importants viennent investir sur son territoire. Justement, ce dernier nous dit qu’il y a quelques temps, NexProtein, une startup agri-tech franco-tunisienne basée en France et qui exploite un site de production de 2500m² dans la banlieue de Tunis d’où elle produit des protéines à base de larves de mouches noires soldats pour l’alimentation en aquaculture, pour les volailles, les porcs et les animaux domestiques, de même que l’entreprise InnovaFeed, entreprise française qui fournit une large gamme de produits, notamment des protéines d’insectes pour l’alimentation animale, visaient le Maroc pour installer leurs unités de production.
Lire aussi | La COSUMAR passe sous le contrôle d’un pool d’investisseurs institutionnels marocains
« Nous avons eu le privilège de les rencontrer. Ils ont un besoin énorme en termes de gisement de déchets. À titre d’exemple, InnovaFeed demande 200 tonnes de déchets organiques par jour. C’est-à-dire qu’ils peuvent gérer facilement tous les déchets organiques d’une ville comme Agadir, par exemple. Le souci est que pour installer des usines à la pointe de la technologie, à coût de millions, il faudrait un retour sur investissement. Ils ne peuvent pas installer leurs usines s’ils ont ces freins administratifs », nous explique Mohamed Moustahfid. Et d’ajouter : « Ils ont rencontré des autorités et échangé avec l’ONSSA. Discussion qui semble ne pas avoir abouti. Du coup, ils ont freiné leur projet d’implantation au Maroc. Comparés à ces deux entreprises, nous sommes tout petits. Nous ne sommes pas dans l’industrie, mais juste dans le prototypage. De même que NexProtein et InnovaFeed, nous ne pouvons pas nous lancer dans l’industrialisation sans avoir des débouchés », explique le directeur technique et associé de IZIProteine. En effet, les débouchés actuels sont quasiment insignifiants devant ce que pourraient représenter l’aviculture et la pisciculture.
Les avantages naturels du Maroc
Le Maroc représente un marché potentiel pour les protéines d’insectes, car de plus en plus de consommateurs sont préoccupés par la durabilité et la qualité des aliments. Les températures idéales pour l’élevage des mouches soldat noires se situent entre 25 et 35°C, ce qui correspond à une plage de températures courante au Maroc. Les fermes d’élevage de mouches soldat noires pourraient donc potentiellement dépenser moins en infrastructures et en frais généraux d’élevage que leurs homologues dans d’autres régions du monde. Vu la localisation stratégique du Maroc, ses conditions climatiques, ainsi que l’important gisement de déchets organiques et l’expertise avérée du pays en matière d’agriculture et d’élevage. De plus, les produits dérivés de mouches soldat noires pourraient facilement accéder au marché européen. « Imaginez qu’un kilo d’œufs puisse générer jusqu’à six tonnes de larves en biomasse. Et ces larves pourraient consommer jusqu’à 40 tonnes de déchets organiques. C’est impressionnant en termes de potentiel et d’intérêt environnemental ! », explique Mohamed Moustahfid.
Les protéines d’insectes : un marché en pleine croissance
Le secteur de l’élevage d’insectes pour produire des protéines est en plein essor, offrant une alternative durable à l’alimentation animale traditionnelle. Pour rentabiliser cette activité, les mouches soldat noires ont été identifiées comme une source prometteuse de protéines d’insectes en raison de leur capacité à se nourrir d’une grande variété de déchets organiques et de sous-produits alimentaires. Les protéines obtenues à partir des larves de ces insectes offrent une alternative durable aux protéines animales traditionnelles et peuvent être utilisées dans une variété de produits alimentaires. De plus, les larves de mouches soldat noires sont capables de convertir divers déchets organiques en produits de grande valeur tels que les engrais, les aliments pour poissons et les huiles riches en nutriments. Selon une note d’information d’Afridigest sur le marché des protéines d’insectes en Afrique et le commerce des mouches soldat noires, le marché mondial des aliments pour insectes devrait connaître une croissance annuelle moyenne de 12% d’ici 2031. Avec une taille de marché estimée à 1,1 milliard de dollars en 2022, ce marché est relativement important, ce qui laisse entrevoir un grand potentiel.