Production laitière: une baisse artificiellement remédiée
Le lait est l’un des principaux produits alimentaires qui fait partie de la consommation courante des ménages au Maroc. Ce produit figure parmi les priorités des politiques publiques agricoles. Néanmoins, les tendances lourdes observées dans la gestion de cette filière imposent un bilan critique et une approche qui tient compte des limites actuelles et des impacts à moyen terme sur les ressources naturelles.
En vue d’améliorer les niveaux de son autosuffisance et de consommation en produits laitiers, le Maroc a lancé en 1975, un plan dénommé «Plan laitier», dont l’objectif majeur était de faire passer la production nationale de lait de 581 millions de litres à 2 milliards de litres, en l’an 2000.
Pour la mise en œuvre de ce plan, les concepteurs ont été des précurseurs de la promotion de l’approche filière dans cette composante des productions animales. A travers ses principaux axes d’intervention, ce plan a fait le choix d’intégrer les différents maillons de cette chaîne de valeur via l’amélioration des niveaux de performance de production du cheptel national par l’amélioration génétique, de l’alimentation, de l’encadrement sanitaire du cheptel et de l’encadrement technique des éleveurs. Il y a lieu de citer aussi l’organisation des circuits de collecte du lait par l’implantation, à la charge de l’Etat, d’un réseau de centres dédiés, le développement d’usines de transformation du lait, ainsi que l’institution de mesures incitatives en faveur des différents opérateurs de la filière.
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En dépit des efforts considérables qui lui ont été consentis et des progrès indéniables qu’il a effectivement permis de réaliser, le «Plan laitier» n’a pas atteint tous les objectifs qui lui étaient assignés : les niveaux de la production de lait (1,2 milliard de litres seulement, en 2000) comme de la consommation des produits laitiers par la population marocaine sont restés en deçà des attentes.
En 2000, le département de l’agriculture a élaboré un nouveau plan de développement de la filière laitière pour la période 2000-2020. Selon ce plan, la satisfaction d’une demande nutritionnelle équivaut à une consommation de 90 Équivalents litres de lait par habitant et par an. Sur cette base, la production nationale de lait à l’horizon 2020 devait être le triple (3,6 milliards de litres) de celle atteinte en 2000 (1,2 milliard de litres).
La réalisation d’un tel objectif de consommation «nutritionnelle» nécessite une croissance de la production nationale de lait de 5,8% par an. Les axes d’intervention retenus pour la mise en œuvre de ce nouveau plan étant : la spécialisation régionale ; la poursuite de l’amélioration de la productivité du cheptel ; le renforcement du rôle des organisations professionnelles et l’encouragement du partenariat entre les professionnels de la filière ; l’amélioration de la qualité du lait tout au long de la chaîne de valeur ; l’adaptation des politiques d’incitations et de protection du secteur laitier.
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Sauf qu’à l’instar du plan qui l’avait précédé, ce second plan n’a pas permis d’atteindre les objectifs de production et de consommation escomptés. En effet, selon le contrat-programme signé le 4 mai 2023, en marge de la 15ème édition du Salon International de l’Agriculture à Meknès, par le gouvernement et la fédération interprofessionnelle Maroc lait pour la période 2021-2030, la production laitière en 2020, n’a été que de 2,5 milliards de litres ; l’objectif de 3,6 milliards de litres qu’elle devait atteindre en 2020, ne le serait qu’en 2030.
Et si entre 2008 et 2018 la production laitière est passée de 1,7 à 2,5 milliards de litres (soit une hausse de 47%), elle va subir une baisse continue en passant de 2,55 milliards de litres en 2019, à 2,5 milliards en 2020, à 2,25 milliards en 2021, à 2 milliards en 2022 et à 1,96 milliard en 2023, soit une baisse de près de 25% en cinq ans. Baisse qui résulte d’une diminution de l’ordre de 13%, que l’effectif de vaches laitières a dû subir depuis 2019, en passant de 1,91 million de têtes, à 1,72 million en 2021, pour ne plus être que de 1,67 million en 2022, revenant ainsi à un effectif proche de celui qui existait lors du démarrage du Plan Maroc Vert en 2008 (1,61 million de têtes).
Pourtant, si depuis le lancement du «Plan laitier» en 1975, les effectifs du cheptel bovin n’ont pas beaucoup changé (autour de 3 millions de têtes), sa structure génétique a été profondément modifiée : de 10% en 1975, la part du cheptel amélioré (race pure et race croisée) est passée à près de 50% en 2000 et serait de l’ordre de 80% actuellement.
