Rentrée économique. De nombreux dossiers sur la table des entreprises
Sur la table de cette rentrée économique, de nombreux dossiers à traiter. L’emploi du temps des dirigeants sera consacré aux délais de paiement, aux carnets de commandes, au remboursement de la TVA, au prix des matières premières, mais aussi au financement des besoins d’exploitation ou encore aux difficultés de recrutement…
La cloche de la rentrée a sonné ! S’il est habituel de présenter la rentrée économique comme la période de «tous les dangers», cette année, les milieux d’affaires y placent de grands espoirs, espérant qu’elle marquera un tournant décisif à la suite d’une période de relance.
Après une année de convalescence suivie d’une autre de relance, les dirigeants d’entreprises voient la rentrée 2024 comme l’occasion de confirmer la relance économique et renforcer la reprise dans divers secteurs. Ils espèrent que la dynamique positive enclenchée, qui a apporté des bénéfices notables à plusieurs segments de l’économie, notamment les services financiers et non financiers ainsi que le BTP, entre autres, continuera à se prolonger. « L’économie marocaine affiche certes une bonne tenue, mais à l’approche d’une nouvelle campagne agricole, les appréhensions montent car nous dépendons du secteur agricole et des aléas climatiques. L’agriculture représente aujourd’hui 15% du PIB et 39% des emplois. La faible pluviométrie et les récoltes décevantes des dernières années coûtent cher à beaucoup d’autres secteurs économiques et l’économie nationale d’une manière générale. Après six années d’affilée de sécheresse, ce qui est du jamais-vu, il est logique que la raréfaction de l’eau au Maroc figure aux premières loges des grandes préoccupations actuelles des dirigeants d’entreprises. Elle soulève moult interrogations, suscite de grandes appréhensions et génère de fortes attentes », prévient Mohamed Boumesmar, expert-comptable, associé-gérant du cabinet Audicis.
Les défis persistants
Cependant, les défis restent considérables pour les opérateurs économiques, qui abordent les mois à venir avec un mélange d’espoir et d’appréhension. L’incertitude continue de peser sur certains pans de l’économie locale et internationale, malgré les signes de reprise. « Les préoccupations des patrons d’entreprises pour cette rentrée dépendent des secteurs d’activité», tient à préciser Boumesmar.
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Mais, selon les retours recueillis auprès des membres de diverses fédérations sectorielles, les enjeux majeurs se regroupent autour de plusieurs grands axes (voir encadrés) : le remboursement de la TVA, les délais de paiement, les carnets de commandes, le financement des besoins d’exploitation et l’investissement.
L’un de ces enjeux concerne les retards dans le remboursement de la TVA qui ont des conséquences importantes sur la viabilité des entreprises, en particulier sur leur trésorerie. En effet, lorsqu’une entreprise attend longtemps pour récupérer la TVA qu’elle a acquittée, elle se trouve dans une situation de déséquilibre financier. Ce délai prolongé pour obtenir le remboursement crée une pression sur les liquidités de l’entreprise, qui doit alors puiser dans ses propres ressources pour faire face à ses dépenses courantes. «Les impacts directs de ces retards sur la trésorerie peuvent être significatifs. En effet, des fonds importants restent immobilisés, ce qui limite la capacité de l’entreprise à financer ses opérations quotidiennes ou à investir dans de nouveaux projets. Ce manque de liquidités peut également contraindre l’entreprise à emprunter, augmentant ainsi ses coûts financiers et affaiblissant davantage sa situation financière. Plus les délais de remboursement de la TVA sont étendus, plus les capacités d’autofinancement de l’entreprise se réduisent», explique Abdeslam Touhami, économiste.
A l’instar des retards dans le remboursement de la TVA, certains opérateurs économiques expriment aussi une inquiétude face aux niveaux prolongés des délais de paiement, qui continuent de peser sur les affaires et d’étouffer l’économie. Le défi principal est de générer un chiffre d’affaires sain tout en évitant les mauvais payeurs. Mais cette inquiétude est loin d’être partagée par tous les dirigeants d’entreprises. «La nouvelle loi sur les délais de paiement qui a fixé le délai normatif dans les opérations commerciales, a changé notre vie. La situation s’est spectaculairement améliorée. Les grandes enseignes comme Marjane et Carrefour, par exemple, jouent le jeu», témoigne Karim Tazi, Directeur général du Groupe Richbond. Un diagnostic partagé par l’expert-comptable, associé-gérant du cabinet Audicis : «la nouvelle loi est en train de porter ses fruits même si on doit attendre encore pour se prononcer définitivement sur la question. La tendance actuelle est à saluer, d’autant plus que certaines entreprises mettent aujourd’hui tout en œuvre pour appliquer de manière rigoureuse la nouvelle loi sur les délais de paiement ».
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Le financement des besoins d’exploitation et du fonds de roulement constitue également une priorité cruciale, selon les patrons d’entreprises sondés. De nombreux opérateurs continuent de faire face à des problèmes de trésorerie et luttent pour maintenir leurs liquidités face aux difficultés économiques, telles que la baisse des ventes et les délais de paiement prolongés.