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Cette progression s’inscrit en cohérence avec l’option constante et soutenue par l’octroi de substantielles subventions, de recourir aux importations massives de génisses pleines de races laitières à haut potentiel et à l’usage de l’insémination artificielle comme leviers fondamentaux pour le développement de la production laitière dans le pays. Au cours des cinquante dernières années, le Maroc aurait importé pas moins de 500 000 génisses, soit une moyenne de quelques 10 000 têtes par an !
Face à la situation particulièrement préoccupante qui affecte en profondeur le secteur laitier, le gouvernement a pris une série de mesures en vue d’aider les éleveurs à maintenir et/ou à restaurer les capacités de production de leur cheptel et de combler le déficit enregistré en produits laitiers par rapport à la demande des consommateurs.
Outre la subvention continue des aliments composés pour vaches laitières depuis mars 2022, ainsi que l’exonération de l’importation des aliments simples et des fourrages en 2025, le gouvernement a procédé à deux révisions des dispositions régissant les modalités et les conditions d’octroi de l’aide de l’Etat pour l’acquisition des génisses de races laitières importées.
La première révision a été opérée à travers l’arrêté conjoint n° 650.22 du 23 février 2022, selon lequel la subvention de l’Etat sera versée au cours des deux années suivant la publication de l’arrêté au Bulletin Officiel et dans la limite de 20 000 têtes, comme suit : 3000 DH par tête pour les trois premières génisses laitières importées, 5 000 DH par tête de la quatrième à la dixième et 2 500 DH par tête à partir de la onzième.
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La seconde est intervenue par l’arrêté conjoint n° 1902-23 du 21 juillet 2023, qui a procédé à une augmentation significative de la subvention en la portant à 6 000 DH par tête, qui sera accordée jusqu’au 31 décembre 2026 et maintenue jusqu’à ce que le nombre total des génisses ayant bénéficié de cette aide atteigne 60000 têtes. Ainsi, selon le Président de la fédération interprofessionnelle Maroc Lait, les membres de cette fédération ont importé plus de 24 000 génisses depuis 2022, dont environ 9000 génisses durant les neuf premiers mois de 2024. (Media 24 du 17 octobre 2024).
Comme il y a lieu de souligner que la loi de finances pour l’année budgétaire 2025 prévoit la suspension, durant la période allant du 1er janvier au 31 décembre 2025, de la perception du droit d’importation ainsi que l’exonération de la TVA appliquée aux velles reproductrices ainsi qu’aux génisses et ce, dans la limite d’un contingent de 20 000 têtes pour chaque catégorie. A noter enfin, qu’au titre de l’aide de l’Etat pour l’acquisition des génisses laitières de races pures, sélectionnées et produites au niveau national, l’arrêté conjoint n° 1903-23 du 21 juillet 2023 l’a fixée à 3000 DH par tête.
Concernant la consommation en lait et dérivés, elle est passée de 50 litres équivalent /habitant/an durant la période 2005-2007, à 72 litres en 2015-2018, et à 74 litres en 2020-2023 ; une consommation qui ne pouvait être couverte par la production nationale et sans le recours à l’importation, y compris au cours de la période de mise en œuvre du PMV. Tel fut le cas en 2012, lorsque le gouvernement a approuvé un décret suspendant les droits de douane appliqués à l’importation de 20 000 tonnes de lait UHT pour approvisionner le marché durant le mois de ramadan. (La Vie Éco, du 12 juillet 2012).
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En 2021, 10 210 tonnes de poudre de lait ont été importés. Le 17 novembre 2022, il a été décidé de suspendre jusqu’au 23 octobre 2023, les droits de douane et de la taxe sur la valeur ajoutée applicables à l’importation du lait écrémé en poudre et du beurre, et leur prise en charge par le budget général de l’État.
Depuis, les volumes importés ne cessent d’augmenter et pourraient dépasser les 40 000 tonnes en 2024. Selon les statistiques de l’Office des changes, le premier trimestre de 2024 a enregistré les importations du lait en poudre pour le seul premier trimestre de 2024, soit près de 23 400 tonnes pour près de 690 millions de dirhams. Il est à rappeler qu’en principe, l’usage de cet intrant n’est autorisé que pour la production des produits laitiers dérivés et, exceptionnellement, du lait UHT durant les périodes de baisses des quantités de lait frais.
Les tendances lourdes ainsi exposées pourraient être interprétées comme les prémices des limites ultimes du modèle que le pays a depuis longtemps privilégié pour le développement de son élevage laitier. Limites qui paraissent infranchissables au vu des effets cumulatifs du changement climatique et des préjudices portés aux ressources naturelles par le déploiement de programmes d’interventions inappropriées, et faute de politiques de développement agricole et rural territorialisé.