Les entreprises espèrent obtenir des conditions de financement plus favorables de la part des banques et pour certaines, la continuation des dispositifs de soutien établis pour atténuer les effets de la crise sanitaire sur leurs finances. Les opérateurs recherchent principalement des rallonges pour financer le besoin en fonds de roulement ainsi que des facilités de caisse à moindre coût. Les résultats de l’enquête de Bank Al-Maghrib sur les taux débiteurs au titre du deuxième trimestre de 2024 font ressortir une hausse de 3 pb du taux global à 5,43%. Par objet économique, les taux se sont établis à 5,39% pour les facilités de trésorerie et à 5,02% pour les crédits à l’équipement. Le taux appliqué aux prêts aux entreprises non financières s’est situé à 5,37%. Pour les crédits aux entreprises non financières privées, le taux les assortissant s’est établi à 5,45%, avec un taux de 5,34% pour les grandes entreprises (GE) et de 5,68% pour les très petites, petites et moyennes entreprises (TPME).
Pour autant, les dirigeants de TPE continuent d’être préoccupés par l’accent au financement. «Les portes des banques nous sont fermées. Nous nous sommes tournés vers l’INDH qui a donné son accord pour nous financer. Mais au niveau de la plateforme qui gère les autorisations à caractère urbanistique et économique au niveau national, on nous a exigé le titre foncier du local de notre TPE. Un document que nous ne sommes pas en mesure d’apporter. Nous avons perdu beaucoup de temps dans les locaux des autorités compétentes pour des démarches administratives. De nombreuses petites entreprises sont confrontées aux mêmes difficultés pour accéder au crédit», regrette Yassine Asfary, fondateur de ZVEX TECH, une TPE spécialisée dans la création et l’installation de jeux électroniques.
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Ce ne sont pas uniquement les dirigeants de TPE qui se plaignent des lourdeurs administratives. Des patrons de PME et grands groupes sondés le déplorent également et s’en inquiètent. «Vous m’avez demandé les priorités actuelles des entreprises en termes de préoccupation pour cette rentrée, je dirai l’environnement administratif. C’est un cauchemar absolu. Par exemple, de la demande d’autorisation de construire à l’obtention du permis d’habiter, les dysfonctionnements sont nombreux. Combien y a-t-il d’intervenants impliqués dans l’octroi de l’autorisation ?», s’interroge Karim Tazi.
Au-delà, un nombre plus restreint d’opérateurs considèrent l’investissement comme un enjeu principal pour cette rentrée. La problématique fondamentale réside dans la volonté des dirigeants d’entreprises de mettre en œuvre des projets stratégiques, tels que des extensions ou le lancement de nouvelles activités, qui ont été mis en suspens. Pour ces entreprises, l’enjeu est de gagner en visibilité sur les mois à venir afin de pouvoir avancer dans la réalisation de ces projets. Ils espèrent que les conditions économiques et financières s’amélioreront davantage pour leur permettre de franchir le pas et de réaliser leurs investissements prévus.
En attendant, des anticipations positives sont formulées par les chefs d’entreprises dans le cadre de l’enquête trimestrielle de conjoncture du Haut-Commissariat au Plan (HCP). L’ensemble des patrons s’attendent à une hausse de productivité au troisième trimestre de l’année et ce, tous secteurs confondus. Ces perspectives sont en effet partagées aussi bien par les industriels que par les chefs d’entreprises opérant dans le secteur de la construction. Se référant au HCP, la hausse de la production attendue dans l’industrie manufacturière serait attribuable, d’une part, à une augmentation de l’activité de l’«industrie chimique», de l’«industrie alimentaire» et de l’«industrie de l’habillement» et, d’autre part, à une diminution de celle de l’«industrie automobile» et de l’«industrie du cuir et de la chaussure».
Actuellement, alors que les milieux d’affaires regardent vers l’avenir avec espoir, ils doivent naviguer à travers une série de défis complexes qui déterminent leur capacité à croître. La réussite de cette rentrée dépendra de la capacité des acteurs économiques à surmonter ces obstacles tout en exploitant les opportunités qui se présentent.
Témoignage // Hicham Bensaid Alaoui, CEO Allianz Trade Morocco & Tunisia
De nombreux défis semblent se dresser devant les chefs d’entreprises marocaines, en cette période de rentrée. A l’instar de leurs homologues à travers le monde, certains écueils semblent autant structurels qu’universels.
Ainsi, l’accès à la matière première, dans un contexte de tensions géopolitiques, impactant aussi bien certains lieux de production que certains corridors logistiques stratégiques, maritimes notamment, tendent à raréfier certains composants de production, renchérissant ainsi mécaniquement leurs prix. De même, corollaire mécanique de l’augmentation notable de l’âge médian au Maroc, une main d’œuvre hautement qualifiée semble de plus en plus faire défaut dans un certain nombre de secteurs. Cette situation est d’autant plus paradoxale que le taux de chômage chez nos jeunes demeure important, illustrant un certain décalage entre offre et demande.
A ces difficultés assez uniformément partagées à travers le monde, auxquelles nous pouvons ajouter de nouveaux risques -cyber notamment-, le Maroc est de plus confronté à certains changements structurants, particulièrement ceux ayant trait aux délais de paiement et à la TVA (notamment en termes d’impact sur la trésorerie mais également en termes de process et de conduite du changement).
Nous aboutissons ainsi à une configuration présentant bien des défis stratégiques à adresser et à gérer, là où les perspectives de croissance, quoique projetées en amélioration notable, doivent encore se consolider afin de poursuivre le bel élan d’émergence dans notre pays.»